C'est avec beaucoup de recul que j'ai relu cette adaptation de Christophe Bec, quelques années après sa parution.
Le Monde Perdu est un roman culte de 1912, du "père" de Sherlock Holmes, qui fait un joli clin d'oeil à Jules Verne et ses "voyages extraordinaires". De l'humour, une ambiance victorienne, des dinosaures, des personnages haut-en-couleurs...Du pain bénit pour un auteur de BD. Même un scénariste amateur peut pondre quelque chose de très bon.
L'histoire originale : L'ego masculin et l'accomplissement de l'image qu'un homme se fait de lui-même sont de puissantes forces de motivation derrière ses actions...Voilà de quoi parle le livre. Les féministes en PLS.
Le roman parle également de la façon dont la science évolue et redéfinit toujours des choses que nous tenons pour acquises. L'essentiel de ce récit du journaliste Ned Malone se déroule au fin fond de la jungle amazonienne, en Amérique du Sud, loin de la civilisation et du confort de la révolution industrielle, où deux professeurs tentent de se discréditer l'un l'autre. L'un pense que des dinosaures sont encore vivants dans cette jungle tropicale, l'autre non.
Malone indique clairement que son seul but en accompagnant le professeur Challenger est de donner "un sens à sa vie", et plus particulièrement d'impressionner sa fiancée Gladys. Le chasseur Lord Roxton veut accrocher un trophée de dinosaure dans son salon. Le professeur Challenger veut dissiper tous les doutes et questions sur sa supériorité auprès de ses confrères. Le professeur Summerlee, plus ou moins là sous la pression de l'académie, apparaît comme le seul aventurier à la poursuite de la science.
Les aventuriers trouvent finalement la terre mystique des animaux préhistoriques et l'esprit aventureux qui sommeille en eux. Ils reviennent à Londres, mais sont traités de menteurs et de charlatan. On crie au fake. Par chance, ils ont ramené un ptérosaure vivant de leur périple. Qui s'échappe. Les voilà finalement considérés comme des héros.
Les dinosaures : Conan Doyle, génial visionnaire, nous parle de Stégosaurus, d'Iguanodon, d'Allosaurus, de Plésiosaure, d'oiseau carnivore...Le lecteur moderne habitué à
Jurassic Park est donc en terrain connu. Le roman a pourtant 110 ans ! L'écrivain reconnaît même des similitudes entre les traces d'Iguanodon et celles d'oiseaux...Une prouesse pour l'époque, car le lien entre les dinosaures et les oiseaux n'étaient pas encore clairement établis...
L'adaptation de Bec : Par où commencer ? Eh bien, c'est mauvais. Toujours aussi mauvais. Christophe Bec s'est vautré. Ce malaise...C'est médiocre, les dialogues sont plats, les personnages froids et hautains. Si l'on sent bien l'ambiance "début de siècle" où la science académique ridiculise les visionnaires, et où le romanesque n'existe plus que dans les livres, l'aventure démarre un peu trop vite sur les chapeaux de roue. Pour aller au plus vite, le scénariste emprunte la voie des "flashbacks" en ton sépia qui alourdissent la progression du récit. Le professeur Challenger reste un formidable anti-héros, mais Roxton est insupportable de bravacherie et Ned Malone, notre journaliste-narrateur, fade et totalement anecdotique. Des passages entiers du roman sont modifiés ou supprimés joyeusement, ça parle soudainement de religion et de conquistadors...Sans aller plus loin.
Quelques (rares) dinosaures font de courtes apparitions, puis nada...Le bestiaire est risible, le spectacle et la magie ne sont clairement pas au rendez-vous...On parle de Spinosaurus alors que le seul spécimen de l'époque était au stade de fragments d'os (on ne savait pas qu'il ressemblait à un crocodile)...Pareil pour Quetzalcoatlus qui sera identifié en 1971...Anachronismes, quand tu nous tiens...On sent néanmoins que, derrière l'aspect rocambolesque de sa BD, l'auteur fait une mise à jour sur les connaissances de l'époque et présente des dinosaures à plumes (hypothèse connue depuis 20 ans)...mais sans réelle conviction.
Le scénariste de Carthago s'est lancé dans une adaptation en 3 tomes, mais ne maîtrise pas son sujet. On le sent bien de bout en bout. Le final est misérablement creux. Pas de dinosaure ramené à Londres.
Fabrizio Faina et Mauro Salvatori ont aussi leur part de responsabilité dans ce fiasco. Les dessins sont rigides, statiques, académiques. Les auteurs dessinent des paysages vides, des décors sans exotisme. Les séquences avec les indiens dignes d'un
cannibal-movie italien sont très discutables. Les bestioles préhistoriques sont ringardes et sans imagination...Des serpents et des crocodiles, tu parles d'un "Monde Perdu"...
Spielberg, où es-tu ?
Je reste donc sur ma position. C'est de loin l'adaptation la plus mauvaise du roman.
“Mille millions de mille milliards de mille sabords de tonnerre de Brest ! C'est de l'eau !”