Bon... J'ai passé deux bonnes heures hier soir à vous répondre de façon détaillée, en pure perte parce que vlan, une erreur de souris, et j'ai perdu tout mon texte. C'est la vingtième fois que je me promets de ne plus jamais écrire un texte long dans un éditeur en ligne, au lieu de passer par un traitement de texte. Enfin bref. Cent fois sur le métier, blablabla, y’a rien d’autre à faire que râler un bon coup et tout refaire.
Je vais commencer en rappelant que je suis à la fois de BDgest et de l'ACBD. Si vous avez des questions, n'hésitez pas. J'arrive un peu tard dans le débat, mais tant pis. Je vous propose de compléter votre information ; vous pourrez continuer de protester contre le Prix de la Critique, mais cette fois ce sera pour de bons motifs et en toute connaissance de cause.
Je vais commencer par répondre à Scalp, qui précise qu'il n'a « rien lu dans cette liste ».
Je reconnais que c'est pénible, quand des soi-disant "critiques" se permettent de mettre en avant des bouquins qu'on n'a pas lu. Surtout quand on a un budget BD conséquent. Parce qu’alors, on a une bonne vingtaine d’exemples de bouquins formidables à l’esprit, qui auraient bien mérité un prix, et n’ont même pas été cités. Mais il y a pire, c’est d’avoir lu les bouquins sélectionnés et de ne pas les avoir aimés. Là, on se demande si le jury a bien les yeux en face des trous. Au fond, c’est Dali qui avait raison : « le bon goût, c’est mon goût ». On est tous d'accord avec ça.
Scalp précise ensuite que la sélection ACBD «
manque de femmes et de guns », et là, heureusement qu’il avait commencé par préciser qu'il n'a rien lu dans la liste. Car des guns, il y en a un certain nombre dans "
Massacre au pont de No Gun Ri", et pour ce qui est des femmes, et même des femmes à poil, "
Kiki de Montparnasse" semble être un ouvrage de référence sur le sujet.
De son côté, Okilebo s'interroge, et il fait bien, quant aux
critères de sélection du jury de l'ACBD.
Voilà une bonne question pour me permettre d'entrer dans le débat. Le Prix ACBD, comment ça marche ? A vrai dire, il y a un seul critère, qui nécessite quelques explications : la date de publication. Les titres sélectionnés pour le prix ACBD 2008 devaient obligatoirement être des nouveautés, publiées dans l'Espace francophone européen (France, Belgique, Suisse), dans la période qui va de novembre 2006 à octobre 2007 inclus. Attention, nous ne parlons pas ici de dépôt légal (qui est une date administrative relativement arbitraire, souvent imprécise, et dont l’intérêt est somme toute très limité sauf pour certains collectionneurs scrupuleux). Seule compte la date de publication, autrement dit, la date à laquelle un bouquin est officiellement disponible et en vente dans les librairies. En théorie, les livres du début de période ont presque toutes les chances d’être disqualifiés.
Seules contre tous, publié en novembre 2006, et lauréat du prix 2008 est un contre-exemple.
Entre novembre 2006 et octobre 2007, il y a eu 3285 nouveautés chez l’ensemble des éditeurs de bande dessinée. Et là, c’est sans doute un scandale, mais personne au sein de l’ACBD n’a lu tout ça. D’où l’appellation prudente « prix de la critique », et non pas un plus pontifiant « meilleur album de l’année». Mais au fait, s’ils ne lisent pas tout, que lisent les membres de l’ACBD ?
Quelqu’un a avancé que les membres de l’ACBD lisaient et chroniquaient uniquement les livres reçus au titre du service de presse. C’est une supposition franchement hasardeuse. Je ne vois pas du tout ce qui vous permet d’avancer que les journalistes épris de bande dessinée, sous prétexte qu’ils reçoivent certains ouvrages gratuitement, cesseraient totalement de fréquenter les librairies ou les bibliothèques, refuseraient par principe d’acheter des bouquins, et renonceraient à toute forme de curiosité. Pour ma part, j’ai toutes sortes de sources pour lire des bouquins. J’en reçois, j’en achète, j’en emprunte, j’en lis sur place ; et (mille grâces lui soient rendues) j’ai un libraire qui accepte que je le prenne pour une bibliothèque (moyennant quoi, je suis aussi un bon client).
Du reste, comprenez bien que l’ACBD ne sort pas de son hibernation au moment du Prix de la critique, procède aux votes et replonge en léthargie. Non. Les membres se rencontrent régulièrement, discutent de leurs lectures et d’autres sujets (on peut être bédéphile sans être bédémane). A cela s’ajoutent des échanges par e-mail ou dans un forum privé, qui permet à chacun de pointer les livres marquants, ce qui vaut pour recommandation à tous les autres membres. Comme l’association compte 74 adhérents, il y a une grande diversité d’individualités, diversité qui se retrouve dans les goûts exprimés.
Justement, parlons des votes. C’est une procédure en quatre étapes. Un tout premier vote permet à chaque membre de signifier son intérêt pour cinq titres. Une liste de tous les titres cités au moins une fois est alors diffusée, avec les fréquences de citation. Cela permet à chacun de rattraper dare-dare les titres non lus dans l’année.
Pour le second tour, seuls les titres cités au moins une fois au premier tour sont éligibles (les deux tours étant assez rapprochés, c’est logique). La différence, c’est que cette fois, les choix doivent être exprimés par ordre de préférence : 5 points pour le premier, 4 pour le deuxième, … , 1 pour le cinquième choix. Le dépouillement doit avoir des allures de concours Eurovision, mais aucune télé n’a le courage de le retransmettre, ouf.
Une seconde liste est créée, et les quinze titres qui obtiennent le plus haut coefficient sont rendus publics. Souvenez-vous, je vous en ai parlé dans le webzine. (Le quoi ? Les niouzes !) :
Sélection préalable au Prix ACBD 2008
Ces quinze titres font alors l’objet d’un débat, qui a traditionnellement lieu lors du festival BDBOUM à Blois. L’objectif étant de discuter des mérites comparés des uns et des autres, pour sortir avec une « sélection officielle » de cinq livres seulement.
Seuls les membres ACBD qui ont fait le déplacement à Blois peuvent voter lors de ce débat, ce qui fait tout de même une vingtaine de personnes chaque année.
Dernière étape, tous les membres ACBD votent une dernière fois pour leur titre favori parmi les cinq encore en lice. Celui qui obtient le plus grand nombre de voix est désigné « Grand Prix de la Critique ».
J’y suis depuis trois ans, et je témoigne qu’à aucun moment, il n’a été question de favoriser tel ou tel éditeur, ni de chercher un quelconque équilibre selon des critères plus ou moins objectifs. De toute façon, autant on peut espérer satisfaire les éditeurs avec une sélection de cinquante bouquins, autant avec cinq, c’est le casse-pipe garanti. Et puis, souvenez-vous, en 2006, sur la sélection étendue de quinze titres, il y avait 7 albums Futuropolis, une omniprésence qui avait fait couler beaucoup d’encre… Ce n’était pas concerté.
J’ouvre une parenthèse pour commenter une brève que j’ai lue sur l’excellent site du9.org. On pouvait y lire « L’ACBD n’aime pas les indépendants ». Le constat me semble non seulement erroné, mais surtout complètement à côté de la plaque.
La notion d’indépendance, d’abord, est passablement désuète. Elle ne qualifie que l’éditeur, et n’est un critère ni objectif, ni pertinent. Des structures comme Delcourt, Glénat ou Soleil sont tout aussi « indépendantes » que Six Pieds sous terre ou Atrabile. Si indépendant désigne un certain type de livres, bon courage pour différencier Quimby the mouse (paru à l’Asssociation) et ACME (chez Delcourt). Et que dire de structures, comme les éditions de l’AN 2, qui ne doivent leur survie qu’au fait de s’être adossées à un éditeur plus puissant, sans que cette « dépendance » ait eu de conséquence perceptible sur la ligne éditoriale ? Que dire encore de ces éditeurs économiquement petits, qui font des albums main-stream et pourtant à petit tirage (les clés du succès sont peut-être aujourd’hui aux mains des diffuseurs), comme Théloma ou Des ronds dans l’O ?
Allez, arrêtons une bonne fois pour toute avec cette histoire d’indépendance. On ne peut même pas s’en servir pour parler des auteurs, puisque ces derniers ne s’attachent que très rarement à un éditeur particulier (bon, d’accord, pour lire les œuvres de Marjane Satrapi ou celles des jubilatoires Ruppert & Mulot, c’est à L’Association que ça se passe). Les auteurs-maison sont aujourd’hui l’exception. Même les auteurs-éditeurs font des infidélités à leur propre structure pour publier des bouquins ailleurs.
Franchement, l’attachement de principe à un éditeur n’est pas une attitude critique rationnelle. Tezuka serait un génie chez Cornélius, et un marchand de soupe quand il est édité chez les autres ? Il faudrait lire Le Petit Christian de Blutch, mais éviter Mademoiselle Sunnymoon (exemple d’autant plus troublant, que les deux séries firent les beaux jours de Fluide Glacial) ?
L’ACBD ne méprise aucun éditeur, mais le Prix de la Critique n’est pas là pour récompenser un éditeur. Il ne cherche même pas à honorer un auteur – la meilleure preuve étant la présence au palmarès d’auteurs du bout du monde, un Coréen, un Australien et une Américaine. Non : c’est un livre qui est récompensé. Un L-I-V-R-E et pas autre chose.
Et puis, histoire d’en finir avec ce sujet, ce n’est vraiment pas la bonne année pour en remontrer à l’ACBD sur le thème d’un désamour hypothétique envers les, disons, "alternatifs". Outre Vertige, il me semble que le Seuil, éditeur de poids pour la littérature non graphique, a en matière de bande dessinée une ligne éditoriale qui n’a rien à envier à des structures réputées exigeantes ou innovantes. Bon sang, c’est quand même le Seuil qui édite Perrine Rouillon, grande défricheuse du 9e art !
Et il faut quand même une sacrée dose de mauvaise foi pour classer dans les indépendants un bouquin quand il est chez Fantagraphics, et pour le considérer autrement parce qu’il est soutenu et publié au Seuil.
Juste par curiosité, je pourrais ouvrir un topic avec Top 5 (ou Top 10 ou Top 20) des personnes à boules violettes ? Pour évaluer le fossé entre l' ACBD et des gens à peu près normaux...
Pour ce qui est d’opposer le choix des libraires à celui de l’ACBD…
Les libraires eux aussi ont, via l’ALBD, un prix annuel. Tu peux donc facilement comparer les sélections. L’an dernier, quand l’ACBD élisait « Les petits ruisseaux » de Rabaté, l’ALBD distinguait « Les cinq conteurs de Bagdad ». Et pour info, la première fois que j’ai entendu parler de « Seules contre tous », c’était dans une émission Web-TV nommée « Pan ! Dans la bulle », sur gaspanik.tv, et c’était un libraire qui avait apporté ça dans l’émission, c’était son coup de cœur…
Je ne sais pas si ça t’aide beaucoup à en dégager un enseignement.
Ce qui est étonnant c'est que les 5 albums mis en avant pour recevoir un prix milliésimé 2008 soient sortis en librairie entre septembre 2006 et mars 2007, ça c'est certain.
Alors, effectivement, c’est une bonne question, et il y a une bonne explication.
D’abord, je le répète, les livres sont sortis en librairie entre novembre 2006 et octobre 2007 ; ne confondons pas dépôt légal et date de publication. Le fait que les cinq albums distingués soient tous du premier semestre est une coïncidence. C’est atypique, mais ça arrive.
Mais parlons un peu du millésime. A l’origine, le prix de la critique était remis à Angoulême, en même temps que les prix du jury du FIBD. Et comme vous le savez tous, Angoulême, c’est en janvier, et les prix récompensent des livres parus dans l’année calendaire précédente.
En janvier 2008, le FIMD 2008 choisira ses « Indispensables 2008 » parmi des bouquins parus en 2007. C’est comme ça, personne n’y voit rien à redire.
Donc, pendant près de 20 ans, le prix Bloody Mary (c’est comme ça que le prix de l’ACBD s’appelait avant de devenir le Grand Prix de la critique) a été remis, millésime après millésime, à Angoulême, fin janvier de chaque année.
Jusqu’au moment où l’organisation du festival a fait savoir à l’ACBD qu’elle n’était plus la bienvenue dans sa cérémonie de remise de prix. La stratégie du festival, à l’époque, devait être de créer une « marque » et de zapper tout ce qui échappait à son contrôle. Conséquence, seuls les prix estampillés « Angoulême » pouvaient être annoncés pendant le festival.
L’ACBD a pris acte de cette séparation, et par pur cabotinage, a décidé de devancer de quelques jours l’annonce des sélections officielles du FIBD, qui ont traditionnellement lieu début décembre.
Il y a donc eu une année où deux prix ACBD ont été annoncés : l’un en janvier, l’autre en décembre. Il est possible qu’un jour le prix de la critique soit de nouveau le bienvenu à Angoulême (et que l’ACBD accepte d’y retourner), et toute cette histoire de millésimes rentrera dans l’ordre.
C’est vrai que la situation cette année est assez inédite : le prix 2008 se trouve récompenser un livre publié en novembre 2006. Put the blame on Angouleme, boy !
(pour être parfaitement complet, le prix 2008, qui vient d’être annoncé, sera officiellement remis en mars 2008, lors du Salon du livre de Paris 2008, à l’auteur si elle est présente, ou à quelqu’un habilité à la représenter)
je trouve que la sélection de ce "Grand Prix de la Critique" manque fortement de personnalité.
Alors toi, autant tu écrivais des carabistouilles dans ta brève sur du9.org (cf. ci-dessus), autant là, tu as raison, évidemment. Le Grand Prix de la Critique résulte de 74 personnalités fortes qui n’ont pas les mêmes goûts. Il y a forcément quelque chose de mou dans ce qui découle du conflit entre toutes ces forces divergentes. C’est mécanique.
Pour reprendre une remarque drôle et pertinente de Jean-Louis Gauthey : « La critique n’éclaire que la lumière ». Il a raison, surtout quand on s’y met à plusieurs, avec des gens qui viennent d’horizon très différents (presse quotidienne régionale, grands quotidiens nationaux, radios diverses, télés, magazines et sites web spécialisés).
La Critique ACBD, n’est pas une critique savante ou polémique, comme celle qui s’exprime sur du9.org ou dans les pages de 9eme Art, Comix Club, L’Eprouvette ou Bananas. C’est une critique au sens médiatique, pas au sens académique. La sélection ne te satisfait pas ? Normal, « le bon goût, c’est mon goût ». Tu préfères Eléphant au Pont de No Gun Ri, c’est ton droit.
En revanche, comme j’expliquais plus haut, il n’y a pas eu de calculs savants ni d’intention d’arriver à une sélection officielle qui soit politiquement correcte. Je constate, comme toi, que la sélection ACBD 2008 présente cinq éditeurs différents dont deux indés, 3 auteurs non francophones avec une belle répartition continentale (un asiatique, une américaine et un australien), que les livres présentent une variété formelle trop scolaire pour être honnête, et qu’on a même une surreprésentation presque anormale des femmes-auteurs dans cette sélection (deux sur cinq, alors que d’après les statistiques, il y a seulement 10% de femmes parmi les auteurs de bande dessinée). Et bien oui, peut-être. Mais c’est fortuit. Lors du débat à Blois, je n’ai pas entendu de voix s’élever en faveur d’une certaine architecture ou de la nécessité d’avoir une BD asiatique. Il y avait seulement d’ardents défenseurs de tel ou tel livre, pour des raisons très diverses.
Bon, à part ça, l’appellation « ACBD = collectif mou » me fait bien marrer. C’est vrai sans l’être, ptêt ben qu’oui, p’têt ben qu’non, ça dépend des jours, cqfd. Mais l’association ne tire pas sa légitimité de son prix annuel, c’est exactement l’inverse : l’ACBD a été créée spécifiquement pour remettre un prix annuel de la critique. C’est sa seule "fonction". L’ACBD est légitime par le seul fait de la réunion des membres qui la composent, et non pas à cause de du prix qu’elle remet. Le fait que les 74 membres soient tous des chroniqueurs de BD réguliers sur leurs médias respectifs, offre une médiatisation évidente au livre lauréat, médiatisation qui fait boule de neige dans les autres supports. Du9.org commente chaque année le prix de la critique, ainsi que le rapport sur la bande dessinée de Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD.
Les effets secondaires de l’ACBD, sont de l’ordre d’une plus grande complicité, camaraderie ou amitié entre gens qui partagent une passion commune, font quelques bouffes ensemble dans l’année, et se croisent dans des salons et autres pince-fesses plus ou moins cocktailisés.
N’importe qui peut présenter un dossier d’adhésion à l’ACBD ; le critère consistant à trouver deux parrains n’étant pas le plus compliqué, surtout aujourd’hui que le listing exhaustif des membres est public sur le site
www.acbd.fr.