Allez, pour ceux qui sont prêts à s'enquiller d'entrée de jeu un long contexte historique, voici un copié-collé de ce que j'avais envoyé à Futuro pour présenter ledit contexte.
Je précise : pas vraiment de spoiler là-dedans. Notre récit s'inscrit dans ce contexte. Mais comme le sous-titre l'indique ("Carnet de guerre imaginaire d'un combattant de la Légion Tchèque"), il s'agit bien d'une fiction prenant pour cadre l'aventure de cette Légion. Mais je crois que, une fois lu ça, il sera inutile d'expliquer plus avant toutes les raisons qui ont pu me pousser à m'intéresser à cette histoire quasi-oubliée...
Le contexte historique :
Le 16 décembre 1916, un décret du gouvernement tsariste officialise la création de l’armée tchèque. Une armée sans pays puisque leur territoire fait toujours partie de l’empire austro-hongrois. Cette armée est alors principalement composée des 70 000 prisonniers de guerre Tchèques et Slovaques, capturés par les Russes lors des combats contre les armées Austro-Hongroises, prisonniers chez qui un courant nationaliste, indépendantiste et démocrate s’est fortement développé.
En effet, avant même le début du conflit, de multiples courants révolutionnaires agitent les minorités nationales de l’Empire des Habsbourg. Les plus virulents, et aussi les plus organisés, sont de loin les Tchèques et les Slovaques, aidés en cela par leurs communautés exilées à l’étranger, à Paris, Londres, New-York ou Moscou. Leur référence principale : la Révolution Française. Un courant monarchiste existe également, tourné lui vers le « grand frère » slave, l’Empire tsariste, et rêve d’un prince Romanov relevant la royauté de Bohême.
Aussi, c’est pour le moins sans enthousiasme que le conflit qui démarre en 1914 est accueilli dans les territoires qui formeront 5 ans plus tard la Tchécoslovaquie. La guerre pour les Habsbourg, et contre les Français et les Russes, va rapidement cimenter une opposition qui compte profiter des hostilités pour déclencher un soulèvement national. Aussi dès la fin de 1914 et surtout en 1915 sur le front oriental, nombre de régiments tchéco-slovaques de l’armée austro-hongroise passent avec armes et bagages à « l’ennemi » russe.
Mais le Tsar, qui compte lui-même nombre de minorités au sein de son empire, refuse de les incorporer à sa propre armée, encore moins de les organiser en armée nationale alliée. L’influence de la tsarine, d’origine allemande et qui déteste les Tchèques, n’est pas non plus pour rien dans ce refus.
Du moins jusqu’à la fin de 1916, où la déliquescence déjà en cours au sein de l’armée russe change la donne. 70 000 combattants supérieurement motivés, ça ne se refuse pas. Malgré tout, rien ne bouge vraiment pour les prisonniers tchéco-slovaques, dont certains croupissent dans des camps en Ukraine depuis plus de deux ans, et ce, jusqu’à la révolution de février. C’est en effet Kerenski qui transformera la décision tsariste en réalité. Dès le mois de mars 1917, la création d’une légion tchèque est effective et celle-ci remportera la dernière victoire russe sur le front Est en juillet 1917 à Zborov.
Hélas pour elle, la deuxième révolution russe éclate en octobre 1917. Bientôt, les Bolcheviks signeront la paix avec l’Allemagne, faisant de nos soldats tchèques une armée inutile coincée au beau milieu de la Russie. Un accord avec Staline finit par autoriser ces soldats perdus à rentrer chez eux par leurs propres moyens. Mais la pression des Allemands et des Ukrainiens (l’Ukraine est alors en pleine guerre civile) empêche leur passage et les oblige à se replier. Bientôt, les tensions avec l’Armée Rouge se développent également, cette dernière ne pouvant laisser une telle force armée incontrôlable sur ses arrières.
Au printemps 1918, le salut va venir d’un jeune officier tchèque, le capitaine Cervinke, commandant le 6è régiment, qui a l’idée de construire un premier train blindé. Dès lors, le projet fou de revenir dans leur pays en allant, non plus vers l’Ouest mais vers l’Est et grâce au chemin de fer transsibérien, germe dans leur esprit. Leur objectif : le port de Vladivostok, aux confins de la Sibérie, où les troupes tchéco-slovaques pensent s’embarquer pour l’Europe, via les Etats-Unis.
Ils mettront plus de deux ans à accomplir ce rêve...
Pour ce voyage à travers le chaos propre à la Russie de cette époque où la guerre civile se développe à toute vitesse, les Tchèques vont construire des dizaines de trains blindés et captureront d’autres dizaines de trains Bolcheviks ou Russes-blancs, dont l’un d’entre eux se révèlera bourré d’or... Trostky lui-même, à bord de son célèbre train blindé, les pourchassera sans succès. C’est cet or qui leur permettra finalement de payer leur embarquement sur des navires de la marine japonaise.
Ennemi des « Rouges », dont ils refusent les positions politiques extrêmes, les soldats de la Légion tchèque n’en sont pas moins extrêmement perméables au climat révolutionnaire de la période. Expulsant la plupart de leurs anciens officiers, ils élisent leurs propres chefs et rédigent leur propre constitution qui servira ensuite de base à celle de la future Tchécoslovaquie. Récupérés par les Alliés (dont leur embarquement dépend) pour la lutte contre-révolutionnaire, les Tchèques entretiennent notamment des rapports étroits avec la France, qui les finance et leur fournit nombre d’officiers de liaison. C’est aussi à ce moment-là que se développe définitivement la légende de la République Tchécoslovaque, « fille aînée » de la République Française. Ayant définitivement basculé du côté démocrate, la Légion tchèque se retrouvera pourtant à combattre auprès des armées russes blanches et ce, malgré une détestation mutuelle qui sera lourde de conséquences dans les derniers mois de leur aventure. Ennemie mortel de Trostky, la Légion sera tout prêt de tuer la révolution russe dans l’œuf, lorsqu’elle manquera de capturer le célèbre chef de l’Armée Rouge en fonçant sur Moscou. Mais les divergences alliées et la méfiance entre Tchèques et forces contre-révolutionnaires mèneront au désastre et la Légion se retrouvera mêlée à l’hallucinante « Retraite Blanche » de l’hiver 1919-1920 en Sibérie.
Leur aventure, surnommée d’ailleurs « L’Anabase sibérienne » dans leur pays, ressort véritablement au domaine de l’épique. Durant deux ans, la plupart des batailles qui jalonnent leur parcours est une suite d’abordages de trains, le long des lignes du Transsibérien, artère vitale pour toutes les parties en présence dans le conflit, et ressemblent davantage à une sorte de « fantasy pirate » qu’à une guerre classique. Ils remportent d’ailleurs la seule bataille navale de l’histoire tchèque (et pour cause…), écrasant les vedettes bolcheviques sur le lac Baïkal à l’aide de péniches, sur lesquelles ils avaient préalablement hissés des wagons d’artillerie…
Leur participation à la guerre civile leur fera également côtoyer, outre les nations engagées dans le conflit mondial (Français, Anglais, Américains, Russes, Allemands, Austro-Hongrois, Turcs), aussi bien les Bouriates sibériens que les troupes Japonaises, les bandits chinois, les régiments de cavalerie cosaque ou les multiples ethnies et nationalités de l’ex-empire tsariste.
Surtout, cette armée, qui est aussi, au sens propre comme au figuré, une véritable nation en marche, va se transformer tout au long de son incroyable périple en une micro-société, expérimentant et mettant en place un système de gouvernement démocratique entièrement nouveau pour ces soldats-citoyens. Leurs « échelons » blindés (ainsi que l’on surnomment leurs trains) sont souvent de véritables villes sur rail, chacun comportant ses restaurants, ses dortoirs, ses femmes également mais aussi son propre journal quotidien, sa propre poste, etc…
En décembre 1920, les derniers régiments de la Légion Tchèque rembarquent à Vladivostok, direction la Tchécoslovaquie, nouvellement créée par le traité de Versailles. La première armée tchèque va enfin retrouver son propre pays. Mais trop tard pour que ses soldats profitent réellement de ce qu’ils ont pourtant fortement contribué à faire passer du rêve à la réalité : les terres des anciens nobles, les emplois de fonctionnaires, les postes les plus importants même de l’armée ont déjà été distribués...
Enfin, terrible retour de bâton de l’Histoire, en mars 1939, les bottes nazies défileront à Prague, avec la bénédiction des alliés occidentaux, ceux-là mêmes qui ont servi d’exemples et de modèles à la République Tchécoslovaque et à nos légionnaires... La libération de 1945 ne leur rendra pas non plus justice: très vite, les communistes prennent le pouvoir en Tchécoslovaquie. Ces mêmes communistes que les légionnaires furent amenés à combattre malgré eux 30 ans auparavant. Autant dire que leur aventure ne figurera pas vraiment au programme d'histoire des jeunes écoliers tchécoslovaques de l'après-guerre...
On ne peut pas comprendre la profondeur de la trahison munichoise si on ne connaît pas l’histoire de ceux qui s’étaient vus, et sont toujours considérés comme tels dans leur pays aujourd’hui, comme les « Soldats de 93 » des nations Tchèque et Slovaque.
De nos jours, la relative méfiance de la Tchéquie et de la Slovaquie vis-à-vis d’une Europe politique et, à contrario, leur allégeance à l’alliance américaine, y trouvent également incontestablement ses sources.
Aujourd’hui en France, cette histoire est totalement oubliée. Les liens quasi-filiaux entre la France et la République Tchécoslovaque et qui dataient, entre autre, de cette « Anabase sibérienne » ont disparu.
Mais l’histoire est un éternel recommencement…
Et au cours de mes recherches, étant tombé sur les mémoires de Joseph Noulens, ambassadeur de France en Russie de 1917 à 1919 et, à ce titre, en contact étroit avec toute l’aventure des légionnaires, je ne peux résister à la malice de citer sa conclusion :
" La leçon qu'ont donné ces hommes de devoir et de résolution (les Tchèques de la Légion NDLR) a été perdue... Il est à souhaiter que l'exploit de ces braves inspire un grand écrivain, et qu'il fixe, pour la postérité, les détails de leur aventure, qui demeurera, nous en sommes assurés, un des plus beaux exemples de l'Histoire".
Pas mieux.
(même si je ne sais pas encore si nous serons « un grand écrivain »…)