Oh boy. J'étais passé à côté de ce topic, quand Le Complot l'a signalé ailleurs je pensais aller y voir ne serait-ce que pour rigoler, mais en dehors de la remarque bête et méchante de Maze Echo en début c'est un peu... des listes de j'aime / j'aime pas...
Bon, c'est sympa aussi, remarquez, hein, mais, si on veut aller un peu plus loin pour comprendre ce qui se passe, euh...
Déjà, "Marvel et DC au cinoche", faudrait se mettre d'accord sur ce qu'on considère. La vague depuis les années 2000 ? Ou on remonte plus loin ? Et si oui, jusqu'à quand ? Parce que des adaptations de Superman, Batman, Captain America et quelques autres sur grand écran, y en a depuis les années 40 (sauf erreur de ma part, c'est Captain Marvel qui ouvre le bal en 41)... Quand Le Complot dit que DC a réussi à faire deux bons Batman, il pense à Nolan, à Burton, aux deux ?... Bref.
Un peu de remise en contexte. Attention pavé.
Fin années 90, DC se vautre avec le
Batman & Robin fluorescent et kitsch de Barry Schumacher (les Batman de Schumacher étaient explicitement pensés pour générer plus de ventes de jouets et de produits dérivés que les Burton "trop sombres" pour ça), essuyant échec commercial, avanies critiques et vindicte des fans, tandis que de l'autre coté, un héros Marvel assez obscur connaît un succès inattendu : Blade. Le film rapporte plus de 130 millions de dollars au box-office mondial pour 45 de budget. Deux ans plus tard, Bryan Singer sort le premier
X-Men. Singer rhabille les mutants en cuir noir plutôt qu'en costumes colorés, ça fait plus sérieux (Morrison fait de même au même moment dans les comics papier avec son
New X-Men). Il mêle au casting acteurs venus plutôt du cinéma de genre (Patrick Stewart, Famke Janssen) et plutôt du cinéma d'auteur (Ian McKellen, Anna Paquin), sans oublier un quasi débutant nommé Hugh Jackman. Il utilise le truc classique mais efficace du, ou plutôt ici des, "étrangers" (Malicia/Rogue et Wolverine) découvrant une situation pour introduire à tout un groupe de personnages. C'est un blockbuster d'action mais il puise dans les apports de Claremont aux comics des années 80 pour apporter de l'épaisseur à son Magneto en en faisant, plutôt qu'un méchant générique, un survivant de la Shoah (thème cher à Singer, déjà exploré, déjà avec McKellen, dans
Un élève doué), aux motivations un peu plus complexes. Succès critique, succès commercial (296 millions pour 79 de budget). Deux ans plus tard, la tendance se confirme avec le second
Blade (155M), signé d'un certain Guillermo Del Toro tout juste débauché du cinéma indépendant, et surtout le premier
Spider-Man de Sam Raimi qui cartonne, rapportant plus de 800 millions pour un budget de 139 (soit l'équivalent des bénéfices du premier
Blade... un autre signe qu'on a changé d'époque). Autre point à noter, Raimi rameute des acteurs venus du cinéma "sérieux" mais n'hésite pas, lui, à user d'une esthétique assez peu réaliste. Bref, le genre est désormais à nouveau sous les feux des projecteurs, dépasse largement le cadre d'un public "geek" ou "nerd"... et c'est Marvel qui mène la danse.
D'un coup, c'est la ruée, pour le meilleur... et surtout pour le pire. Au rayon des catas,
Daredevil en 2003, en 2004
Hulk (pourtant signé Ang Lee),
Le Punisher et
Catwoman (échec commercial et critique particulièrement retentissant) côté DC, en 2005
Elektra (idem) et
Les Quatre Fantastiques (suivi en 2007 d'un
Les Quatre Fantastiques et le Surfeur d'Argent qui parviendra à être encore plus consternant), auraient pu presque chacun à eux seuls justifier d'enterrer aussitôt le genre. Mais Raimi transforme l'essai avec un deuxième opus consacré au Tisseur, Singer avec un deuxième opus consacré aux mutants (même s'il se cassera les dents sur un
Superman Returns que perso j'aime beaucoup, mais qui ne convaincra pas les foules), Del Toro se met à
Hellboy et DC marque un point avec le
Batman Begins de Nolan qui fait le pari d'une approche "sombre" et "réaliste" du genre. On notera aussi le
Sin City de Roberto Rodriguez, pas vraiment une totale réussite mais qui sort du lot par sa volonté de transférer à l'écran non seulement les personnages mais le style graphique même de la série de Frank Miller.
Le
game changer, comme on dit, c'est
Iron Man en 2007. Marvel qui en a marre de voir qu'on fait n'importe quoi avec ses personnages a décidé de s'investir directement dans la production, et surtout, la Maison des Idées a un plan inédit : tisser à partir de là de film en film des éléments permettant de dessiner des interconnexions semblables à "l'univers partagé" des comics papier. Du jamais vu. Un processus qui aboutira en 2012 avec le premier
Avengers de Joss Whedon, empereur des geeks, qui rapporte plus d'un milliard de dollars, se place à l'époque comme 3e plus gros succès de l'histoire du cinéma (il est redescendu depuis à la 5e place), et change le visage du cinéma de divertissement.
Depuis Marvel semble inarrêtable. Via l'impulsion de Whedon, le MCU ("Marvel Cinematic Universe") se décline désormais sur grand et petit écrans, gagnant toujours en richesse et en cohérence. La recette : des films tout public, des intrigues certes "classiques" dans les grandes lignes et qu'on peut dénoncer comme répétitives, mais avec suffisamment de variations dans l'approche, le ton, le genre pour ne pas lasser (
Captain America: Le Soldat de l'Hiver incorpore des éléments de thriller politique,
Thor: The Monde des ténèbres d'heroic fantasy,
Ant-Man de comédie, etc.), et une intrication des différents films et séries télé qui fidélise les fans (difficile de comprendre grand chose à
Avengers: L'Ère d'Ultron si on débarque en néophyte !), portant le succès y compris de films consacrés à des persos initialement aussi obscurs que les Gardiens de la Galaxie. La "Phase 3" du MCU a ses dates de sorties cinéma planifiées pour jusqu'en 2019, et déjà des projets au-delà de ça.
De son côté, Sony, qui possède les droits de quelques-uns des personnages Marvel, se plante avec le reboot de Spider-Man (finissant par négocier le transfert du perso vers le MCU) et plus encore avec celui des Quatre Fantastiques. Ne lui reste plus pour l'instant que la franchise X-Men, heureusement revitalisée, après un désastreux 3e volet, par un retour vers le passé des personnages avec
X-Men: First Class puis
Days of Future Past, et par le succès de deux films faisant le pari de se passer du plus jeune public, le potache
Deadpool et le très sombre
Logan. Reste que la plupart des acteurs du succès la franchise, devant et derrière la caméra, ont désormais raccroché et qu'il va falloir trouver dans un avenir proche des voies de continuer sans eux par des ramifications éloignées des X-Men principaux (on parle notamment d'un
New Mutants en préparation), dans un univers qui à force de reboots et de voyages dans le temps est devenu en quelques années aussi peu cohérent et aussi difficile à appréhender que sa contrepartie de papier.
Pendant ce temps, DC a aussi connu un triomphe avec l'excellent
Dark Knight de Nolan en 2008, mais ne parvient pas à répliquer le succès de Marvel.
Green Lantern s'étant planté magistralement entre-temps, DC décide de reproduire la formule "sombre et réaliste" des Batman de Nolan aussi bien avec
Arrow sur petit écran qu'avec, sur le grand, un
Superman de Snyder qui divise les fans. Le problème (outre le côté tâcheron prétentieux et sans talent de Snyder, à mon avis
), c'est que DC court derrière Marvel avec plusieurs années de retard et surtout se révèle infoutu d'obtenir la même cohérence dans l'interconnexion de ses différents projets. Ainsi,
Arrow et ses différents spin-offs télévisuels se situent dans un monde (ou plutôt des mondes,
Supergirl se passant officiellement dans un univers parallèle... ce qui n'empêche pas les cross-overs) sans lien avec celui présenté sur grand écran, des personnages iconiques comme Flash ou Superman étant incarnés par des acteurs différents d'un média à l'autre. Au ciné, les membres de la Ligue de Justice sont introduits au chausse-pied en quatrième vitesse dans
Batman v Superman de Snyder qui récolte un accueil critique digne d'une série Z, soufflant un vent de panique chez les pontes qui conduira au charcutage, et au sabordage, d'un
Suicide Squad retravaillé en urgence pour être "moins sombre" et "plus fun".
Tout le monde n'est donc pas logé à la même enseigne, mais le succès du genre est là et bien là, omniprésent à raison de plusieurs sorties ciné par an, et visiblement parti pour durer malgré toutes les prédictions sur la lassitude du public.