J'avais déjà les tomes simples depuis longtemps, mais pas lus. Ainsi que les Cahiers de Peloris, achetés tant que c'était possible.
Je me suis posé la question de revendre tout ça pour prendre l'intégrale Codex. Ce sont de très beaux livres, ça serait dommage de passer à côté (comme je l'ai fait à l'époque où j'ai acheté Okko, je ne connaissais pas, alors que j'ai vu que 5 petites intégrales coûtaient moins cher qu'une grosse, j'ai pris les 5 petites ... quand j'ai réalisé ce que j'avais raté, c'était trop tard).
Mais
- Il s'agit de racheter une série que j'ai déjà, ce qui n'est pas forcément justifié même si le Codex est sympa
- Le Codex ne contient pas les Cahiers, donc ça reviendrait à les garder à côté : bof
- Je n'avais pas lu la série, la moindre des choses est de m'assurer qu'elle mérite son excellente réputation (ici, ailleurs, et son apparition inévitable à chaque fois que quelqu'un vient réclamer des recommandations sur ce forum), avant d'acheter un doublon (même si les tomes simples se revendent, mais à perte)
Bref, je l'ai lue.
Et je suis déçu.On a un dessin EXCEPTIONNEL. Magistral. On comprend l'affirmation "17 ans de boulot" pour 6 albums.
Malheureusement, il vient avec une colorisation monochrome qui gâche un peu la fête et handicape l'immersion.
On un "world building" très bien foutu, tout un petit univers mis en place, avec une belle cohérence d'ensemble (on est loin au delà d'avoir juste dessiné une carte et claqué des royaumes dessus pour y situer l'action).
Mais c'est un peu beaucoup pour n'y raconter "qu" une histoire en 6 albums de BD. D'autant que malgré les annexes, il faut le développer dans le scénario, ce qui se fait donc forcément de manière assez dense et en laissant moins de place au récit.
Un monde pareil aurait mérité un développement plus étalé, avec des romans plutôt que de la BD (ok ç'aurait été dommage vu la qualité du dessin, mais une série de romans permet bien mieux à un tel univers de s'épanouir) ou un projet plus large (plusieurs cycles ou séries, avec d'autres dessinateurs).
Mais voilà, malgré tout, une BD doit embarquer son lecteur dans un récit un peu haletant ou passionnant, donner envie de tourner les pages, savoir la fin, peut-être surprendre, et refermer le dernier tome avec la conviction qu'on aura envie de relire (justification d'ailleurs indispensable à l'achat de l'intégrale Codex). Et là, pour moi, ça n'a pas marché.
Le récit est relativement lent, doit gérer toute la présentation de l'univers, mais se paye le luxe de cases muettes et de gros plans inutiles.
Le tome 1 donne envie de se reporter à la carte (donc allers-retours, pas bon pour l'immersion dans le récit) mais celle-ci est difficilement lisible. La faute aux couleurs (encore le soucis du monochrome), à des éléments manquants (dès le début, le héros est envoyé dans un fief absent de la carte, dont on apprendra 30 pages plus loin qu'il est autour - comme on s'en doutait - d'un lieu qui s'y trouve bien), et à l'édition (problème constant en BD : les doubles planches disparaissent dans la reluire ... es éditeurs apprendront-ils un jour à laisser une marge au centre ou à faire une page dépliante ?). Bon, j'aurais aussi pu me rappeler que j'avais une belle carte dans les Cahiers, ouvrage que je n'ai sorti de ma bibliothèque qu'après avoir lu le t6.
Le tome 2 demande explicitement de se reporter régulièrement à un glossaire pour suivre. Encore une fois, pas bon pour l'immersion dans le récit. J'ai finalement lu le strict minimum, puis la BD, puis le glossaire.
Le tome 3 a des annexes intéressants, qui pointent pour moi le nœud du problème. On y ré-explique l'action en cours, en particulier les événements des tomes 1 et 3 (et on voit bien qu'à quelques détails, l'action de ces 2 albums correspond à quelques paragraphes). Mais surtout, on y place les événements de la série dans un contexte plus global, celui de l'évolution et de l'Histoire du monde qui nous est présenté. Ce sont des événements charnière, dont le déroulement change définitivement la suite de l'Histoire. On s'attend alors à découvrir, d'ici la fin du t6, les conséquences de ces batailles perdues (la réorganisation géopolitique) et des changements par rapport aux différentes Puissances.
Les tomes 4 à 6 se lisent de manière plus fluide, mais ne font que poursuivre et terminer la guerre débutée au tome 1.
On arrive au bout des événements à raconter. Mais on ne saura rien des conséquences.
Comme je le disais, il est clair qu'ils sont une charnière historique. Mais une charnière doit être rattachée à 2 choses. Ce n'est ici pas le cas. On connaît un peu l'état du monde avant les événements, puisque c'est expliqué au fur et à mesure du world building (dans le récit et les annexes), quoi qu'on ne s'y est pas vraiment attaché : la BD ayant construit tout ce monde uniquement pour y raconter une histoire (je dirais, une grande bataille), il manque des récits antérieurs (qui auraient pu venir de séries parallèles par exemple) pour qu'on s'immerge un peu dans l' "avant" afin de mieux ressentir le grand changement qui vient avec Servitude (ce qui est perdu, ce qui est gagné, le changement de paradigme par rapport aux Puissances). Pour l'autre côté de la charnière, c'est pire : malgré le teasing en annexe du t3, on ne saura rien !
Enfin à moins que ça soit expliqué dans les Cahiers (que j'ai à peine commencés pour l'instant), mais on sort ici du récit et même de ce qui est disponible pour le lecteur moyen :
Avec ce qu'on sait dans la BD, peut-être même n'y a-t-il aucun chamboulement !
La faction dissidente des Drekkars s'est pris une rouste, peut-être que la Passe reprend sa vie sans changements majeurs ?
Le fils d'Arkanor va être éduqué pour monter sur le trône pendant que la défense du royaume est organisée. Peut-être montera-t-il sur le trône, peut-être le royaume sera-t-il défendu et, après tout, peut-être même que Vériel devra à nouveau se soumettre ?
Les Anges ont leur combine révélée au sénat. Peut-être que ça fait un flop, peut-être que les sénateurs vont considérer que ce n'est pas un mal de les savoir un peu plus près qu'ils n'en avaient l'air, peut-être vont-il cacher la révélation (ou que le peuple n'y verra pas grand mal), d'autant que les Gardiens y ont apparemment un pouvoir limité. S'il doit y avoir un chamboulement sur les piliers, on n'en saura rien.
Et puis il y a Aïon et Kiromédon. On nous tease tout un grand plan, avec ce dieu qui voudrait le monde pour lui seul, aurait créé le Hommes pour mettre à mal les Puissances, et souhaiterait empêcher ces derniers de devenir son nouveau problème. Surtout, c'est à toute cette toile de fond magique (Kiromédon + Puissances) mais top peu affichée dans la série que fait référence son titre même : Servitude.
Concernant l'émancipation par rapport aux Puissances : on ne saura rien. La BD se focalise tellement sur une grand bataille bien humaine, elles passe au second (voir 10e) plan. Elles ne semblaient déjà plus jouer un bien grand rôle avant le récit, qu'est-ce qui a changé après ? Peut-être simplement rien, elles vont continuer à décliner tranquillement (bref, la manœuvre de Kiromédon contre elles par la création des humains continue peut-être de fonctionner doucement ? En tout cas s'il y a rupture, comme les auteurs le suggèrent, on ne verra pas en quoi).
Et puis il y a surtout Aïon, le gars envoyé par Kiromédon, pour maniupuler tout le monde avec ses propres objectifs (casser l'élan des humains avant qu'ils ne dominent trop le monde au yeux du dieu qui voudrait en rester le maître).
Une sorte de Littlefinger. Qui meurt comme un Littlefinger : bêtement et en n'ayant finalement pas mené ses plans bien loin (oui je sais, la bataille décrite sur 6 tomes est son œuvre, mais encore une fois on n'en a pas les conséquences et, avec le peu qu'on sait, on n'a aucune raison de les imaginer grandioses contrairement à ce que dit le t3). Contrairement à Littlefinger, on a une bien meilleure idée de ce qu'il cherchait, et il laisse son maître derrière lui.
Maître qui ... se fera bouffer comme une m---, un sévère anti-climax, voir même une sorte d'anti-deus-ex-machina. Finalement, lui dont l'ombre est teasée depuis quelques tomes, lui dont les plans justifient la notion de Servitude, n'aura servi à rien. Ç'aurait pu être une grosse surprise du scénario mais pour moi ça tombe à plat. Sans doute parce qu'il n'aura rien fait (aucune apparition) avant cette disparition précipitée.
Bref, l'univers a beau être marquant, le dessin a beau être d'une qualité rare, le récit de Servitude ne m'a pas embarqué. Il me laisse avec un goût d'inachevé et aucune passion justifiant l'achat du Codex ... ou même de garder les albums (j'hésite à vendre).