ça y est, je viens de le finir ya quelques dizaines de minutes. Il m'aura fallu un bon mois (bon okay j'avais beaucoup d'autres lectures à côté) et encore je n'ai lu que quelques paragraphes de l'appendice (pour les pages qui m'intriguaient, en parallèle de leur lecture).
Bon comme tout le monde j'ai faillit m'arrêter à de nombreuses reprises, et comme tout le monde la visite des monuments francs-maçoniques de Londres par le Dr. William Gull et le cochet Nettley m'a assomé. Il s'agit peut-être des 30 pages les plus denses de l'histoire de la BD (surtout compte tenu du format de celles-ci (19x25 environ, donc bien moins qu'une BD franco-belge classique)). Il m'aura fallu plus d'une heure pour en venir à bout. Ca coupe le récit, ça fatigue, et on ne comprend absolument pas ce que ça vient faire là si ce n'est que Moore veut étaler ses connaissances (ce n'est qu'en avançant dans le récit que j'en ai compris toute l'importance, tout comme pour beaucoup d'autres détails qui nous sont donnés ici ou là). C'est très fastidieux mais c'est aussi une mine de savoir vraiment intéressante à découvrir, passionante même sur certains points.
Pour moi, les 150 dernières pages sont véritablement les plus prenantes du bouquin, les plus extraordinaires... Et dire que j'avais faillit lâcher le livre pas longtemps avant d'arriver à cette partie finale. On a le droit (enfin) au dénouement de toutes les intrigues que l'auteur a trainé jusque là : "l'oeuvre" de Gull, l'enquête, la machination, la relation Aberline/Emma... Et puis surtout, le plus important à mon goût, ce magnifique chapitre 14 où Moore "matérialise" la "quatrième dimension" ("tous les temps coexistent dans le stupéfiant ensemble de l'éternité", c'est déjà très difficile de se l'imaginer, alors nous le "montrer"... vraiment chapeau). On comprend d'ailleurs en re-feuilletant le bouquin que ce chapitre est dans la continuité logique d'autres chapitres et n'est pas un ovni malgré l'impression qu'il pourrait donné.
C'est vraiment un livre énorme, tant par l'érudition et les connaissances qu'il aura fallu à son auteur pour l'écrire (Moore est allé jusqu'à consulter les compte-rendu météorologique de l'époque) que par sa construction narrative impressionante et son contenu extrêmement riche. Seul une BD pouvait offrir un tel rendu (bien plus qu'un roman), et sans doute seul Moore pouvait le faire ainsi. Il y a des mises en parallèles, des mises en abime, tout un tas d'effets narratifs très variés et recherchés, lorsque l'on a fini le livre on comprend alors que tout se tient, que chaque détail semblant anodin a en faite son importance (oui, je suis encore sous le choc).
D'ailleurs j'ai eu comme l'impression qu'il y avait dans le livre, en gros, 2 niveaux de lecture : le réel et le spirituel. D'un côté l'enquête, la pauvreté, la vérité sociale de l'Est End, les meurtres brutes, la bassesse humaine... et de l'autre la franc-maçonnerie, la symbolique des meurtres (dépourvus dans cette optique de toute horreur et même de leur réalité matérielle), le mysticisme, la folie... ça ne vous rappel rien? l'opposition entre le conscient et l'inconscient, entre le soleil et la lune, entre l'homme et la femme, entre la poésie, l'art et la rêverie d'une part, et l'ordre, la hiérarchie et le pragmatisme d'autre part (pour saisir cela il faut bien sûr avoir lu attentivement la ballade dans Londres). Et, paradoxalement, c'est le Dr. Gull qui représente la partie "inconsciente" alors qu'il dit se battre pour le "conscient", et ce sont les prostitués (pas seulement, certes) qui représentent la partie "consciente" alors que selon la théorie de Gull (découlant de la pensée dyionisiaque d'après ce qu'il dit) les femmes sont membres de la partie "inconsciente". D'ailleurs, autre syndrôme de ce paradoxe, lorsque Gull voit ce que le monde actuel est devenu il est dégoûté alors qu'il s'agit pourtant là de l'aboutissement ultime de toutes les valeurs de la partie consciente de l'humanité.Bon peut-être que je m'égare carrément (je n'ai pas lu l'appendice en totalité et je crois que de toute façon Moore ne parle pas de cet aspect) mais bon c'est l'impression que j'ai eu une fois le livre fermé.
D'ailleurs je voulais dire que je n'étais pas d'accord avec ce qu'a dit ghinzdra a dit plus haut :
le Docteur Gull en tuant ces putains croient les faire entrer dans la légende , leur donner une forme d'immortalité . Lorsqu'il devient "Dieu" en ce qu'il est omniscient , omniprésent , omnipotent il retombe sur les 5 prostituées et Mary Kelly refuse ce qu'il leur proposait....
je pense plutôt qu'il s'agit d'une matérialisation de la fameuse "quatrième dimension" dont je parlais plus haut, en ce sens que le temps n'est pas linéaire mais multiple, que les prostitués assassinés existent en même temps en 1888 et en 1904 (ou 1905) et dans beaucoup d'autres "rythmes quadridimensionnels" (ce sont les termes de Hinton). Les prostitués que Gull a tué sont pour lui la représentation ultime du camp "inconscient" (ou "lunaire", ou "artistique"). Et cette partie inconsciente de l'humanité est une réalité qui a toujours existé et qui existera toujours. D'où le fait que l'on retrouve les prostitués 15 ans plus tard et 30 ans plus jeunes. Ce ne sont pas les prostitués qu'il a tué que Gull voit, mais les représentantes de la part inconsciente de l'humanité matérialisées dans ces 5 femmes.
Sur ce, bonne nuit (quoi que pour ma part je vais lire encore une bonne partie de la night).