de Marion N » 16/10/2008 18:39
Encore une fois, Eric Corbeyran montre qu’il maîtrise totalement l’univers et l’histoire qu’il a créés. De péripéties en révélations, il conduit ses personnages à l’endroit où tout semble devoir se jouer : Nym-Bruyn, la capitale. Rien n’est laissé au hasard dans son scénario bien rodé et chaque question trouve peu à peu sa réponse. Les enjeux s’éclaircissent et deviennent plus globaux, parce qu’intimement liés au système qui régit le royaume. De même, sans intervenir brusquement, les évolutions se font jour chez les protagonistes, les plus criantes apparaissant chez Morckoor et Gwylym. Le premier avait déjà connu quelques prémisses d’un retour sur une voie plus droite (ou saine ?) dans le tome 3 après la perte de sa sœur Olja ainsi qu’à la fin du tome 5 quand il s’est su à la merci complète d’Haggral. Le second s’est réveillé, au sens propre et figuré, dans ce même tome 5 où il a pris conscience de l’absurdité des guerres impériales, mais il avait également eu un petit sursaut d’intelligence (certes à retardement) dans le tome 2 après avoir bêtement tué la licorne. Sa rencontre avec un autre peuple lui a fortement ouvert les yeux et conduit à réfléchir autrement. D’ailleurs, ce regard sur les autres cultures, transmis par l’auteur, constitue un des éléments qui rendent la série aussi attractive et son univers aussi riche et vivant. Ce tome 6 est donc un véritable voyage, d’abord terrestre puisque les trois groupes traversent le royaume, mais aussi intérieur (évolution de chacun) et dans le passé. Après les révélations de Miuréal dans le tome 5, c’est au tour de Morckoor d’exposer comment il en est arrivé là. Il narre donc sa fuite du château paternel, son arrivée dans la capitale, sa mise au cachot, sa rencontre avec Haggral et l’ascendant pris par celui-ci. Si le personnage pouvait encore paraître antipathique à certains (dont je n’ai jamais été ^^), il montre désormais toutes ses faiblesses et ses blessures, permettant de mieux le comprendre.
Côté graphisme, Alice Picard et Elsa Brants se sont donné le mot pour nous charmer une nouvelle fois. C’est un véritable bol de grand air qui transperce les pages. Le dessin d’Alice est somptueux et s’attarde sur de nombreux détails délicieux qui confèrent une authenticité au voyage, comme en témoigne la très jolie couverture. De splendides paysages cèdent la place à quelques scènes intérieures très réussies car elles rendent bien ce que peut être l’intimité d’une litière ou le confort relatif d’une tente. Incontestablement, le trait est maîtrisé, affermi, les petites erreurs des premiers tomes effacées et corrigées. La précision est de mise : ici c’est un oiseau qui butine, là une libellule qui flirte dans les hautes herbes, ailleurs des coquelicots qui déploient leurs fragiles pétales. Le vent est constamment présent, soulevant les cheveux et les vêtements. La scène de la caravane sous la pluie est d’un grand réalisme et on se sent aussi trempés et frigorifiés que les personnages. Les souvenirs de Morckoor donnent lieu à des scènes colorées et plus ternes (en prison) qui reflètent plutôt bien ce qu’on peut imaginer d’une capitale comme Nym-Bruyn. Le passage avec les largols ne manque pas de piquant et d’humour ; on en plaint presque les soldats devenus bandits de grand chemin. Mais j’avoue un faible pour les scènes nocturnes autour du feu qui transmettent parfaitement l’ambiance d’une halte. Les étoiles parsèment la nuit noire, tandis que les ombres et les flammes jouent pour créer quelque chose d’unique. On y sent la joie après une journée de chevauchée harassante, on y entend presque les rires et la musique. Vraiment superbe ! Je ne néglige pas non plus, le travail fait pour montrer la souffrance de Morckoor, alité, visiblement fiévreux et dont le torse commence à noircir à cause du parasite qui l’habite. On peut dire enfin que les couleurs d’Elsa parachèvent et magnifient l’ensemble grâce à une palette exceptionnelle.
J'ai hâte de connaître la suite, d'autant qu'il me reste une question cruciale : mais où est "Junior" (la bêbête issue de Morckoor et Olja) ?
"Chacun appelle 'barbarie' ce qui n'est pas de son usage". Michel de Montaigne