Cobalt 60 a écrit:Alonzo Cabarez a écrit:Rappelons que cette technique mixte était celle par laquelle Gir s'illustra brillament dans les pages du journal Pilote avec la série Fort Navajo rebaptisée plus tard Lieutenant Blueberry.
Eh non, justement. Gir a toujours affirmé que Blueberry, c'était du pinceau et seulement du pinceau. Il doit bien y avoir un ou deux albums sur la fin de la série qui mélangent les deux techniques mais sur peu de planches.
Eh ben si. Je t'accorde volontiers que Blueb est une bande au pinceau, en ce sens que le trait des contours des personnages et des décors, ainsi que les principaux plis des vêtements, sont effectués au pinceau, avec une remarquable dextérité et une merveilleuse souplesse. Mais ça, c'est le style Jijé parfaitement maîtrisé par Gir dans le premier cycle de Fort Navajo. Il n'en restera pas là, même si l'essentiel du dessin de la série Blueberry, c'est-à-dire ce qui permet de comprendre l'action et de visualiser un décor (contours des personnages et décors, plis des vêtements, par exemple), est représenté au pinceau.
Permets-moi de citer quelques extraits datant de 1976 (en fait l'ouvrage fut publié en février 1976 et donc écrit au mieux en 1975), tirés du petit bouquin de Numa Sadoul intitulé
Mister Moebius et Docteur Gir. Jean Giraud, après avoir ouvert sa porte à Numa Sadoul pour des entretiens, lui permet d'écrire :
— page 26 :
"Bornons-nous ici à noter deux caractéristiques essentielles du style de Gir : l'utilisation personnelle de la couleur et la pratique originale du modelé à la plume".— page 26 :
"l'autre caractéristique technique de son dessin est une utilisation complémentaire de la plume, nerveuse et minutieuse au point extrême, constituant en gros le style de Jean Giraud, le style qui a marqué le genre réaliste des dix dernières années et qui a largement fait école parmi la nouvelle génération dessinante... Entendons-nous bien : "Blueberry" est une bande de pinceau, une bande "léchée" et c'est dans des cas bien précis que Gir se sert de la plume. Héritage de Jijé, ce style de dessin souple et "fermé" est significatif du pinceau comme le style de Moebius (*) est davantage représentatif de la plume."(*) observation valable en 1976, mais qui ne le sera plus quelques années plus tard tant les styles Gir et Moebius vont avoir un impact l'un sur l'autre et réciproquement, dans les années qui suivront cette affirmation. N.S. poursuit :
"Dans Blueberry, en plus de la forme dominante au pinceau, il y a une intervention, une superposition de la plume qui vient en quelque sorte parachever le dessin, le modeler, lui donner une épaisseur, la troisième dimension. Une fois que Gir s'est complètement échappé de l'influence de Jijé, il a pour ainsi dire signalé sa technique propre par la prolifération de hachures et de traits incisifs destinés à accuser les visages, à creuser le relief des décors".— page 26, toujours :
"...Ensuite, Giraud a modifié sa gamme à la plume en y introduisant le point, une technique de pointillisme probablement inventée par Moebius et qui, habilement mêlée à celle de la hachure, donne le répertoire actuel de notre auteur."— page 37, à propos du cycle du Général Tête Jaune :
"C'est aussi dans ce cycle que Gir entreprend l'utilisation régulières des hachures à la plume, apportant le relief au dessin du pinceau."— page 47, à propos du cycle du Trésor des Confédérés :
"Dans l'ensemble, le cycle final est du tout grand Gir. Le pinceau est extraordinaire de souplesse. Les hachures à la plume se voient complétées par la technique pointilliste."— Et pour clore cette énumération un brin fastidieuse, je citerais encore la page 57 où Sadoul écrit :
"Jamais auteur bicéphale n'a su à ce point faire fructifier son ambivalence, sans jamais négliger l'une de ses têtes au profit de l'autre. C'est par exemple Moebius qui a expérimenté la technique du modelé à la plume par multiplication des hachures, puis des hachures-points. En revanche, Gir a poussé l'étude de la couleur dont Moebius a récupéré les effets bénéfiques".(à l'époque de l'ouvrage, en 1976, cette allusion de N.S. concerne Arzach, une des très rares bandes de Moebius publiée en couleurs, qui vient tout juste de paraître dans cinq numéros de Métal Hurlant.
L'homme est-il bon ? et la saga de
L'Incal n'ont pas encore vu le jour).
Ces commentaires et analyses de Numa Sadoul trouvent leur fondement dans des entretiens et interviewes que je n'ai pas le temps d'aller retrouver, notamment dans la revue Schtroumpf consacrée à Gir-Moebius puis dans les rééditions augmentées de ce livre.