ratiergilles a écrit:Bonjour à tous
À force de lire nombre de questions posées restées sans réponse aboutissant à des insinuations curieuses et des interprétations hasardeuses, j’ai décidé d’intervenir sur ce forum en racontant la genèse de cette fameuse
Collection Charlier et ce qu’il en advient aujourd’hui. Je pense que Philippe Charlier ne pourra que confirmer mes dires…
J’ai rencontré François Defaye en 1983 (nous avons fêté nos 30 ans d’amitié lors d’un dernier dîner en commun à Angoulême), nous n’étions alors que de jeunes fanzineux, lui avec son
Tremplin, moi avec mon
Dommage : je me souviens encore avec nostalgie de nos rencontres chez lui, à L’Isle d’Espagnac, en compagnie d’autres futurs organisateurs du salon d’Angoulême (Yves Poinot, Hervé Boune, Hube…), pour essayer de trouver des solutions à la diffusion de nos supports respectifs.
Infirmier de profession, François était aussi, éventuellement, animateur d’une émission sur la BD sur la radio locale
Radio Marguerite : nous avons d’ailleurs collaboré sur plusieurs émissions et même réalisé un quotidien de cette radio pendant les quatre jours du Salon de la BD, en 1987. Contacté par le CNBDI (ancêtre de la Cité de l’image d’Angoulême), François est alors chargé de la conception d’une vidéo sur Jean-Michel Charlier (
http://www.youtube.com/watch?v=C2W78362RQE) dont une version remaniée passera sur la 7 en 1989. Pour ce faire, il me propose de collaborer sur ce projet, car il connaît ma passion pour l’œuvre de ce grand scénariste : je vais alors conduire l’interview et passer trois jours formidables en compagnie de Jean-Michel Charlier, à son appartement de Saint-Cloud, chez Dargaud, au Bourget et dans l’atelier de montage de ses documentaires pour la télé.
Je retranscrirai alors l’intégralité de ces entrevues pour le n° 44 de
Hop ! qui lui a été entièrement consacré, au troisième trimestre 1988 : c’est dans le cadre de la réalisation de cet opus que j’ai été en contact pour la première fois avec Jean-Yves Brouard "alias JYB sur le forum" (LE spécialiste de Jean-Michel Charlier) ; et oui, Jean-Yves, ça fait déjà 25 ans qu’on se connaît…
Or, un jour, François est devenu directeur artistique et des programmes du Festival International
de la Bande Dessinée d’Angoulême (de juillet 1991 à mai 1998). Il reprend contact avec moi et me charge de l’écriture des communiqués de presse ou autres rédactionnels du Salon, ainsi que du commissariat de nombreuses expositions : Hermann, European Comics : Another Image, Les 50 ans du Lombard, André Juillard, Peyo, Le Cycle de Cyann, Planètes BD… Et une très importante consacrée à Jean-Michel Charlier, en 1995. C’est ainsi que je participe à l’ouvrage de Guy Vidal « Jean-Michel Charlier : un réacteur sous la plume » (aux éditions Dargaud), biographie de l’auteur qui sert alors de catalogue à l’expo et à laquelle je fournis la bibliographie, documentation et information.
Après diverses autres expériences professionnelles (chargé de mission pour l’Association française d’Action artistique au Ministère des Affaires étrangères, secrétaire général du
Festival international des Écoles de Cinéma de Poitiers
et des Rencontres internationales Henri Langlois
ou chargé de mission de la Coordination européenne des Festivals de cinéma à Bruxelles), François Defaye décide de monter sa propre maison d’édition, en 2005 : Sangam.
On se retrouve donc pour l’occasion, car il veut rééditer mon livre sur l’histoire de la BD francophone vue par les scénaristes (« Avant la case » publiée à l’origine chez PLG, en 2002). Il me demande aussi de lui proposer des projets. Il se trouve que j’en avais deux : une « Anthologie de la bande dessinée européenne » (projet trop coûteux qui ne vit jamais le jour alors que j’avais l’assurance de la participation d’excellents professionnels comme Patrick Gaumer, Didier Quella-Guyot ou Laurent Turpin) et une collection qui reprendrait les œuvres oubliées de Jean-Michel Charlier dans des tirages limités à 1 000 exemplaires pour collectionneurs.
Voilà la liste des séries que je propose, à François, de rééditer dans un premier temps :
« Clairette » avec Albert Uderzo
« Kim Devil » avec Gérald Forton
« Michel Brazier » avec André Chéret
« Guy Lebleu » avec Raymond Poïvet
« Marc Dacier » avec Eddy Paape
« André Lefort + Ned Tiger » avec Eddy Paape
« Thierry le chevalier » avec Carlos Laffond
« Jean Valhardi » avec Eddy Paape
François connaît bien Philippe Charlier et s’enthousiasme sur ma proposition. Il contacte rapidement l’ayant droit et l’affaire est aussitôt faite : Philippe Charlier se trouvant en confiance avec François et même avec moi, car il avait apprécié mon travail dans le n° 44 de
Hop ! et sur l’expo consacrée à son père à Angoulême (expo qui avait été remontée au Bourget).
Voilà d’ailleurs le communiqué de presse envoyé en 2009 pour la parution du premier volume (« Clairette » dessinée par Albert Uderzo) :
COLLECTION « JEAN-MICHEL CHARLIER »
Le but de cette collection, qui bénéficie du soutien des ayants droit de Jean-Michel Charlier et tout particulièrement de son fils Philippe, est de mettre à la disposition des nouvelles générations de lecteurs et des collectionneurs, les créations de cet immense scénariste de bandes dessinées qui n’ont jamais été publiées en albums ou qui sont épuisées depuis longtemps en librairie. Ces ouvrages présentent les versions intégrales de séries réalistes dont la thématique est proche : « Aventure », « Policier », « Reportage »... Les œuvres sont accompagnées d’une introduction illustrée avec des documents rares ou inédits, pour chaque album : ceci permet de restituer le contexte de leur réalisation, tant dans l’histoire du 9e art que de l’histoire tout court. La partie plus technique, sur les scénarios écrits par Jean-Michel Charlier et la mise en perspective du rôle du scénariste à cette époque, est également une valeur ajoutée. L’idée de cette collection s’inscrit dans le cadre éditorial de Sangam sur la mise en valeur des scénaristes commencée avec l’ouvrage « Avant la case » de Gilles Ratier. Ce dernier étant, d’ailleurs, le responsable de la collection.Les choses sont claires, François est l’éditeur : c’est lui qui s’occupe de choisir les différents partenaires – dont l’imprimeur et le maquettiste —, de gérer les problèmes de droits et toute la partie technique de l’édition et de s’occuper de la diffusion des ouvrages (entre autres) ; moi, je ne suis que directeur de collection : c’est-à-dire que je propose les séries à rééditer et j’écris les textes de présentation. Coup de bol, le maquettiste choisi par François, l’excellent Philippe Poirier, est aussi un amateur de l’œuvre de Charlier et nous sommes tous sur la même longueur d’onde. Seulement voilà, François veut se passer de diffuseur (les ouvrages seront donc peu exposés en librairies) et même si tout se vend – du moins pour le « Clairette » et les 3 premiers « Kim Devil » —, les ouvrages ne sont pas vendus assez cher pour payer tout le monde et, surtout, pour libérer un salaire décent pour l’éditeur.
Pourtant, les idées ne manquent pas, comme cette superbe exposition sur notre scénariste favori à Chambéry : [url]http://bdzoom.com/38963/actualites/l’exposition-«-jean-michel-charlier-vous-raconte-»-au-nouveau-musee-des-beaux-arts-de-chambery-remporte-un-grand-succes/[/url]. Philippe Poirier en est le concepteur graphique, François Defaye le producteur exécutif, et j’en écris tous les textes et choisis les documents sous la houlette bienveillante de Philippe Charlier. Là encore, je n’hésite pas à faire valider mes écrits (tout comme ceux que j’ai pu commettre pour les dossiers d’introduction aux intégrales « La Patrouille des Castors » chez Dupuis et une partie de ceux des intégrales « Barbe-Rouge » chez Dargaud) par le grand spécialiste de Charlier : Jean-Yves Brouard (merci encore à lui).
N’ayant pas assez de liquidité, François Defaye ne peut multiplier les réalisations : l’impression des livres coûte cher, leur réalisation aussi. Les dettes ne sont pas énormes, mais elles s’accumulent. Personnellement, je n’ai été payé que pour mon travail sur l’expo de Chambéry… Pas grave, j’ai d’autres sources de revenus… D’autres seront plus exigeants, normal aussi…
Quoi qu’il en soit, François décède le 4 mai dernier, victime d’une crise cardiaque, à l’âge de 56 ans, alors qu’il s’était associé avec la maison d’édition littéraire bordelaise Le Castor astral, depuis 2012 ; notamment pour poursuivre la « Collection Jean-Michel Charlier » et publier une biographie exhaustive de cet Alexandre Dumas du 9e art dont il m’avait chargé de la rédaction, toujours avec l’aval de Philippe Charlier.
Depuis, malgré les propositions et relances du Castor astral, les héritiers de François ne donnent plus signe de vie, alors qu’ils souhaitaient clore les affaires en cours dignement. Outre le fait qu’ils sont certainement encore sous le choc, ils doivent aussi se demander s’ils vont tout simplement accepter cet héritage qui comporte quand même beaucoup de dettes. Alors, tout est bloqué juridiquement et il faudra que cela se règle soit par rachat (mais rachat de quoi ? Qu’est-ce qui reste exactement de son catalogue ?), soit par liquidation de la société Sangam.
En attendant, Philippe Charlier ne peut rien faire pour faire avancer les choses et permettre d’autres rééditions ou projets sur les reprises des séries peu connues de son père : en d’autres termes de permettre de poursuivre la Collection Charlier (et chez qui ?). D’autant plus qu’il n’est pas le seul concerné : n’oublions pas que le fils de Raymond Poïvet (pour « Guy Lebleu »), Gérald Forton (pour la réédition des « Kim Devil » et d’une BD réalisée pour Bonnes Soirées), le fils d’Eddy Paape (pour les « Marc Dacier », les « Jean Valhardi » et « André Lefort ») ou André Chéret (pour « Michel Brazier »), par exemple, ont aussi leur mot à dire…
Voilà donc où on en est aujourd’hui, ce n’est pas la peine d’imaginer autre chose et de se plaindre du non-avancement de cette situation bloquée…
Bien amicalement
Gilles RATIER