de Johnny Fletcher » 08/04/2021 01:04
voici mon compte rendu de lecture:
Les âges perdus propose une histoire qui parait ressembler à mille autres mais qui rapidement ajoute sa propre petite musique, développe une atmosphère singulière dans un cadre pourtant plutôt familier. Le scénariste travaille davantage sur la simplicité des enjeux que sur la complexité d'un monde inconnue. Il favorise la linéarité du récit d'aventure pour attacher notre attention aux personnages et leur donner corps en quelques traits. C'est le pari que doit remporter un auteur qui tisse un pur récit d'aventure: faire en sorte que le lecteur s'attache au sort des personnages principaux, se sente lié à eux, se préoccupe des épreuves qu'ils doivent traverser et des tourments qui leurs sont réservés. Tout cela en une cinquantaine de pages, c'est là une gageure bien plus difficile à tenir qu'il n'y parait. Cette prouesse est relevée par Jérôme Le Gris qui nous entraine à la suite de ce petit groupe d'individus plongé rapidement dans une situation critique.
Dans ce type de récit, l'atmosphère est primordiale. Celle-ci est habilement rendue par le formidable travail du dessinateur Didier Poli d'une part, et par celui tout aussi abouti du coloriste Bruno Tatti d'autre part. Le choix judicieux des cadrages panoramiques pour nous donner à ressentir pleinement les austères paysages traversés et pour mieux révéler la précarité et la vulnérabilité du groupe de personnages qu'il nous est proposé de suivre est d'une grande pertinence. Cette manière d'étirer notre regard d'un bord à l'autre de la page suggère habilement l'étendue de l'environnement, sa vastitude. Lorsqu'il veut diriger notre attention sur les personnages, Didier Poli resserre son cadre sans pour autant les extraire de leur environnement. Nous ne perdons jamais contact avec ces paysages de landes et de montagnes. Ainsi, le point de vue rapproché sur un visage n'exclut jamais l'idée du paysage ou du décor dans lequel est situé le personnage.
On remarque qu'il sait souvent placer au mieux ses personnages les uns par rapport aux autres pour conserver une grande lisibilité, une profondeur appréciable dans son image ainsi qu'un équilibre esthétique. Ses décors sont toujours très délicats grâce à une finesse de trait dans les détails qui confère une subtile sensation de matière.
De son côté, Bruno Tatti habille avec talent les dessins de Didier Poli. Le vent, la lumière solaire presque toujours voilée, les ciels chargés, les nuages menaçants, les lignes de crêtes déchiquetées par la lumière du jour, les horizons incertains, les tapis d'herbes rases, les nuits pâles ou bien encore les halos des torches, tout cela est merveilleusement rendu par l'art du coloriste.
Poli et lui sont réellement inspirés tout au long de ce premier tome. Ils opèrent avec délicatesse et nuance dans un style de récit qui en manque souvent graphiquement.
Ce premier tome des Ages perdus atteint ses objectifs et nous entraine sur les sentiers de l'aventure avec une sensibilité de vue et un travail graphique, certes classique mais inspiré, qui réjouit. De la bien belle ouvrage.