Puisse l’élu sauver l’unique de son aveuglement. Vingt heures avant, le lecteur fait connaissance avec cet unique : Farid. Il attend le bus dans lequel il déteste rentrer. Nous sommes à Beyrouth, capitale du pays dont le cèdre est le symbole. Symbole d'espoir, de liberté et de mémoire. Farid semble vivre à l’instar de son pays, hanté par de vieux démons. Le bus arrive, Farid y monte. Quarante minutes plus tard, il est toujours dans le bus, à attendre.
C’est alors, qu’enfin il semble en sortir pour rentrer chez lui, cependant son immeuble n’apparaît pas devant ses yeux, ce dernier a littéralement disparu. L’unique se retrouve seul, déboussolé, face à son incompréhension, paumé tout comme cette ville qu’il ne reconnaît plus et n’est même plus terrestre. Ce Beyrouth parallèle se présente alors comme une ville « gothamienne » gardée, surveillée, par un ersatz de Batman.
Farid, après avoir croisé d’étranges personnes, se rend chez un vieil ami non vu depuis deux ans. Ils se comprennent mal et cet ami, Émile, présente sa copine à Farid : Ani. Les présentations se font dans une pièce où une affiche du film « Jules & Jim » est accolée au mur, ce qui est lourd de sens ici, on y aperçoit aussi une représentation de Rimbaud et le célèbre tableau de Courbet. Ani apparaît alors comme un personnage énigmatique et sensuel. Elle lit « La femme des sables ». Il est d’ailleurs certain que ce roman possède des clés pour une meilleure compréhension de cette BD. Ani et Farid se comprennent, s’apprennent et se parlent aisément.
Alors qu’il va se coucher, Farid quitte l’appartement d’Émile pour chercher à comprendre ce qui se passe. Il se retrouve alors dans cette ville, forêt d’immeubles, errant tel un chien blessé, psychiquement pour sa part.
Soudain, un homme, tel un ange gardien, le sauve d’une foule frénétique influencée par les actions du « Batman ». L’homme, qui se dit être agent de sureté, explique à Farid le pourquoi du comment du fonctionnement de cette ville gangrenée. C’est alors que « Batman » les poursuit. Répugnant, il tente de flinguer Farid, sauvé in extremis, une nouvelle fois, par l’homme ange gardien. Ce dernier entamant le chant symbole des luttes sociales.
De leur côté, Émile dont l’esprit semble être mieux éclairé et Ani, étrange relation, commencent à faire l’amour. Quant à Farid, il se rend chez ses parents et se souvient. Il revoit sa mère qui le questionne pour l’aiguiller vers la sortie. Et de questions aux questions, Farid s’y perd, la violence est humaine, les mouches sont de sortie. Il s’enivre d’alcool et de folie, puis retourne chez Émile. Ce dernier est nu, mort. Il semble en être de même pour Ani, consommée et allongée sur le lit. Son corps attire Farid, il est à l’image du tableau de Courbet, sublime et ouvert. La mère de Farid avait prévenu, Farid aime la chatte, bien plus qu’il ne l’aime elle. Aussi morte soit-elle. Alors que Farid goûte à l’origine du monde, voici que « Batman » est de retour, ce fou déguisé tente à nouveau de tuer Farid, mais bien sûr l’ange arrive et hurle « Dieu est grand », il plante Batman dans le dos. Cependant, ce dernier, dans un ultime tressaillement, flingue l’homme gardien.
Farid prend alors Ani dans les bras, quitte ce lieu et traversant la foule frénétique brandissant des drapeaux blancs au symbole de Batman, va sur la plage et dépose Ani sur le sable. Il quitte alors cette femme du sable pour, selon lui, vingt minutes. Il ne reviendra pas, épuisé, il tombe à genoux ne voulant que rentrer chez lui. Il se souvient. Et de la mer, l’élu vient sauver l’unique de son aveuglement.
Après quarante jours, ce temps du façonnage du cœur par Dieu, de jeûne dans le désert, c’est la résurrection. Après ce temps de méditation et d'épreuve, tout semble revenu à la normale. Farid s’en va prendre le bus dont il a pourtant horreur.
Vingt minutes plus tard, il aperçoit Ani par la vitre. Il hurle son nom, elle ne l’entend pas, mais semble pourtant le voir un instant, sans le reconnaitre. Il sort du bus, mais Ani est introuvable. Au sein de la ville, une statue du « Batman » est érigée, « L’homme qui a remis le cèdre sur ces racines ». Farid s’en va prendre à nouveau le bus. La boucle est bouclée, Farid se réveillera, sortira enfin réellement de ce maudit bus, mauvais rêve, et pourra rentrer chez lui.
Très beau récit que ce cauchemar tout en symbole qui nous entraîne dans les méandres d’une étrange ville, ou plutôt dans le capharnaüm du cerveau usé de Farid, l'unique. Sur Terre il semble oublier ses démons, il les contrôle, mais malheureusement pour lui, dans ses rêves, c’est l’inverse et la folie prend le dessus.
Dans la réalité, sur Terre, il prend le bus pour aller travailler puis rentrer chez lui. Dans ce bus, il s’endort et c’est dans l’imaginaire, cette ville avoisinant la Terre, que ce récit se déroule. Pour lui, rentrer dans le bus c'est rentrer dans ses souvenirs, passer de l'oubli à la folie, et il déteste cela.
Tous ses souvenirs qu'il souhaite oublier refont surface, son pays et sa ville, ses peurs, ses pulsions, la guerre traumatique qui a probablement tué son ami, ses amours perdus, l'art et Ani, et son idole de jeunesse : Batman. Tous, se mélangent dans sa tête et sous nos yeux dans un bordel mélancoliquement magnifique.