Non, cet argument est vrai pour plusieurs auteurs. Si Trondheim ne gagnait pas suffisemment d'argent avec Donjon par exemple, par sûr qu'il pourrait se permettre de passer du temps sur son jouet "Shampoing", pas sûr d'ailleurs que Delcourt ait le financement pour le laisser jouer.
Trondheim déclarait l'an dernier qu'il gagnait beaucoup mieux sa vie avec la publicité qu'avec la bande dessinée. Faut-il remercier la pub, alors, de permettre à Shampooing d'exister? Et pas que Shampooing, puisque beaucoup d'autres auteurs, les deux nouveaux Grands Prix d'Angoulême en particulier, vivent en premier lieu de la publicité.
De plus, si Shampooing existe, ce n'est pas juste pour faire plaisir à Trondheim, c'est surtout parce que Delcourt cherche à se construire une image, à avoir une collection "de prestige" qui lui attire des nominations. C'est une manière de se faire de la publicité, du budget "com".
Ce qui me gêne dans ton argumentation, c'est qu'elle pré-suppose que tous les auteurs ont les mêmes aspirations, les mêmes exigences, que ce soit pour assurer leur subsistance ou pour la production. Et qu'elle fait complètement abstraction d'une véritable motivation de la part des auteurs à vouloir sortir des chemins battus. Bref, ce qui ressort en creux, c'est que pour toi, les auteurs cherchent à gagner leur pain, et ensuite, éventuellement, ils vont se donner la possibilité d'aller explorer des trucs moins commerciaux.
Pour mémoire, Trondheim a commencé à être publié chez des petits éditeurs, et n'a pas attendu d'avoir du succès avec Donjon pour expérimenter et faire des trucs bizarres ou fous ou invendables. Donjon ou Lapinot ou les Petits Riens lui assurent peut-être une certaine sécurité, mais c'est vraiment très réducteur que de penser que cette sécurité était l'objectif premier et la principale ambition de l'auteur. Et c'est là que nos avis divergent complètement.
Je le répête, je ne dis pas que les éditeurs n'utilisent pas cette justification pour se donner bonne conscience mais je dis que c'est une réalité. Si il n'y a pas un Titeuf, à coté il n'y aura pas plusieurs autres titres moins vendeurs. C'est une réalité économique.
Non, c'est de la jolie histoire. Quand on sort ce genre de produit, si on est dans une approche économique, on essaie de faire en sorte que chacun rapporte, ou au mieux, maximise son potentiel. Et si ce n'est pas le cas, on coupe. Ou alors, on est dans une optique comme celle que je décrivais plus haut pour Shampooing, avec une approche d'image et un travail qui tient plus de la communication. Et qui peut être considéré comme rentable aussi.
En fait, tu as raison, s'il n'y a pas un Titeuf, à côté il n'y aura pas plusieurs autres titres moins vendeurs. Mais si Titeuf contribue à la diversité, c'est par un processus plus pervers que la simple grandeur d'âme éditoriale de Glénat: si diversité il y a, c'est pour tenter de reproduire la formule des super ventes, c'est pour essayer de trouver une autre locomotive du même genre, pas pour juste apporter de la diversité puisque l'on a la sécurité, maintenant.
La qualité, ce sont aussi les lecteurs qui la font indirectement. Que tout le monde arrête d'acheter la baguette pourrie vendue dans certain hyper marché et les hyper marché arrêteront de la produire.
Mais pourquoi cela devrait-il nous empêcher de critiquer le travail des éditeurs? Les deux ne sont pas incompatibles. Et encore une fois, dans l'histoire, ce sont les éditeurs qui bossent et qui y gagnent de l'argent, pas nous lecteurs. J'ai payé, j'ai lu, j'ai réalisé ma part du deal, j'estime que ça me donne le droit de critiquer et de dire que je ne suis pas content.