Le Tampographe Sardon (cette nuit)
L’avantage, avec la campagne des alentours, c’est qu’elle n’est pas difficile à dessiner. Un trait horizontal, un point de fuite, des sillons qui y convergent, des ballots de paille parallélépipédiques et c’est fait, on a une assez bonne représentation du plateau où je vis. Pas besoin de s’emmerder à dessiner des personnages, ya pas âme qui vive. De temps à autre une montagne de fumier vient briser cette géométrie, ou une camionnette blanche de tueur en série. Rien d'insurmontable à dessiner. Pour trouver des courbes il faut descendre dans la vallée. Là on verra des méandres, des moulins à eau, la rivière qui coule entre les saules taillés en trognes, des aquarellistes qui peignent en groupe. On restera prudemment à l'écart.
Si on longe la rivière on trouvera une petite ville pleine de galeries d’art. J’y passe furtivement et j'observe les galeristes. Certains lisent, d'autres regardent leur téléphone. Quelques-uns, plus effrayants, se tiennent là immobiles, le regard vide. Quand je passe devant leur vitrine ils ne me voient pas. Je crois qu'ils dorment les yeux grands ouverts. Quand parfois un touriste entre chez eux ils restent muets. Le visiteur regarde d’abord les oeuvres, puis semble manquer d’air, et sort enfin. Un malaise est visible sur son visage, comme s’il s’échappait du caveau d’un vampire.
À Paris J’ai croisé la route de plusieurs de ces malheureux. Certains jouaient à Tétris, ou s’arrachaient les poils du nez, ou regardaient du porno toute la journée, ou dormaient sous leur bureau. On parle souvent des artistes et de leurs lubies, mais les vrais cinglés, les maboules authentiques, ce sont les galeristes. Et d’ailleurs je vais ouvrir une galerie.
Demain je démarre à six heures pour faire mon go-fast tampographique hebdomadaire. Rien n’est prêt. L’atelier est ouvert, les presses cuisent, il fait nuit, la lumière attire les bestioles. On travaille, on découpe, on charge la bagnole. On sera ouverts de 11h à 19h, comme d’habitude, au 4 rue du Repos.