Jimbolaine a écrit:silversurfer a écrit:Alors moi je n'aime pas cette expression ni encore moins sa traduction française "roman graphique" :
Moi non plus.
silversurfer a écrit:* ça vehicule l'idée qu'il y aurait une BD "noble" appelée "graphic novel" et une BD "vulgaire" non-artistique, le "comics". C'est donc méprisant pour toutes les oeuvres qui ne méritent pas le nom de "graphic novel"
Il y a de ça, c'est évident. Derrière se cache une forme de snobisme…
silversurfer a écrit:* la comparaison avec un roman ("novel") n'a à mon avis aucun sens, une bd n'est pas un roman. Ca sous-entend que dans ses meilleurs moments, la bd arrive exceptionnellement à produire des oeuvres qui atteignent la 'qualité' d'un roman. C'est donc assez méprisant pour la bd en général.
La comparaison avec un roman, c'est quand même une arlésienne fantasmée de l'édition BD, quel que soit le pays. Le récit, en poche,
It Rhymes with Lust, d'Arnold Drake et Matt Baker (intrigue entre polar et romance, au dessin proprement magnifique, dont la réédition chez Dark Horse d'il y a quelques années devrait réjouir tous les curieusx et amateurs de belles choses), publié en 1950, s'inscrivait dans une (éphémère) collection de "picture novel".
Mais chez nous, il n'y a pas si longtemps, il y avait les "romans (À Suivre…)", qui attestent un peu de la même idée.
silversurfer a écrit:Bon maintenant à mon regret l'expression s'est répandue, parce que ça fait plus chic sans doute de lire des "graphic novels/romans graphiques" ...
Oui, c'est un peu comme les gens qui ne font des "dessins animés", mais qui font des "films d'animation".
On dirait parfois que les gens ont honte de leur métier.
Mais bref.
À propos d'Eisner, je crois que l'expression existait avant lui (JP Gabilliet avait cité des exemples, mais je ne retrouve pas ça, là tout de suite). Eisner est l'inventeur de "
sequential art" et le promoteur de "
graphic novel".
"
Graphic novel", dans un premier temps, ça désigne une œuvre d'un seul tenant sans publicité et avec une couverture dure, vendue en librairie, pas en kiosque. En gros, c'est pas de la BD feuilleton avec des pubs et un courrier des lecteurs, achetable en kiosque. De là, l'appellation intervient pour désigner, sur le marché américain, une autre forme de BD, au destin commercial différent.
Le premier
graphic novel d'Eisner,
A Contract With God, correspond à la définition : pas de prépublication (enfin, je crois), pas de pub, couverture dos carrée et vente en librairie. Il sort à un moment où se constitue ce que l'on va appeler le "
direct market", un réseau de librairie spécialisées (ou pas) en BD, qui sert de réseau de point de vente pour ces nouveaux produits.
Les petits éditeurs qui se montent à la même époque (fin des années 1970), et qu'on appelle d'abord "
alternative publishers" puis "
independent publishers" (puis "
independents", les "indépendants", en français : Pacific, Eclipse, puis First, Dark Horse…), fabriquent à leur tour des
graphic novel. Comme par exemple
Stewart the Rat de Gerber et Colan. Et ils ressemblent à quoi, ces
graphic novels là ? à nos albums souples qu'on avait à l'époque (les vieux de mon âge se souviendront que vers la fin des années 1970, on trouvait plein de séries à couvertures souples, j'ai plein de
Sammy ou de
Tuniques Bleues comme ça…). Au début des années 1980, Marvel et DC lancent également des
graphic novels (
La Mort de Captain Marvel, de Starlin, ou
Dieu Crée l'Homme Détruit, de Claremont et Anderson, c'est des
graphic novels dans le sens strict du mot, même si ça ressemble à un album franco-belge à couverture souple). Parce que tous les éditeurs, gros ou petits, ont compris qu'il y avait un nouveau marché, né d'un nouveau réseau de diffusion / distribution.
Depuis lors, comme remarqué par silversurfer, l'expression s'est complètement galvaudée. Désormais, c'est une expression utilisée dans les catalogues de commandes pour désigner tout ce qui n'est pas fascicule. On parle alors de "
TPB, hardcovers and graphic novels" (en gros : "recueils couverture souple, recueils couverture cartonnée et romans graphiques"). C'est devenu un vaste fourre-tout vaguement mélioratif. Pour les médias et les snobs, c'est un mot qu'on remplit d'un sens erroné quand on ne veut pas dire "comic" ou "bande dessinée".
Dans la liste citée par djarf, par exemple, il est impropre de dire que
Cerebus ou
Dark Knight Returns sont des
graphic novels : le premier a été publié sous une forme de fascicules, le second sous une forme de "
prestige format" (des 48 pages couleurs couverture souple sans pub, destinés au marché librairie, mais les quatre numéros ne sont pas indépendants). De même, je crois bien que
From Hell et
Ghost in the Shell ont connu des prépublications. Cette liste d'exemple témoigne bien du fait que le sens d'origine s'est perdu, que l'on considère l'œuvre dans son format final, et pas dans son format d'origine, et sans doute également qu'on nappe l'ensemble d'une petite couche de snobisme.