de unrefractaire » 07/04/2020 14:18
J'ai relu ça, dont je n'avais pas forcément un bon souvenir...
Et bien c'est une excellente série B d'auteur (je pense à Abel Ferrara par exemple) ! Lu il y a très longtemps (à peu près à sa sortie), j'ai redécouvert une BD finaude et pleine de charme, à la fois nostalgique et très actuelle...
Parsemée d'hommages et de références au film noir bien sûr, mais aussi au cinéma d'auteur - Godard et "Alphaville", film lui-même hommage au film noir, et "Sunset Boulevard", grand film sur les illusions de Hollywood par Wilder - et au serial grand-guignolesque.
Les grands thèmes du roman noir sont présents : la ville comme personnage (ici un mix entre New York et Barcelone), la femme fatale, le détective paumé (la particularité étant qu'ici c'est le même protagoniste), la manipulation et la paranoïa, la corruption systématique qui gangrène tout, institutions et personnes, l'amour rédempteur et maudit, la fatalité, le cynisme le plus cru, thèmes éternels et clichés pour parler des dérives de notre monde d'alors, qui est plus encore qu'alors le nôtre aujourd'hui 34 ans plus tard!
La construction du scénario est à la fois simple et subtile... Chaque chapitre de 8 pages est à la fois autonome, replié sur lui-même, et une étape d'une mécanique implacable qui broie tous les protagonistes...
Les événements ou les comportements sont émaillés d'incompréhension, voire de soupçon de pathologie (le fameux magnétophone de Custer qui ne la quitte jamais, sorte de miroir parlant où se reflète son bonheur perdu et surtout son amour, son amour perdu, celui de son amant et d'elle-même), comme autant de signes de la décadence inéluctable de cette société post-fasciste, puis quelques pages plus tard, les agissements s'expliquent sur un plan psychologique, émotionnel. Les éléments distillés puis glanés dans les chapitres suivants, l'ensemble des pièces s'imbriquent à la fin, quelque peu aidé par une main invisible...
Le montage est la clef de voûte de cette construction éparpillée. Sans cette technique, à l'intérieur du récit vécu par Custer, tout s'effondre - intrigue et signification - dans la vulgarité, dans la banalité la plus ennuyeuse ou dans la barbarie sophistiquée (ou la sophistication barbare) - une violence d'autant plus barbare qu'elle est organisée, préméditée pour le profit... Dans le récit qu'on lit, cet artifice du découpage et montage manifeste la falsification absolue de ce qui est vécu.
Le dessin sale et noir de Bernet, caricatural et suggestif, exprime à merveille la perversité et la brutalité de cette société du spectacle évidemment racoleuse, où voyeurisme et exhibitionnisme se complètent, où chacun est manipulé de son plein gré.