Oncle Hermès écrit :
Là encore, je fais peut-être de la psychologie de comptoir, mais j'ai l'impression que l'auteure a cherché à "prouver" qu'elle avait des choses "intelligentes" à dire. Loin de moi l'idée qu'un auteur de BD ne devrait pas avoir de "prétentions intellectuelles". Mais la postface, avec son accumulation de références savantes, m'a semblé bien lourde. Bon, en plus il est tard, et puis je n'ai jamais été trop convaincu par la pensée de René Girard (et notamment son caractère systématique), alors forcément ça n'aide pas. Mais les deux dernières lignes auraient presque pu faire une diable de bonne exergue, séparées du reste :
Lorsque Dionysos s'enflammait, ce n'était pas pour offrir à la foule une quelconque résolution cathartique. Dionysos danse pour danser. Mais la foule a toujours faim de scandales.
Le hic, c'est que cette volonté conceptuelle n'est pas cantonnée à la postface "explicative", mais qu'on sent bien qu'elle imprègne tout le livre.
Julie Maroh a visiblement lu René Girard et nous le fait remarquer tout au long de Skandalon.
Son Tazane correspond parfaitement au fameux "bouc émissaire" que le sociologue décrit dans
La violence et le sacré : résumons brièvement : La violence imprègne la nature des humains, or notre espèce est sociale. Pour résoudre cette contradiction, pour que la société survive sans tomber dans la guerre civile, la violence va, dans les mythes, la réalité et dans les rituels s'exercer contre un seul individu membre de ce groupe. Celui-ci subira les pires outrages des autres(cela ira jusqu'à sa mort) et il portera le poids des fautes de l'ensemble du groupe, ainsi, à sa disparition le groupe sera purifié. Pour que la mécanique soit parfaite, il faut que la victime soit, quelque part consentante. Girard explique la naissance du Christianisme par le mécanisme du bouc émissaire : pour sauver l'humanité, on met à mort le Christ qui a accepté son rôle d'agneau sacrificiel ainsi que de nombreux mythes grecs, comme celui Oedipe.
Girard m'a toujours paru fumeux, sa démonstration simpliste. J'ai toujours eu du mal à croire qu'une victime fut consentante même de manière inconsciente !
Les victimes de persécutions sont, comme le suggère le cas des
Ijime au Japon (ces étudiants persécutés continuellement, parfois jusqu'à leur mort, par l'ensemble de leurs camarades), les plus faibles, les plus inoffensifs, les plus fragiles du groupe. Girard a raison de dire, comme tant d'autres, qu'en groupe on est plus cruel que seul. "l'homme est un loup pour l'homme" selon l'adage, mais persécuter le garçon ou la jeune fille le plus faible de la classe, cela n'a rien d'un rituel, cela n'a rien d'un geste sacré, ce n'est qu'un mélange lamentable de lâcheté (ceux qui ne disent rien pour protéger) et de sadisme ordinaire (ceux qui agissent) : bref, la persécution est un révélateur de notre véritable nature qui n'a rien de sacrée mais qui est simplement écœurante.
Tazane est donc, dans Skandalon, la victime sacrificielle à la façon de R. Girard. Être détestable et déchu (le problème c'est qu'il est tellement ecoeurant que je n'éprouve absolument rien pour lui si ce n'est du dégout ce' qui est gênant car il est le héros), il symbolise et pratique toutes les perversions de ces fans, des médias, de la société et va sombrer dans l’abîme comme Icare s'étant approché trop près du soleil (la couverture m'évoque ce mythe). Sa chute et le spectacle de sa déchéance physique et morale lave les fautes collectives, voilà l'argument du livre. C'est un peu court, jeune demoiselle...
Malgré les qualités graphiques indéniables, voire sensationnelles du dessin, j'ai beaucoup de mal à trouver un intérêt à ce livre. J'ai l'impression de lire une BD illustrant et vulgarisant la théorie de Girard que je trouve, au mieux, absurde...
Vouloir intellectualiser un récit cela est très bien, mais on risque de sombrer dans de l'exposition intellectuelle pesante, et malheureusement, je crois que c'est que fait Julie Maroh dans Skandalon qui, allez je balance, a réalisé une dissertation de philo' illustrant la thèse de Girard...
Cependant, cette BD (pardon d'être contradictoire), mérite le détour et une lecture, ne serait-ce que pour le dessin charbonneux admirable. L'auteure a pris un gros risque en faisant cet album, elle s'est, pour moi, en partie fourvoyée en collant trop à des théories sociologiques qu'elle semble partager, mais l'ensemble, même s'il m'agace prodigieusement a au moins le mérite de ne pas laisser indifférent, à la différence de la majorité des BD sorties à la rentrée...
Julie Maroh demeure une auteure à suivre, elle sait nous surprendre, j'attends déjà sa prochaine production.
PS. Pardon d'être aussi bavard.