de Catel » 02/04/2007 12:43
Cette courte étude porte sur l'isolement d'un thème personnel que Albert Uderzo scénariste va abondamment introduire dans la série qu'il a créée avec René Goscinny en 1959, jusqu'à, récemment, la bouffer complètement. Elle remet en partie en perspective l'évolution d'Astérix depuis 1977 et le futur qu'on peut lui prévoir.
La première question est: lequel des deux a eu l'idée de la potion magique ? Le seul élément authentiquement surnaturel qui transparaît de tout l'opus goscinnesque ? Il y a certes, des anachronismes, des facilités avec l'Histoire, des absurdités, mais à part justement quelques autres potions de druides dans Astérix chez les Goths ou Le combat des chefs, seule la potion de Panoramix est "magique"... Tout autre élément est refusé. Goscinny semble même se refuser à tout irrationnel. Le devin de l'album éponyme est un escroc, les dieux ne se manifestent jamais bien que les personnages ne cessent de jurer par eux. On n'est pas chez De Gieter !
Mais avec le décès de Goscinny en 1977, Uderzo va se retrouver seul scénariste. Et si son humour et sa narration sont différents de ceux de son compère, son univers aussi...
La première réalisation d'Uderzo seule, le Grand Fossé, tient davantage du récit politique mené sur un registre comique. L'actualité s'y prêtait, avec la fin des années 70 qui était une décennie éminemment politique, et la campagne présidentielle des élections de 1981... On retrouve également un pastiche de Roméo et Juliette.
Côté fantastique, en revanche, Uderzo fait pour l'instant encore confiance aux potions de Panoramix, que les Romains ne savent pas maîtriser. Les transformations qu'ils subissent ("ballonnements" littéraux, rapetissement) tiennent de la vision cauchemardesque. Fleurs, Gaulois et chiens deviennent gigantesques, les légionnaires de véritables balles rebondissantes. Le centurion parlera, très justement, de "cauchemar". L'amnésie provoquée par cette même potion achève de faire de l'aventure des Romains un mauvais rêve.
L'Odyssée d'Astérix est sans doute le plus "goscinnesque" des albums d'Uderzo en même temps qu'il commence à aborder timidement le sujet de l'irréel. Si on ne trouve pas trace de fantastique dans cet album, Uderzo appelle en revanche en renfort les mythologies hébraïques et bibliques en portant le récit en Palestine. Il rend également hommage à son ami Goscinny, qui était juif.
Le scénario parvient à lier les terres les plus religieuses et mystiques du monde au merveilleux habituel en faisant du pétrole un ingrédient indispensable à la confection de la potion magique (alors que le Moyen-Orient n'est connu pour ses immenses réserves que depuis les années 1950). Il rassemble également sur le mode comique toutes les figures de la Bible: Béthléem, Ponce Pilate, la légende de David et Goliath...
Uderzo emmène Astérix et Obélix dans le désert comme des prophètes afin qu'ils en reviennent en sauveurs. Leur équipée sera vaine - Zérozérosix détruit le pétrole et Panoramix y trouve une substitution - et cela termine un peu l'album en queue de poisson.
Pas de magie dans l'album le Fils d'Astérix qui est parfois assez vaudevillesque. Mais l'incendie du village gaulois est une belle scène fantasmagorique, dont Goscinny n'aurait pas eu l'idée !
L'album Astérix chez Rahazade peut probablement être considéré comme le chef-d'oeuvre d'Albert Uderzo en tant que scénariste. Il prolonge et dépasse un album précédent, l'Odyssée d'Astérix.
Uderzo fait appel à la magie et à la mythologie. L'Asie, ce sont les tapis volants, les dresseurs de corde, les duels de magie entre fakirs, les mythiques cimetières d'éléphants et l'apparition de créatures mystérieuses pour des Gaulois: tigres, rhinocéros, singes...
Quant à la mythologie, Uderzo réalise un authentique voyage héroïque dans la grande tradition du genre.
Uderzo consacre d'abord l'existence de deux mondes séparés dans l'Antique: le monde "connu" gallo-romain, européen, matériel et "concret", et le monde asiatique qui relève de "l'irréel" voire parfois de l'onirisme comme le suggère la couverture de l'album ou les symboles nocturnes (Lune, étoiles) du vêtement du Rajah Cékouaçah.
L'Occident et l'Orient sont deux cultures qui s'entendent, mais qui sont aussi irréductiblement opposées. Cette opposition est marquée dès leur toute première rencontre. En effet, a contrario des Gaulois qui craignent que le ciel leur tombe sur la tête, Kiçah, lui, démontre dès son apparition la faculté de tomber du ciel sur la tête !
Comme dans tout récit initiatique, le passage entre ces deux mondes est progressif et le premier danger apparaît dès le survol de la forêt qui entoure le village gaulois: Obélix commet une imprudence et Assurancetourix manque de se tuer en tombant.
Lors du survol de Rome a lieu un intermède magnifique: César, malade (d'une grippe "asiatique" !), croit délirer lorsque l'objet de ses cauchemars passe sous ses yeux: les irréductibles Gaulois volant sur un tapis ! Une manière de lier, dans le voyage de nos héros, l'Asie géographique au domaine du mystère. Le "passage du seuil" est atteint alors que le tapis commence à survoler l'Asie: des flèches meurtrières surgissent de nulle part au-dessus du port de Tyr (moment quasi-fantastique: une menace invisible et sans justification) et cette fois, c'est Obélix qui tombe. Ce passage entre deux mondes est marqué également par les "escales gastronomiques" que promet Kiçah à Obélix: on commence par les sangliers d'une auberge gauloise "bien de chez nous" et on passe par la cambuse d'un navire pirate puis par un festin de chameau rôti et de caviar. La boucle est bouclée et l'union entre l'Orient et l'Occident consacrée lorsque Obélix peut manger des sangliers indiens, qui ont la "chance" de ne pas être sacrés, contrairement aux vaches... et lorsqu'on découvre que les Gaulois d'Armorique festoient exactement au même moment que nos héros.
Le trait d'union de ces deux mondes est symbolisé enfin par Assurancetourix, à qui Uderzo confère un don magique particulier: celui de faire pleuvoir en chantant, même à l'intérieur de la hutte des gens ! C'est à lui précisément que Kiçah fait appel pour rendre sa fertilité au Gange, et qui se révèle être le moteur de l'action, y compris lorsque, arrivé à destination, il perd sa voix... Voix qui, pour finir, évoque au marchand grec, rencontré en pleine mer, toutes les légendes de la mythologie héllène.
La Rose et le Glaive constitue un autre intermède dans l'oeuvre d'Uderzo car aucune thématique fantastique n'y est abordée... A part un détail burlesque: l'apparition, tout à la fin, d'un dragon d'heroic-fantasy, créature fantasmée par une décurionne lors d'une patrouille dans la forêt ! Et encore une fois, c'est la voix "magique" d'Assurancetourix qui fait apparaître l'animal de légende, qui concrétise l'imagination et le rêve...
Il faut noter que si le dragon existe dans les mythologiques grecques (Cerbère, l'Hydre...) et celtes, on n'en trouve, en revanche, aucune trace dans les mythes romains !
La Galère d'Obélix initie au contraire le retour en force du fantastique et de la mythologie, à un point même unique dans la série. Encore une fois, un phénomène magique y est lié: Obélix est changé en granit, puis retombe en enfance suite à... une overdose de potion magique. Pour le guérir, Panomarix emmène nos héros vers rien de moins que la cité de l'Atlantide ! Laquelle cité, respectant son origine platonicienne, arbore une étrange architecture gréco-romaine, inspirée du "Fantasia" (titre bien approprié...) de Walt Disney, comme tous les phénomènes étranges qui s'y trouvent: vaches volantes, dauphins-montures, jeunes centaures et fruits gigantesques. Contrairement au placide et passif Assurancetourix en Inde, Obélix fait preuve d'un rationalisme... en granit: "ils sont fous ces Atlantes !" Ces derniers, en réponse à son scepticisme, seront d'ailleurs incapables de quoi que ce soit pour lui ! On peut nettement reprocher à cet album de proposer un dénouement rapide au "conflit" de l'histoire, n'expliquant pas vraiment comment Obélix regrandit.
Peu de traces de fantastique dans Astérix et Latraviata. Signalons l'intervention étrange de deux dauphins qui sauvent la vie d'Astérix, peu après que les pirates l'aient confondu avec... un fantôme ! L'album se contente autrement d'une histoire familiale et politique mal racontée.
Quant à Le ciel leur tombe sur la tête... Que dire ? Que dire ? Uderzo prendrait-il la posture de celui qui attend la fin du monde proche, ou plutôt la sienne (de fin) ? Jouissons sans entrave ? Rien ne l'arrête, plus de repères, plus de conventions. C'est assez estomaquant. "Astérix et les extraterrestres". Une sorte de délire pervers pour satiristes et autres auteurs de faux Tintin. Même les personnages habituels semblent ne plus être ce qu'ils étaient. Est-ce toujours Obélix qu'on voit ? Est-ce, en définitive, toujours Astérix, la série, qu'on lit ? Ou bien Uderzo ne la considère-t-il plus que comme un alibi pour imposer, enfin, ses goûts à lui, sa manière de concevoir la BD ? Quels sont ces effets graphiques informatisés qui ont davantage leur place dans le comic book que dans LE classique du franco-belge ? Astérix se prête-t-il à ce mélange ? Uderzo a dépassé la limite, non pas de l'acceptable, mais du vraisemblable. Il engage sérieusement le débat sur l'identité de la série et la légitimité de l'auteur, un débat pas neuf dans quelque Art que ce soit.
En conclusion, je poserais ceci: Albert, c'est très, très bien d'avoir son univers personnel. Mais, par pitié, PAS DANS ASTERIX !! Ne viens pas parasiter un monde qui n'est qu'à moitié à toi... On a le droit d'être déçu par Uderzo, qui a fait de bons Astérix, et aussi de très mauvais, là où presque TOUS les Goscinny sont géniaux. S'il veut vraiment tourner la page, il ferait mieux de créer une toute nouvelle série, rien qu'à lui, ou simplement un one-shot. Après tout sa carrière ne se résume pas à une série, il a fait Tanguy et Laverdure et d'autres !
"La BD de demain ? Il y aura des feuilletons dessinés sur Internet que les mômes regarderont comme on lisait un hebdomadaire. Mais comme métier, c'est devenu très difficilement rentable." Michel Greg, 1996.