grelots a écrit:Jean Dufaux & Jacques Terpant
Jean Dufaux revient à ses premières amours, la littérature, avec ce récit singulier sur le destin d’un homme hors du commun, Louis-Ferdinand Céline.
A travers les moments marquants de son existence, Jean Dufaux brosse le portrait d’un homme complexe, écrivain de génie, médecin des pauvres, pamphlétaire antisémite…
Le dessin réaliste et juste de Jacques Terpant nous fait revivre un Céline humain, terriblement humain…
1960. À Meudon, dans son pavillon, Céline est au travail. Sous le regard de Toto, son perroquet, Céline est concentré sur son prochain livre, Rigodon, celui qui clôturera sa dernière trilogie[/b]. À l’étage, dans la salle de danse, Lucette fait répéter ses élèves.
Alors que le soir tombe, l’orage éclate. Le tonnerre claque comme un coup de canon. À travers la fenêtre, à la lumière de l’éclair, Céline voit la silhouette d’un cavalier, le maréchal des logis Louis-Ferdinand Destouches, du 12e cuirassier, qui semble l’attendre au bout du jardin.
Et Céline se replonge dans son passé : la boucherie de 14, la rencontre avec Élisabeth Craig, l’écriture du Voyage au bout de la nuit, son quotidien de médecin, les dérives de la seconde guerre, la fuite à Siegmaringen, l’objet de ce dernier livre, Rigodon. Et bien sur, Lucette, sa compagne, présente dans les pires moments, qui fait répéter ses élèves à l’étage.
Jean Dufaux livre un portrait personnel de l’écrivain, une évocation des moments marquants de la vie de Céline, connus ou méconnus, un portrait complexe qui s’attache à montrer les différentes facettes d’un homme qui a marqué l’histoire de la littérature.
Quelques réflexions, histoire de pinailler... J'espère que grelots ne m'en voudra pas.
Rigodon clôt
LA trilogie de Céline. C'est tout autant la première que la dernière, étant donné qu'il n'y en eut aucune autre auparavant.
Rigodon devait s'intituler Colin-maillard. Dans une lettre adressée à Roger Nimier, après l'écriture du manuscrit, Céline s'étant ravisé à propos du titre, ajoute en post-scriptum :
"Pas Colin-maillard, Rigodon,
le prochain."Céline a clairement tiré parti du double sens donné à ce terme : celui d'une danse qui se pratique sur un air à deux temps, sur place, sans avancer ni reculer ni se déplacer de côté, selon la définition de Lucette Destouches. Mais il s'agit aussi du coup au but sur le champ de tir ou dans un bombardement aérien. Dans la trilogie, Céline, sa femme et le chat Bébert traverseront deux fois l'Allemagne du Sud au Nord avant d'atteindre Copenhague, en assistant à moult bombardements.
Rigodon est en partie inachevé. Au début du récit, Céline avait présumé de ses forces en annonçant que ce troisième volet serait d'une longueur comparable à
D'un château l'autre et à
Nord, les deux premiers et plus aboutis des trois récits formant la trilogie.
En cours d'écriture, Céline sentant que sa fin approchait, décida de raccourcir le livre.
"Je divague, je vais vous perdre, mais c'est l'instinct que je ne sais pas si je finirai jamais ce livre, (...) on a qu'une vie c'est pas beaucoup, surtout moi mon cas que je sens les Parques me gratter le fil, et comme s'amuser... oui !... joujou !"S'il parvint à mettre un point final à son manuscrit, il n'aura pas eu l'occasion de se relire et d'entreprendre le colossal travail de correction auquel il se livrait systématiquement une fois un manuscrit achevé (au point de récrire parfois des chapitres entiers). Céline éliminait alors les incohérences, traquait les imperfections, supprimait des redoublements soit en procédant à une copie, soit en lisant le texte à haute voix à sa secrétaire à l'occasion d'une ultime révision.
Et le lecteur de trouver, de façon inhabituelle et paradoxalement dans le plus court des romans de Céline (Rigodon), le redoublement de certains passages. Passages variant dans le manuscrit de deux lignes à une page entière, et cela indépendamment du rabâchage et des litanies caractéristiques du style de l'auteur. Les spécialistes de l'écrivain, comme Henri Godard, commentateur de l'oeuvre dans la Pléiade, supposent qu'après révision, une des deux versions des passages redoublés aurait inéluctablement été sacrifiée, et que Céline aurait maintenu celle qui tirerait de son emplacement à tel ou tel endroit du récit le meilleur effet.
Céline avait donc laissé un texte complet mais sans pouvoir effectuer les dernières mises au point.
Un passage de
Rigodon se déroule à Sigmaringen, mais dans la trilogie, c'est paradoxalement dans le premier volume (
D'un château l'autre) que Céline s'attarde sur des faits survenus dans cette ville. Son périple dans l'Allemagne à feu et à sang fut d'abord marqué par une étape à Baden-Baden (sud de l'Allemagne), séjour décrit seulement dans le deuxième volume (
Nord).
Chronologiquement, si Céline avait voulu dérouter le lecteur, il ne s'y serait pas mieux pris. D'autant que chacun de ses livres dans son oeuvre romanesque débute par des passages plus ou moins longs où l'auteur, délirant sous l'emprise de la fièvre paludéenne, fait passer son lecteur du présent au passé en abordant la ligne suivante (les auteurs de la BD ont utilisé le même artifice, en passant d'une case à la suivante).
Un passé labyrinthique, d'ailleurs, qui peut se situer aussi bien dans l'enfance et l'adolescence (en France, en Angleterre, avant la Première guerre mondiale), pendant la Grande guerre (14-18), l'entre-deux-guerres (missions en Afrique pour la SDN, écriture du "Voyage", accueil fait à celui-ci, etc...), la Seconde Guerre mondiale ou encore la période d'incarcération au Danemark (pour simplifier).
Je suis curieux de voir quels moments marquants auront été sélectionnés par Dufaux, en sus de ceux dépeints dans les douze pages de la préview. Car 72 pages, c'est peu... très peu, d'autant qu'il n'en reste que 60 pour nous présenter d'autres moments que ceux découverts dans les 12 premières pages.
Bien sûr, 72 planches de cette qualité, ce n'est pas rien pour le dessinateur, qui a dû passer énormément d'heures sur sa planche à dessin, non sans avoir au préalable réuni et mis en ordre une documentation de grande qualité. Le lecteur est immédiatement transposé dans le contexte, comme quand on regarde un film d'époque.
Mais pour l'écriture du scénario, ces 72 pages impliquent d'avoir procédé à des coupes drastiques dans la vie de l'écrivain maudit.
Je suis curieux de voir le résultat.
Autre remarque : il est dit que Dufaux revient à ses premières amours, la littérature.
On ne peut que constater par ailleurs que les BD de Jacques Terpant baignent dans la littérature depuis quelques années, déjà. Pour lui, il ne s'agit pas d'un retour, mais d'une immersion prolongée dans la littérature, notamment à travers plusieurs albums qui le relient à l'oeuvre d'un autre écrivain majeur, Jean Raspail.
PS : je me suis replongé dans Céline (et en particulier dans la trilogie que j'avais abandonnée en cours de lecture lors d'une première tentative il y a déjà trente ans) cet été après une petite discussion avec Genug, sur un autre topic. Il déclencha, sans le vouloir ni le savoir, un déclic, un mécanisme qui m'a poussé à reprendre les seuls romans que je n'avais pas lus intégralement (ceux de la trilogie). Toute ma gratitude lui est acquise, ayant cette fois-ci dévoré les milliers de pages d'une seule traite sans éprouver la moindre lassitude.