J'aime beaucoup ce que fait J. Moreau généralement.
De la
Saga de Grimr, il me reste - même si je l'ai lu il y a longtemps - la rage de ce personnage tellurique aux cheveux flamboyants qui semblait sortir tout droit de cette terre islandaise et je me souviens que j'avais assisté avec délectation à la véritable naissance d'un mythe créé de toutes pièces par l'auteur (un peu d'ailleurs comme l'histoire de Max Winson qui m'avait également marqué). De
Penss, ouvrage pourtant parfois décrié, je me souviens de l'obstination de cet être prêt à tout pour arracher aux entrailles de la terre ce qui lui assurerait sa subsistance et celle de son espèce, quitte à se tromper et à entraîner les membres de son clan dans sa quête folle et obsédante.
Là, j'ai été étonné de retrouver l'habituelle figure des adolescents (on retrouve cela dans de nombreuses productions cinématographiques plutôt médiocres), êtres égocentrés et geignards qui ont le sentiment d'être au bout de leur vie s'ils ne peuvent utiliser leurs appareils électroniques mais qui finalement ouvrent peu à peu les yeux. Cela peut renvoyer à la réalité, c'est vrai (certains adolescents sont d'ailleurs bien trop contents de pouvoir se conformer à ce miroir qu'on leur tend régulièrement dans les séries et les films), mais ne pouvait-on pas espérer un portrait différent de la part de cet auteur ?
Oui, l'indigène
alcoolique, violent mais aussi lui-même fragilisé par un mode de vie qu'on tente de lui imposer
renvoie certainement à une réalité, mais cette représentation est-elle bien différente de ce qu'on trouverait dans un film américain plutôt basique (cf le divertissant
Wind River par exemple et la figure de l'Amérindien) ? J'ai trouvé que les personnages n'étaient pas assez développés, qu'ils en restaient parfois à leur condition de personnage type (bien sûr, ils évoluent, mais cette évolution est assez attendue) et si les paysages restent saisissants (pour moi, c'est le point fort de l'album) et montrent bien les conséquences du dérèglement climatique, le contenu ne nous permet pas de nous interroger plus que cela (contrairement aux autres albums où les personnages sont complexes et dont il est difficile de condamner ou louer les actes tant les conséquences de leurs actions peuvent être interprétées de différentes façons). J'aimais bien ces personnages qui étaient plus grands que la vie et qui échappaient à tout jugement moral. Ici, ce sont des personnages effectivement plus ordinaires, de notre vie quotidienne (le chauffeur Uber, c'est vous, c'est moi et nous sommes évidemment tous embarqués dans le même bateau comme semble l'indiquer la métaphore finale de la barque, réminiscence de l'arche de Noe), mais ça ne me les rend pas plus intéressants pour autant, dans cette histoire en tout cas.
J'ai vu que J. Moreau lisait régulièrement des livres de sociologie et d'anthropologie qui servaient de point de départ à ses ouvrages, mais dans
Les pizzlys, j'ai trouvé qu'il abordait ces notions de façon moins percutante même si la maîtrise narrative et graphique demeurait. Je me suis posé beaucoup moins de questions que lors de la lecture de ses précédents ouvrages (qui s'appuyaient notamment sur les travaux de Levi-Strauss que je ne connais pas du tout - c'est peut-être pour ça que je trouvais cela nouveau-) alors que là, le constat sur les conséquences de notre mode de vie est certes une bonne piqûre de rappel, mais n'apporte rien de nouveau, tant les propos de Jancovici, Pablo Servigne ou des membres du GIEC notamment sont d'une limpidité implacable. Reste bien sûr le traitement graphique, mais pour le propos, rien de très stimulant pour ma part (on retrouve quand même la dimension mythique voire chamanique avec l'ours, mais, si c'est joli, ça ne m'a pas vraiment convaincu).