Grand fan de l’île au trésor, je reste très attaché à l’histoire originale et je demeure souvent critique face aux (trop) nombreuses adaptations (12 occurrences rien qu'en adaptation BD référencées sur ce site, sans compter celles incrustées dans des "séries", comme celle de Disney avec Mickey dans le rôle de Jim).
La dernière que j'ai lu et qui m'a grandement déçu pour cause de classicisme désuet est celle de Lemoine et Woehrel
Autant vous dire que je suis resté sceptique sur cette nouvelle adaptation et que je n’ai donc pas sauté le pas à l’époque de la sortie du tome 1.
Mais avec la sortie du tome 3, les avis très positifs sur ce forum ainsi que les conseils répétés de mes libraires, je me suis décidé à tester le tome 1... sans grande conviction au départ. Je devais trouver une idée de BD à me faire offrir, j'ai donc pioché parmi ma longue liste des "éventuels", dont faisait partie Jim Hawkins.
Cette acquisition date donc de samedi dernier. Dimanche, disposant d'un peu de temps, je me lance dans la lecture de ce tome 1...
... Et là, j’ai pris une claque.
Visuellement, ce qui semblait sympathique au feuilletage devient sublime et incroyable de détails lorsqu’on le lit. Les décors fourmillent de détails, les personnages sont nombreux mais possèdent tous des trognes, des vrais visages bien définis. Y compris les figurants de l'arrière-plan, chez qui on peut déceler plein de petites mimiques.
La multitude des animaux proposée est également assez démente, surtout quand, immanquablement, on compare ce travail à celui de Guarnido sur Blacksad : le maître espagnol ne proposait pas autant de variété d'espèces. Je pense notamment
à l'arrivée de Jim à l'auberge de Kong John Silver : outre le bâtiment époustouflant, les planches de l'intérieur sont encore plus incroyables avec ces singes dans les hauteurs sous-plafond et les autres espèces en bas.
Scénaristiquement, l’écriture est impeccable de qualité. Un vrai travail sur la prose et sur la construction du récit, qui nous emmène donc des débuts du roman jusqu’au départ du navire avec Jim et [Kong] John Silver à bord. Le rythme est rapide sans être effréné, l'action est suffisante sans prendre le pas sur les moments d'introspection.
Je suis sorti de ma lecture enchanté, et mardi j'ai foncé récupérer le tome 2 et le tome 3 (avec, bonus, ce fameux coffret avec cale + carte ; le dernier de la librairie d'ailleurs, coup de chance). Et j'ai profité de ce mercredi pour lire la fin du récit.
Graphiquement, c'est juste incroyable : on sent le travail méticuleux, afin de varier les plans, les cadrages, les propositions de décors et les zooms sur les personnages. Le tome 3 est à ce titre assez exceptionnel avec pas moins
de 3 double-pages, toutes plus belles les unes que les autres : l'attaque du fortin est à ce titre ma préférée, sublime.
Au niveau de l'écriture, le tome 2 est un peu plus lent au départ, mais c'est dû au matériau d'origine : le huis-clos sur le navire casse un peu le rythme
jusqu'à l'orage, où la puissance graphique balaye tout sur son passage. On se sent happé par la pluie et le vent, on ressent les craintes de Jim à ce moment-là (en tout cas, c'est ce que j'ai ressenti).
A partir de là, le récit s'emballe à nouveau avec
l'arrivée sur l'île et la découverte de Jim à propos de Kong John Silver et de sa trahison.
En revanche le tome 3 nous éclabousse de talent, que ce soit graphiquement ou narrativement. C'est le meilleur tome de la série, aussi sombre que le premier tome était coloré, aussi frénétique
avec cette recherche du trésor et cette quête emmenant les pirates et Jim à travers l'île jusqu'à l'îlot du crâne
que le tome 1 était contemplatif
avec ses scènes à l'auberge, avec le vieux Billy Bones et Jim qui a soif d'aventure
.
Du coup je suis ressorti de cette lecture avec le plaisir d'avoir eu une proposition très maligne : le récit originel est respecté, ce qui évite aux connaisseurs de l'oeuvre de Stevenson d'être désappointés. Mais en même temps, la proposition graphique avec ces animaux anthropomorphes permet d'offrir des petites variétés qui ajoute un réel supplément d'âme à l'histoire.
Ce n'est ni une adaptation classique très "scolaire", qui parlerait à des enseignants de français et à leurs élèves, ni une oeuvre "inspirée de", comme le Long John Silver de Dorison et Lauffray. Ce petit coup de maître me fait dire "chapeau M. Vastra".
Je n'ai qu'un seul regret, c'est celui de ne pas avoir su percevoir à temps la qualité de cette BD. Mais mieux vaut tard que jamais
Et conseils pour ceux qui ont raté cette série : foncez, vous ne pourrez pas être déçu (ne serait-ce que pour les graphismes, la BD vaut son pesant !)
"Mais la plus belle des victoires, mon fils, est de faire battre le coeur de ton peuple.
Je te confie cela, car lorsque ma vie s'achèvera,
Toi, tu seras roi. »
Terenas Menethill II