Allez, je recopie ici le texte que j'avais écrit concernant Joe Sinnott, qui a occupé un poste clé sur la série Fantastic Four du milieu des années 1960 au début des années 1980.
Le rôle de l’encreur, chez Marvel, a longtemps été associé à un marquage visuel des séries. Aujourd'hui, cette fonction est souvent dévolue au coloriste (par exemple, Paul Mounts a été longtemps le coloriste attitré de Fantastic Four, dans les années 2000), mais précédemment, l'encreur a souvent été attaché à une série : Tom Palmer à Avengers comme on l'a vu plus haut (ou à Tomb of Dracula), Klaus Janson à Daredevil (avant et après Miller), Dan Green à Uncanny X-Men, ou Jim Mooney aux titres Spider-Man (ça sera l'objet d'un autre texte).
Et bien sûr, on pense évidemment à Joe Sinnott sur Fantastic Four, qui a encré la série sur Kirby, Buscema, Buckler, Pérez, Pollard et même Byrne (et qui est revenu sur Buscema et Pollard du temps de la période Englehart).
Dernière précision, Joe Sinnott, avant d'être connu en tant qu'encreur, est aussi un dessinateur (il a réalisé de nombreuses histoires courtes dans les années 1950 et il a travaillé sur le strip Spider-Man dans les années 1990 et 2000). Plus réaliste et académique qu'un Kirby, par exemple, mais c'est quelqu'un qui apporte à son travail une expérience d'illustrateur, au même titre qu'un Jim Mooney (connu entre autre pour ses épisodes de Supergirl dans les années 1950 et 1960), un Klaus Janson ou un Tom Palmer (dont on se souviendra des couvertures peintes, sur Star Wars ou Avengers).
Fantastic Four #54, par Kirby.
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J'attire l'attention par exemple sur le traitement du tapis, constitué de petites virgules (à défaut d'un autre terme), qui désignent peu ou prou la matière. C'est typiquement sinnotien.
Fantastic Four #69, par Kirby.
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Un autre truc très reconnaissable de Sinnott (au point que ça peut devenir l'indice que l'on cherche si l'on veut identifier son travail) c'est son traitement de la matière minérale. Sur les briques, on remarque des successions de trois ou quatre points, parfois étirés à la manière d'une virgule, et qui représentent les bosses et les rugosités de la pierre. Sur la gauche, à la hauteur de la corniche, on remarque un tel dispositif, complété par un trait courbe plus long, là encore typique de l'encreur. On remarquera aussi une netteté qui a fait sa légende, mais également le fait qu'il procède de plus en plus au trait, avec quelques petites masse de noir (sur le mollet et la cheville de Reed, sur les creux des débris de mur), et qu'il vire les hachures, auxquelles il recourait encore de temps en temps, deux ans avant.
Fantastic Four #110, par John Buscema.
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Maintenant que vous savez, vous pouvez repérer les petits tics visuels de Sinnott, sur les rochers, par exemple. De même, il recourt à des masses noires pour les volumes des muscles, mais cette fois-ci sur un dessin plus académique, où l'anatomie est moins géométrique.
Fantastic Four #158, par Rich Buckler.
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Encore les petites virgules matérialisant le grain du goudron. Remarquons que les hachures sont parcimonieusement réduites à l'ombre sur les phalanges de Ben (je ne compte pas celles qui dénotent les reflets sur les vitres, et qui procèdent d'une autre logique). J'attire aussi l'attention sur les traits de cerné pour les contours des silhouettes (hanche et jambe d'Alicia, cuisse de Ben), qui font fi de la réalité des vêtements et s'attachent surtout à décrire le mouvement ou la massivité d'un corps.
Fantastic Four #179, par Ron Wilson.
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Bon, les craquelures sur les rochers, les traits de contours des corps (rehaussés ici par des hachures arrondies pour le modelé des muscles). Wilson a rarement été aussi bien servi (même s'il a eu de très chouettes encreurs sur Two-in-One). On notera aussi les "Kirby Dots" ou "Kirby Kracles", pour lesquels Sinnott faisait preuve d'un soin tout particulier, représentant des ronds presque parfait d'un noir impeccable, là où d'autre varient la forme et la texture.
Fantastic Four #182, par Sal Buscema.
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Sans doute à la suite des crayonnés de Sal Buscema, les "Kirby Kracles" sont plus oblongs. Remarquons aussi le code graphique de la matière minérale qui sert ici à renforcer les traits d'impact, comme si la matière cédait sous le coup de poing.
Fantastic Four #188, par George Pérez.
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Des "Kirby Kracles" (avec quelques variations autour de la baguette du Molecule Man), des traits de contours épais, le code classique pour le minéral… La limpidité du trait sert assez bien le dessin d'un jeune George Pérez déjà très attentif au détail : avec l'encrage de Sinnott, on n'est pas perdu dans la profusion de petites choses que dessine Pérez.
Fantastic Four #199, par Keith Pollard.
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Maintenant, le style est reconnaissable, non ? On notera la variété dans les effets de matière (y compris certains tissus) et la précision des drapés, qui se marie avec le dessin réaliste de Pollard.
Fantastic Four #207, par Sal Buscema.
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Bon, vous connaissez la chanson, hein !
Fantastic Four #210, par John Byrne.
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Le style détaillé du dessinateur se marie assez bien avec la minutie de l'encreur, même si on perd en rondeur. Sinnott n'est pas son meilleur "embellisseur", mais la rencontre est intéressante, à mes yeux.
Fantastic Four #219, par Bill Sienkiewicz.
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En revanche, je suis moins emballé par le mariage entre le style de Sienkiewicz, encore fortement influencé par Neal Adams, et celui de Sinnott, trop propre (mais Sinnott et Adams, ça n'avait pas formidablement marché non plus, sur Thor). Cela étant dit, l'encreur se trouve à traiter des choses différemment, à "sortir de sa zone de confort", dirions-nous aujourd'hui, comme le prouvent les éclairages contrastés que l'on trouve dans cette planche. Notons aussi une astuce que j'ai toujours aimée, à savoir traiter les reflets du carrelage par des traits verticaux puis revenir dessus à l'aide de coups de blanc.
Voilà pour un petit tour d'horizon de Sinnott comme gardien du temple de Fantastic Four.
Jim