superboy a écrit:Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire, mais apparemment tu penses que je suis dans le jugement quand je qualifie le terme de maman-lionne de "formule couramment usitée avec un sens précis qui n'a rien de discriminant," le passage en gras de ta citation. Or, il se trouve qu'il n'y a rien de plus objectif dans mes propos. Cette expression se réfère au comportement extrêmement protecteur
parfaitement documenté des lionnes envers leur progéniture qu'elles élèvent sans le mâle. On parle même de
syndrome de la lionne en psychologie. La zone d'habitat n'a rien à voir avec le sens de la formule. Si tu as une explication plus objective que cela, n'hésite pas à me le faire savoir.
En attendant, que quelqu'un soit dérangé ou choqué par cette expression n'en fait pas un propos raciste, ni même "exotisant." La subjectivité de la perception, combinée ou non à l'ignorance, ne transformera jamais la réalité. Point. Voilà pour le jugement, passons à la sémantique.
Ok, je comprends mieux ton propos.
Et j'y souscris.
Cela n'en fait en effet pas un propos raciste.
Cependant, la subjectivité de la perception de cette expression peut conduire à ce que son utilisation s'avère délicate dans certains contextes. Et c'est bien là que se trouve le noeud du problème.
A charge de l'auteur à la lumière de ces éléments d'évaluer la pertinence d'utiliser cette métaphore dans son oeuvre ou de la remplacer par une autre qui ne contiendra plus ce caractère délicat.
Et on en revient à ce que j'écrivais auparavant sur la distinction entre un auteur qui a l'humilité d'être à l'écoute et un auteur qui se soumet lâchement à un diktat politiquement correct.
Tu sembles penser que dans le cas de Bagieu, il s'agit de lâcheté. Moi, je préfère dire que je n'en sais rien et lui laisser au-moins le bénéfice du doute.
Pourtant, ce qu'elle a fait avec l'expression en question, c'est de la retirer du produit fini au motif non qu'elle est raciste, mais plus prudemment car cela peut potentiellement choquer et qu'il faut prendre cela en compte. Cette posture, réelle de sa part que tu le veuilles ou non, implique qu'elle refuse de prendre son opinion à deux mains pour trancher le débat et préfère s'en remettre à la sensibilité supposée d'un certain public - qui reste très flou soit dit en passant puisqu'il n'est ni qualifié, ni quantifié, s'agissant là de quelques commentaires sur internet, méthode en violation de toutes les règles d'élaboration d'un panel d'étude statistique. Son choix à ce sujet et les raisons qu'elle évoque rendent caduc la différence sémantique que tu fais. Dans le premier cas, elle dirait une bêtise; dans le deuxième, elle commet une lâcheté. Aucun des deux ne l'éclaire avantageusement.
Ouais bon, si elle doit s'appuyer sur un panel d'étude statistique pour prendre sa décision, la pauvre, elle n'est pas rendue...
On s'en fout des panels statistiques.
Non franchement, je pense que tu vas chercher la petite bête.
Bagieu a utilisé une métaphore. Des gens lui ont fait remarquer que l'utilisation de cette métaphore dans le contexte précis où elle l'a utilisé pouvait, à tort ou à raison, heurter une certaine partie du public.
Ces remarques permettent de lui en faire prendre conscience (ça ne l'avait de manière assez logique pas du tout effleuré).
Après, elle fait le choix de modifier son oeuvre.
Est-ce un renoncement, une capitulation, une lâcheté?
Chacun se fera son opinion.
Tu penses qu'elle refuse de "prendre son opinion à deux mains et de trancher le débat" mais au fond qu'en sais-tu?
Est-ce qu'une stratégie d'évitement du conflit n'est pas parfois meilleure qu'un conflit stérile, même si pour cela il faut accepter de modifier son oeuvre?
Est-ce qu'une stratégie d'évitement du conflit est de facto un renoncement ou peut-elle au contraire être appréhendée comme une forme d'empathie?
Est-ce que la situation est réductible à la défense de principes ou bien la réalité ne s'accommode-t-elle pas mieux de compromis assumés comme tels?
Jusqu'où peut-on s'accommoder de tels compromis? Une vraie démarche artistique ne devrait-elle pas être exempte de tout compromis?
Ce sont de vraies questions, hein. Des questions pour lesquelles je n'ai pas de réponse toute faite.
Et ce sont des questions qui aujourd'hui ne traversent pas que la sphère de l'art mais bien de manière aiguë l'ensemble de la société.
Personnellement, mais on se fout de mon opinion personnelle vu que ce n'est pas le sujet ici, j'aurais préféré qu'elle ne modifie pas son oeuvre, mais elle me semble avoir pris la décision de la modifier sans être soumise à aucune contrainte autre que celles qu'elle a pu s'imposer à elle-même.
Ce comportement est récurent chez elle puisqu'elle explique dans un autre segment qu'elle a accepté contre son meilleur jugement la censure légère de la nudité de ses Culottées par son éditeur américain pour qu'il soit positionné en jeunesse aux U.S. A chaque fois on peut lui trouver des circonstances atténuantes - dans ce cas-ci plus compréhensible, à mon avis - mais à chaque fois c'est un renoncement.
Tu portes ici une pièce au dossier dont je n'avais pas connaissance préalablement.
Et en effet, ça ne plaide pas vraiment en sa faveur...
Comme le dit Mathieu dans l’interview, c’est en questionnant ses réflexes inconscients qu’on bâti un propos toujours plus cohérent.
Ca, c'est clair.
Et le fait de partager ma vie avec une personne issue d'une culture très différente de la mienne me le rappelle au quotidien.
Ce qui me pose problème, en revanche, c’est le rôle d’exemplarité que vous attribuez à l’art. L’art représente toujours un progrès, selon moi, dans le sens qu’il encourage à pousser toujours plus loin la réflexion. Mais c’est à mon avis une erreur de vouloir y adosser des intentions de progrès social que toutes les œuvres devraient partager, ainsi que des valeurs, quelles qu’elles soient. Je pense que l’art est amoral par nature, et c’est ce qui en fait un terrain d’expression sans équivalent.
Alors bien sûr, cette conception des choses laisse la porte ouverte aux abus les plus graves, mais c’est alors à la société de jouer leur rôle et d’affirmer et défendre les valeurs fédératrices qu’elle représente, comme la prise de position de Valls sur les spectacles de Dieudonné, par exemple. On est d’accord ou pas, peu importe ses raisons, mais on doit tous respecter le fait qu’un de nos représentant a parlé en notre nom, nous peuple français, pour défendre nos valeurs communes. C’est dans ce sens-là que cela doit fonctionner ; ce n’est pas à Dieudonné de s’autocensurer.
J’espère que l’exemple que j’ai pris n’est pas trop polémique, mais il illustrait bien mon argument.
Comme je le vois, ce n’est pas à l’artiste, même si je ne nie pas qu’il soit prescripteur d’idées, de montrer le chemin, tel un messie réincarné, mais bien aux individus de se construire en réaction à ce qu’ils expérimentent au contact d’une œuvre. L’artiste ne doit à son public que de transcrire son point de vue de la manière la plus personnelle possible, dans la forme comme dans le fond. Si l’exemplarité fait partie des contraintes qu’il s’impose, alors cela fait partie intégrante de son point de vue. Si tel n’est pas le cas, alors c’est forcément qu’il s’est donné d’autres enjeux, qui peuvent être diamétralement opposées et pourtant tout aussi valides et intéressants.
Sur le principe, je suis complètement d'accord avec tout ça.
Mais à nouveau, je pense que dans le cas de Bagieu, elle s'est juste dit que si ça pouvait contribuer à ne froisser personne, elle pouvait remplacer une expression par une autre sans que ça modifie son oeuvre d'une manière qu'elle n'aurait pas désiré.
J'espère que si ça l'avait vraiment fait chier parce qu'elle tenait vraiment à sa métaphore sur la lionne, elle l'aurait maintenue dans l'oeuvre.
J'aimerais quand avoir l'avis de quelqu'un qui défend cette position du politiquement correct, plutôt que le tien euh..., qui j'ai l'impression se rapproche sensiblement du mien, malgré nos interprétations divergentes des propos de Bagieu.
Nos avis ne me semblent en effet pas contradictoires.
Je veux dire que nous partons d'une situation pour tenter de la questionner dans sa complexité avec nos faibles moyens, ce qui laisse la place à une discussion qui peut se révéler enrichissante.
Au contraire, Corbulon part constamment de ses certitudes pour assujettir le réel à son discours. Il ne laisse aucune marge de discussion. C'est d'autant plus dommage que, comme je l'écrivais plus haut, son discours est légitime et respectable.
"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
Denis Johnson - "Arbre de fumée"