de Deheffe Chevelu » 21/03/2024 14:44
Ah ! Je cherchais un sujet pertinent pour parler de Ray Banana. Celui-ci, bien qu’ancien, semble convenir et moins triste que celui sur l’annonce de son décès. Désolé donc si ça ne se fait pas, mais je réactive.
La question de la « Ligne Claire » n’en est pas une pour moi. Je ne sais pas ce qu’en pensent les dessinateurs concernés par l’étiquette, je comprends le concept de Joost Swarte (j’ai même l’un de ses recueils), mais comme pour certains styles musicaux (le shoegaze par exemple, si ça parle à quelqu’un), j’imagine que nombre d’artistes détestent être rangés dans des cases ; en BD, ils préfèrent en faire.
Ce qui me dérange, c’est l’utilisation abusive, voire erronée du terme. Son existence est en revanche utile pour décrypter l’histoire de la BD.
A la fin des années 70, ces – alors – jeunes auteurs, comme les punks étaient allés farfouiller dans les basiques Rock’n’roll des 50’s pour n’en retenir que la substantifique moelle (urgence, efficacité, brutalité, sexualité, boucan etc.), les Floc’h, Clerc, Chaland, Benoit et consorts ont bloqué sur DES graphismes utilisés dans les années 40 et 50 et les ont, eux, moins salopés, mais sacrément bousculés tout de même.
Au-delà de l’aspect respectueux des dessins, les situations, personnages, scénarii sont violents, méchants, iconoclastes et autant libérateurs, bien que post-modernes, que les jets de foutre des Buzzcocks et autres Sex Pistols. Et tout aussi créatifs que les chevauchées lysergiques de leurs prédécesseurs, autres dynamiteurs de la BD (Druillet, Moebius, F’murr etc.), qui seraient un peu à ladite Ligne claire ce que le rock progressif fût au punk (un truc pompier, gavé de drogues planantes, souvent saoulant – sans faire injure à Moebius que je vénère et F’murr que je respecte ; et je ne peux nier la folle originalité de Druillet). On respecte la forme, pas le fond, et là où les grands anciens étaient interdits de sexe, de sang et de second degré, nos "soixante-dix-huitards" en tartinent leurs œuvres.
Le Jeune Albert est un monstre. Les Innommables (pas ligne claire, nous y reviendrons) sont sales, immoraux, proxénètes, anticonformistes et antimilitaristes, dégénérés (Tim), cynico-dépressifs (Tony), tendres mais rudes (Mac). Les personnages de Clerc sont désabusés, alcooliques et dépravés. Freddy Lombard et son acolyte Sweep se montrent parfois cruels (Vacances à Budapest, notamment). Ray Banana est un anti-héros lunaire, peut-être un peu con. Jopo de Pojo et Anton Massakar sont des psychopathes. Les exemples sont nombreux.
Mais c’est à peu près tout ce qui les lie. Même Floc’h, souvent considéré comme un snob se prenant pour un aristocrate revendique cette « punkitude » dans je ne sais plus quelle interview. C'est dire.
Là où, sans m’insurger, je conteste, c’est quand aucune nuance n’est faite entre, mettons, le Yves Chaland des premiers Freddy Lombard, Adolphus Claar et Bob Fish - qui doivent bien plus à Jijé, au Tillieux 50’s et au Franquin de la même décennie, donc au style dit « Atome » ou « École de Marcinelle » - et celui de F52 (franchement hergéen, comme commençait à l’être l’album précédent). Et même raisonnement pour pas mal d’œuvres de Serge Clerc qui lui, à mon avis, passe de l’influence Moebius à celle Jijé (oui, ce dernier a en partie formé Giraud, mais pas pour la SF) sans passer par la case Tintin.
Cela vaut aussi aujourd’hui pour Schwartz. Et même Conrad, dans l’exercice de style de RAJ (au demeurant fort réussi), ne parvient pas à complètement se détacher de Morris (normal puisqu’il sortait de l’expérience Kid Lucky et que le sevrage fut long entre les Cotton Kid et les derniers Innommables) et autres dessinateurs labellisés « Spirou ».
Le cas Berthet relève plus de l’ovni. Cet autre talent pur n’est à mon avis à ranger dans aucune case et c’est bien ce qui en fait toute l’originalité (et que ceux qui lui reprochent une certaine froideur peuvent lui préférer Reiser s’ils le souhaitent, moi je n’ai pas envie de choisir). Ni semi-réaliste, ni totalement réaliste, ni passéiste ni moderne. Juste un génie.
On peut néanmoins considérer Lloyd / Couleur Café, comme plutôt Ligne Claire.
Et Frank Le Gall dans tout ça ?
Je reviendrai sur Ray Banana ultérieurement, me rendant compte que mes bavardages sont nettement plus longs que la majorité des posts…
Ne dîtes plus : "critique de B.D. biodégradable", dîtes : "exégète"... Y&C