Pour moi, Blutch, c'est avant tout une science énorme du mouvement, un travail permanent la dessus. Les sujets de ses bandes dessinées tournent d'ailleurs assez souvent autour de ça, que ce soit Vitesse Moderne, bien sûr, mais aussi Péplum qui est véritablement un travail de metteur en scène. Blutch théatralise la bande dessinée, avec tout ce que ça comporte en termes de chorégraphie et de travail sur les corps. Et à travers Total Jazz, il montre bien le lien musique-mouvement. Son univers est unique, car il le construit en fonction de l'évolution de son trait unique.
Il y a un lien assez évident entre Blain et Blutch, mais là où Blutch utilise la souplesse, la fluidité, Blain est plus nerveux et démonstratif.
Ensuite, c'est un artiste de l'économie. 3 Traits, et un personnage étonnament expressif nait sous nos yeux, un personnage qui vit, qui bouge remarquablement. Très peu d'auteurs sont capables de tels tours de force.
Enfin, c'est un des maîtres de "l'accident heureux". Tu disais Yann qu'il y avait des erreurs anatomiques chez Blutch et que c'était étonnant de la part de quelqu'un qui s'interesse de si près au corps. Mais Blutch (qui se raproche de Sfar ici) est de ces auteurs qui considèrent que l'erreur est souvent bénéfique au dessin, qu'il apporte ce trait de folie, de vie qui font la différence entre un bon dessin et un dessin honnête. Ses "erreurs" servent son dessin, lui donnent un côté unique, pris sur le vif, et une vie qui pourraient exister sinon, ne nous méprenons pas, mais certainement pas de la même manière, car il a basé son style en partie la dessus. Il fonctionne un peu à la manière d'un jazzman improvisant en partie à partir de bases extrémement solides. Certaines de ses histoires semblent d'ailleurs aussi basées là-dessus, que ce soit Sunnymoon, Vitesse Modrne ou son petit dernier Volupté. D'une manière générale, ce qui l'intéresse le plus, c'est cette partie floue entre maîtrise totale et asceptisée et foutoir stérile. Il est sur une crde raide, toujours à la limite du basculement d'un côté ou de l'autre, n'y tombant jamais vraiment (on peut citer Rancho Bravo comme son travail le plus "mainstream", pour la palme du plus expérimental, je vais me garder de citer quoi que ce soit
, mais il garde à chaque fois ce petit grain de flie ou de rigueur qui font tout le sel de son boulot) C'est, je pense, pourquoi il peut très bien être publié aussi bien par Fluide ou Dupuis que par l'Asso. D'une part, il voue une véritable vénération pour certains anciens, et certainement pas qu'en bd (pour s'en convaincre, ses marges dans Fluide sont bourrés d'hommages de ce genre) de l'autre il cherche toujours à prendre des risques, à se mettre en danger. Ca explique aussi à mon sens le fait que si on demande à plusieurs "fans" de Blutch le bouquin de lui qu'ils préfèrent, peu donneront la même réponse.