de Jimbolaine » 13/10/2015 16:31
Historiquement, les critères "pavé" cités plus haut s'expliquent parfaitement.
Bon, pour résumer, la BD a toujours cherché auprès de la littérature une légitimité (dont, selon moi, elle n'a pas besoin : la BD est légitime en tant que telle, elle n'a pas besoin de s'afficher en littérature illustrée / mineure / du pauvre, et je crois que nous sommes nombreux à ressentir ce genre de choses).
L'étiquette "roman" chez (À suivre...) témoigne de cette recherche de reconnaissance.
Après, le terme "roman graphique" est la traduction littérale de "graphic novel". Or, cette appellation américaine correspond à deux choses. D'une part des "pavés" comme décrits plus haut, et qui se vendaient en librairie généraliste, au rayon littérature. C'est le cas par exemple de A Contract With God de Will Eisner, en 1978. L'auteur voulait que le bouquin sorte du rayon BD (très réduit à l'époque), et donc ça allait dans le rayon romanesque. De la littérature graphique, un roman graphique.
Les choses se compliquent au peu au tournat des années 1980. De jeunes éditeurs ont lancé des comic books grand format, couverture souple, dos carré, sans pub, vendus en libraires spécialisées (Stewart The Rat de Gerber et Colan ou Sabre de McGregor et Graham, par exemple, pour donner une idée). Les albums en question ressemblaient fort à ce qu'on pouvait trouver en franco-belge souple en 1978, également pour donner une idée. Les plus vieux d'entre nous ont sans doute dans leur collection des Sammy ou des Tuniques Bleues en souple. Bon, bah les premiers albums de comics, c'était ça. Ce format est apparu notamment sous l'influence de la tentative de Dargaud de conquérir le marché enropéen (détrompez-moi : sous l'influence de Greg, je crois…). Et au tout début des années 1980, DC et Marvel ont sorti des collections d'albums de ce format, qu'ils ont appelé des "graphic novels". Pour exemple, là encore pour situer, La Mort de Captain Marvel ou Dieu Crée l'Homme Détruit, ce sont des "graphic novels".
Grosso modo, ces produits se vendaient dans les librairies spécialisées, mais aussi dans les librairies généralistes (américaines). Ces dernières n'ayant pas de rayon BD, elles allaient dans le rayon littérature et ça devenait des "romans graphiques". Ce qui les distinguait, c'est à la fois le format et le fait que l'histoire est d'un seul tenant, que ce n'est pas une série.
Le mot a traversé l'Atlantique notamment grâce à Maus, de Spiegelman. Là intervient le snobisme dont quelqu'un parlait dans un post précédent. Grosso modo, si on lit Maus, on ne lit pas de la bédé, on lit un roman graphique (à prononcer avec un accent "prout prout ma chère"). Et c'est là que le terme a été traduit puis associé à une certaine BD, indé, biographique, politique, ou ce qu'on veut. En passant d'une langue à l'autre, le terme a glissé de sens.
Mais au départ, c'est un terme américain qui désigne l'ensemble des formes que la BD américaine peut revêtir, à l'exception du fascicule mensuel. Si vous jetez un œil dans les catalogues de commande (dans le Previews, par exemple, ou n'importe quel bulletin de commande) vous verrez qu'il y a les pages "comics" (donc les fascicules) et les pages "graphic novels and TPB" (à savoir tout le reste).
Et là encore, on observe un glissement de sens lié à une méconnaissance du format d'origine. Par exemple, les gens disent que Watchmen est un roman graphique. Bah non, c'est une série en douze épisodes. De même, on dit que Sin City est une suite de romans graphiques. Non là encore. Il s'agit de séries, de feuilleton, seul le récit Family Values pourrait correspondre à la notion initiale de "graphic novel".
Donc, l'emploi est abusif dans bien des cas, et il me semble surtout condamnable quand il est utilisé afin de créer une différence qualitative ou critique (genre "bédé, pouah caca, roman graphique miam miam", vous voyez le genre). Mais dans la bouche de quelqu'un qui ne souffre pas de ce snobisme, je m'en fous un peu. Et sur un bandeau promotionnel, encore plus. On sait bien que les arguments de vente ne sont pas toujours les meilleurs.
Après, c'est également une manière de mettre en valeur le format du Maître d'armes. Les éditeurs disent qu'il est difficile de vendre des one-shots (mais qu'il est également difficile de vendre des séries, quadrature du cercle), et peut-être que mettre en valeur l'aspect romanesque, à la fois en termes de contenant et de contenu, peut s'avérer payant.
Enfin, un one-shot avec une pagination gonflée, ça me semble s'approcher de la définition. Si on me dit que Jolies Ténèbres ou Souvenir de l'empire de l'atome sont des romans graphiques, je trouve l'appellation un peu snob, mais loin d'être fausse.
Mais ceci n'est que mon avis.
Jim