cicerobuck a écrit:Intéressant. The Comics Journal avait publié une critique incendiaire de cette, oeuvre, l'accusant de bêtise et complaisance. La critique était bien construite, fournie, très au fait de l'oeuvre adaptée, mais bon, ce n'est qu'un point de vue.
On sait que Dazai s'est très largement inspiré de sa propre vie pour écrire Ningen shikaku, même si dans son roman, il introduit une distance par le fait que le narrateur ne fait que retranscrire des carnets retrouvés écrits par quelqu'un d'autre.
Cette distance, Ito choisit une autre manière de la mettre en images à la fin de l'album en mettant en scène Dazai lui-même et en lui faisant rencontrer le protagoniste principal de l'histoire, qui lui raconte sa vie. Dazai se servira ensuite de ce matériau pour écrire son oeuvre.
Cette pirouette fait qu'on n'est pas vraiment dans une adaptation du livre de Dazai. Et c'est justement cette pirouette qui donne sens aux décalages entre l'oeuvre de Dazai et la manière dont Ito se la réapproprie et qui rend intéressante une lecture parallèle des deux oeuvres (une expérience qui m'a rappelé le jeu sur la partie bd et la partie texte du Providence d'Alan Moore). C'est d'ailleurs précisément sur ce point que mon interprétation diverge de celle du chroniqueur du Comics journal qui y voit une disparition de la distanciation instaurée par Dazai.
L'artifice mis en place par Junji Ito rompt évidemment le fait que Dazai se soit inspiré de sa propre vie pour écrire Ningen shikaku mais les connaisseurs de Dazai remarqueront une pirouette dans la pirouette. Il ne s'agit en fait pas dans l'album de Ito du vrai Dazai puisque le vrai Dazai s'est suicidé avec une certaine Tomie alors qu'ici il se suicide avec une femme qui se nomme Sachi. Sachi est en fait le nom de la femme du romancier dans une autre oeuvre semi-autobiographique de Dazai, La femme de Villon.
On retrouve ici à nouveau cette dimension de la distanciation et du jeu avec l'oeuvre originale dont certains aspects semblent avoir échappé au chroniqueur du Comic Journal.
Pour le reste, le chroniqueur du CJ avoue n'avoir jamais lu d'autres oeuvres de Junji Ito parce qu'elles ne figurent pas dans le registre de ce qu'il apprécie (en gros, le genre horrifique).
Il regrette que Ito soit resté dans un registre proche de celui qui ne l'intéresse pas.
Comme je l'ai dit dans mon premier message, Ito tire le roman de Dazai vers le grotesque. C'est un parti-pris. On l'accepte ou pas.
La manière dont Ito ajoute des évènements sanglants et grotesques au matériau originel est un parti-pris. Et c'est bien la raison pour laquelle je ne vois pas l'oeuvre d'Ito comme une adaptation mais vraiment comme une réappropriation.
Narrativement, cela peut d'ailleurs très bien s'expliquer par le fait que, dans le manga, le protagoniste principal raconte son histoire au personnage Dazai. On peut très bien concevoir que, dans le cadre du roman qu'il va écrire à partir de cette histoire qui lui a été racontée, le personnage Dazai choisisse de supprimer certains passages qui, eux, seront bien présents dans le manga.
A nouveau, distanciation et jeu avec l'œuvre originale.
Peut-être ce jeu est-il bête et complaisant, mais si on part dans les accusations de complaisance, je pense que c'est justement sur ce point que les détracteurs de Dazai lui-même baseront leurs critiques.
A complaisant, complaisant et demi alors...
Le chroniqueur axe ses accusations de complaisance sur le traitement des personnages féminins et la misogynie du manga.
Je ne le suis pas sur ce terrain. La chronique me semble à ce propos très "politiquement correcte 2020".
Il écrit "It feels like Ito, by bringing in his horror tropes, amplified what was already problematic".
Ben oui, c'est vrai. Mais fallait le dire tout de suite qu'on trouve que le livre de Dazai est lui aussi problématique…
Le lien vers la critique du Comics Journal :
http://www.tcj.com/reviews/no-longer-human/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=no-longer-humanBon sinon, pour découvrir Dazai, je conseillerais plutôt Soleil couchant, en fait.
"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
Denis Johnson - "Arbre de fumée"