Au lendemain de la guerre 14-18, un ancien soldat allemand, Werner, erre quelque part en Indochine. De la guerre il garde une blessure à l’endroit du coeur. Un ami, Georg, l’a sauvé d’un tir ennemi mourant à sa place. Werner se sent coupable de cet épisode. Georg avait femme et enfants. Werner pense qu’il ne pourra racheter ce sacrifice que s’il parvient à trouver l’amour et fonder une famille à son tour. Dans l’Indochine française, il est surtout un paria rejeté des colons. Il vit de menus travaux, et échoue dans une petite ville du Laos, Savannakhet. Il trouve refuge dans une énorme manufacture pareille à une forteresse de style chinois. Son activité est obscure : des matériaux entrent dans l’enceinte, une armée d’employés s’active. Ils sont étranges, vieux, gris, mutiques, éteints. Dans la ville, tout le monde craint la famille chinoise qui possède la manufacture. Des histoires courent à son propos. On dit qu’elle est maudite, prisonnière d’un mal tout-puissant. Les maîtres auraient une fille unique, atteinte d’une maladie rare qui lui interdit de s’exposer à la lumière du jour. La jeune fille ne sortirait de sa chambre qu’à la nuit tombée pour se promener au bord de l’étang, dans la cour intérieure. Pour vérifier ces rumeurs, Werner se cache dans le jardin et attend la nuit...
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Personnellement je n'ai rien lu du scénario avant de lire et je conseille d'en faire autant. L'impact de cette histoire n'en est que plus fort... Néanmoins pour ceux qui préfèrent savoir dans quoi ils s'engagent :
Voilà sans doute encore une BD qui va laisser sur le carreau ceux qui ne se laisseront pas emporter par la poésie ou le fantastique de cette histoire. Loo Hui Phang nous livre ici une ambiance mystérieuse, kafkaïenne, fantastique, sans forcément que toutes les réponses soient données tout comme pour L'Odeur des garçons affamés son précédent ouvrage au côté de Frédéric Peeters cette fois. A nouveau Loo Hui Phang Mêle très habilement les genres : récit de guerre avec son lot de réflexions sur la vie, la femme ou la famille qu'on laisse, la mort et la culpabilité d'être vivant quand son meilleur ami y est mort / érotisme (avec même une certaine audace) / fantastique et enfin ambiance kafkaïenne du personnage qui semble être pris de plus en plus dans un engrenage infernal...
J'ai cru avoir deviné le scénario dès les premières pages mais fort heureusement je me suis aperçu que ma théorie quant au pourquoi de cette histoire s'est avérée fausse et tant mieux (!) : j'aurais été déçu d'avoir trouvé dès le début. En effet,
Le dessin est très sympathique, un trait simple mais ne manquant pas de caractère, quoiqu'on retrouve finalement un peu un petit air d'époque actuelle avec ce graphisme rapide et faussement maladroit ou hésitant. En tout cas cela fonctionne bien ici et il est appuyé par des couleurs très réussies, toutes en camaïeux, qui varient au fil des pages et des situations, jouant pour beaucoup dans les ambiances créées.
Loo Hui Phang et Philippe Dupuy signent ici une belle histoire, plus profonde qu'elle n'en a l'air de part ses nombreuses réflexions sur l'amour, la mort et la vie.
16/20