Sous le règne de Trajan, un bouclier « de Mars », à la puissance réputée prémonitoire pour devoir par sa chute prévenir Rome des périls les plus graves, tombe, en pleine réception de délégations étrangères, aux pieds de l’ambassadeur impérial Parthe. Accident, machination ou signe des dieux ? Lorsque l’Empire tourne son regard et toute sa puissance vers les lointaines marches germaniques, une attaque des Parthes à l’autre bout du monde serait une catastrophe…
Au même moment, un brillant officier romain ayant toute la confiance de l’empereur et par ailleurs témoin de l’affaire du bouclier arrive dans la province de Syrie pour reprendre fermement en mains la place-forte de Zeugma accrochée aux rives de l’Euphrate, frontière naturelle avec l’empire Parthe.
Le trait surprend le lecteur, jusqu’à pouvoir le dérouter. Le dessin n’offre pas une ambiance fourmillante de détails mais se caractérise au contraire par une sobriété naïve. Paysages urbains, d’intérieurs (comme les salles palatiales du Palatin ou de Zeugma), d’extérieurs (comme les scènes se déroulant dans les campagnes de la province de Syrie), c’est un monde antique dépouillé qui se révèle, monde de formes plus que de détails : les ponts sont identifiables par leurs arches seulement, les fortifications par leurs crénelages…
La couleur semble être à l’origine de cet effet « BD pour enfant », car le dessin au crayon qui orne l’angle supérieur de la préface de Convard montre un rendu beaucoup plus farouche et moins naïf.
Une fois ce parti-pris esthétique accepté, la BD se laisse bien lire, mais rares sont les cases à se distinguer particulièrement : celle montrant l’incendie de Rome, superbement ratée grâce à ses flammes du premier plan qu’on pense être des algues marines, celle montrant simplement la cape de Charax au détour d’une rue portant le bouclier, sublime pour cette « absence » du héros qui, paradoxalement, fait parfaitement sentir la rapidité et les détours compliqués de la marche du héros dans la complexité urbaine de la Ville éternelle.
Le scénario, comme le dessin, se laisse lire, bien qu’ennuyeux par moments.
- D’emblée, une pointe d’agacement: la succession du résumé à l’arrière, de la préface superbement inutile de Convard et des deux premières pages d’ouverture de la BD proprement dite font de cette oeuvre un redoutable test pour évaluer la présence et l’étendue de la maladie d’alzheimer. Le lecteur doit en effet s’alarmer et se précipiter chez son médecin de famille si au bout de ces trois/quatre fois successives, il ne sait toujours pas que le bouclier de Mars indique l’imminence d’un péril grave pesant sur le destin de Rome…
- La péripétie du bouclier relève du merveilleux le plus authentique : non content de tomber au bas du mur à la balustrade duquel il était accroché, il va jusqu’à se déplacer sur ses petites jambes pour indiquer clairement l’ennemi, louvoyant gracieusement sur 10 bons mètres avant de tomber, non pas devant l’ambassadeur Parthe lui-même (visiblement, le bouclier magique sait se déplacer, pas monter les gradins de l’estrade), mais au pied d’un autre ambassadeur/ membre de l’ambassade Parthe ?? De plus, personne ne se pose la question de savoir si le bouclier qui tombe est le vrai ou l’une des onze autres copies…
- La scène de l’esclave de la Régia a un début assez lourd, la faute au discours trop explicatif de l’esclave, discours dont on ne comprend pas trop l’utilité: « bonjour, je m’appelle Servius, je suis chauve, j’aime les frites, je suis préposé à ce temple depuis X générations, il y a de l’humidité, je pense acheter une gazinière… ».
- La scène de colère de l’ambassadeur Parthe contre l’empereur himself. Qui peut se permettre de se mettre en colère en lançant un bouclier sur un empereur, puis repartir tranquillement sans se faire décalquer contre le mur dans la seconde ? La logique de la scène vaut d’être résumée : 1) l’ambassadeur Parthe annonce clairement qu’il va revenir à Rome pour tout casser comme un malpoli. 2) il emprunte un bouclier mal tenu par un soldat en goguette, et le lance sur le trône et la personne de l’empereur. 3) Propos de Trajan qui visiblement a parfaitement compris la situation : « je te pardonne varham, parce que tu as toujours été un allié fidèle… ».
Cocasse.
- La scène du prophète du peuple, originale: un loqueteux, une barbe, un bâton.
- Certains dialogues. Entre les références à la culture romaine et le cadre oriental dans lequel se déroule une bonne part de l’action et qui semble obliger le scénariste à faire dans la poésie, on obtient des dialogues pénibles: Apamée est évidemment « vibrante et sensuelle », le Parthe a le regard qui fait « courber les fauves de la montagne »…
- Rivalité classique entre le « fils de » et le gradé des classes populaires.
- La prise de la forteresse par trahison est sans aucun suspens, puisqu’on la suit pas à pas. Dommage à mon sens. Il y a avait matière à produire un effet de surprise intéressant pour destabiliser le lecteur.
Mais ces points plutôt négatifs ne doivent pas éclipser les réussites :
- On évite l’histoire « femme richissime et désoeuvrée. STOP. Recherche réconfort physique. STOP. Bras musculeux de légionnaire préférés. STOP »
- La rivalité n’est pas figée dans un radicalisme excessif, et le scénariste sait montrer l’union des forces quand un péril commun menace.
- Le suspens est bien parfois bien amené et entretenu. Chaillet sait ainsi éviter des ornières scénaristiques du genre et réussit efficacement à tromper le lecteur en faisant semblant de prendre à son compte, pour mieux les éviter, des péripéties à ce point classiques qu’on croit deviner leur dénouement par avance (pénétration de l’armée dans les gorges encaissées, harcèlement de la légendaire « flèche parthe »…).
- La fin, lourde par ses dialogues encore une fois, est cependant réussie, le lecteur ne comprenant absolument pas quelles sont les forces à l’œuvre dans une « affaire » qui semble devoir s’étendre aux dimensions de l’Empire tout entier.
Une BD classique donc, avec ses défauts et ses réussites, qui se laisse lire.
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Joker je réponds, les intelligents aussi, les trolls ben en fait comment dire, allez sucer des courgettes.
Fred Dewilde, auteur.