À la fin des années 70 fut créé le personne de la cartomancienne Madame Xanadu, jouant essentiellement le rôle de conteuse liant vaguement entre elles les histoires fantastiques de la série
Doorway to Nightmare. On doit notamment à Michael Wm. Kaluta un certain nombre de couvertures assez mythiques pour les premiers numéros (telle
celle-ci, pour mémoire), pour lesquelles il s'inspira d'ailleurs de sa compagne, preuve supplémentaire que le monsieur a, outre un talent fou, beaucoup de goût.
Il aura fallu attendre trente ans pour que Madame Xanadu (identifiée entre temps à l'immortelle Nimue de la littérature arthurienne...) hérite d'une série à son nom, scénarisée par Matt Wagner et d'abord confiée aux pinceaux d'Amy Reeder, et un an de plus pour que quelqu'un ait la bonne idée de confier le dessin d'une histoire complète, en cinq
issues, au dessinateur qui avait tant fait initialement pour l'image du personnage. Il était temps, non ?
Et là, dès la première page
(d'ailleurs il faut que je voie si je peux envoyer ça pour compléter la fiche de la BEL, en attendant il faut me croire sur parole Edit: done ), c'est le choc graphique majeur. Nous sommes à New York en 1940 et on jurerait que Kaluta est né pour illustrer cette période. Vingt ans plus tôt, sa courte reprise du bon vieux Shadow était déjà fort appréciable, mais là on est à un tout autre niveau. Le dessin est fabuleux, l'ambiance extrêmement bien travaillée, rapidement on ne compte plus les planches qu'on aurait envie d'encadrer et d'afficher au mur.
Mais viennent aussi s'intercaler des séances en flashback dans l'Espagne de la fin du XVe siècle, et là les choses se gâtent. Primo, on sent que Kaluta y est beaucoup moins à son aise, moins inspiré. Secundo, il n'est pas aidé par le scénar' qui dans ces moments-là part en roue libre. Autant dans la partie "1940", l'intrigue policière / surnaturelle, si elle n'est pas d'une originalité absolue, est très bien travaillée, autant la partie "1490" donne l'impression que Wagner a trouvé deux idées suffisamment
bankables pour s'épargner la peine d'en faire quelque chose : un couple lesbien + la très méchante Inquisition.
Aah, l'Inquisition...! J'en viens à me dire que dans les comics, entre autres (mais aussi au cinoche, ou encore tout récemment à la télé), elle tient un peu le rôle des nazis quand la chronologie ne permet pas de caser ces derniers. Une figure du Mal à moindre coût, livrée clé en main avec une pleine valise de clichés prêts à l'emploi, objet d'une détestation à peu près universelle, ce qui permet d'en faire à peu près n'importe quoi sans que personne ne râle. Et Wagner, donc, ne se prive pas.
Mention spéciale à la justification des problèmes de l'héroïne avec l'institution : une sorcière immortelle débarque en Espagne, se met ostensiblement en couple avec une rouquine, partage son temps entre confection de potions, parties de jambes en l'air saphiques et grands discours sur les vraies forces de la Nature qui résident au fond des bois... mais c'est quand elle aide une voisine à accoucher que le curé local, représentant de la vilaine Église-catholique-qui-veut-éradiquer-tous-les-savoirs-ancestraux-du-bon-peuple, court la dénoncer directement à Torquemada lui-même (lequel est fanatique mais hypocrite et libidineux mais frustré, comme il se doit).
Avec tout ça on se demande bien quel est le rapport entre ces flashbacks et la partie moderne de l'histoire, et quand le dit rapport est finalement révélé... mouais, bon, on aurait presque préféré ne pas savoir tellement la justification est bancale, et on se concentre sur le spectaculaire combat final en essayant d'en oublier les tenants et aboutissants. Un peu dommage...
En résumé, Exodus noir aurait pu constituer une porte d'entrée idéale dans l'univers de Madame Xanadu, avec son intrigue bien travaillée pour la partie "moderne" - et principale (malgré ce que pourraient faire croire mes longues digressions ci-dessus) - de l'histoire, et le graphisme fabuleux de Mike Kaluta.
Malheureusement, la partie plus ancienne qui se mêle au récit vient un peu gâcher la fête - sauf à être antireligieux forcené ET peu regardant sur le recyclage des clichés. Au final on obtient un album globalement correct, qui s'envole toutefois par moments - surtout grâce à Kaluta - vers les sommets, ce qui rend d'autant plus regrettable que tout ne soit pas de ce niveau-là.