de LEAUTAUD » 10/03/2012 22:46
Les hommages se succèdent dans les médias, le renom de Gir/Moebius se décline en articles répétitifs, mais c'est la règle du genre nécrologique...ça me donne l'envie d'écrire ici, avant d'aller me pieuter pour conclure cette triste journée, sur les quelques moments où j'ai eu le bonheur de croiser la route de ce grand bonhomme.
Ca remonte à loin, en 1963 pour être précis, où mon frère et moi découvrions les pages signées Moebius dans le mensuel Hara-Kiri que ramenait mon père à la maison. Nous étions soufflés par ces histoires étranges, cyniques, magistralement inquiétantes et pourtant humoristiques. Nous avons longtemps utilisé en famille cette expression, tirée de l'une des histoires : "Tilté à mort à sa première sortie !", qu'on resservait à la moindre occasion, qui ne manquait pas lors de nos bagarres d'ados...oui, ce lointain Moebius existait déjà pour nous, qui n'imaginions pas une seconde le retrouver des années plus tard avec " Le bandard fou"...
Ma deuxième rencontre avec lui fut la lecture fiévreuse de l'hebdo Pilote en 1971 qu'un groupe de copains se disputaient dans un café du côté de Javel, après nos diffusions de tracts devant l'usine Citroën...une détente bienvenue après ces actions militantes. Je nous revois, écroulés de rire devant la RAB de Gotlib, et sidérés par la virtuosité du dessin et des aventures de Blueberry...sans être de fins analystes il était évident pour nous qu'il se passait quelque chose d'important dans ces pages, où soufflait une nouveauté qu'illustrait bien Blueberry sous influence Sergio Leonesque. C'est moi qui achetais ces Pilotes, et je les ai encore après tout ce temps...
La première fois que j'ai rencontré Jean Giraud ce fut en 1982, à l'occasion de la sortie du film de Laloux "Les Maîtres du temps", que ces deux auteurs étaient venus présenter en avant-première à Grenoble. J'ai posé une question à Moebius, une question stupide (je lui avais demandé si les acteurs avaient été doublés pour les scènes dangereuses, ce qui l'avait fait rire, son indulgence était grande), et quelques échanges sur le film avaient suivis...J'ai retrouvé l'auteur en 1986 lors d'une convention à Lyon où je l'avais interviewé pour le compte d'un fanzine, sa gentillesse et sa disponibilité m'avaient sidéré, dans un contexte qui ne s'y prêtait pas.
J'allais le croiser désormais dans plusieurs festivals, et j'étais présent à sa conférence au CNBDI d'Angoulème lors de sa grande expo "Traits de génie" en 2000, où je l'ai interrogé sur ce qui l'avait conduit à ne plus travailler pour les éditions du Square, et s'il en éprouvait quelques regrets (en substance il répondit que oui, mais ainsi va la vie)...Il aimait beaucoup le travail de Sergio Toppi, que nous éditions chez Mosquito, et ma dernière conversation avec lui s'est tenue il y a quelques années devant notre stand à Angoulème, sur cet autre grand créateur...
J'ignorais la gravité de sa maladie, la nouvelle de sa disparition a vraiment été un coup de tonnerre, pas un instant l'idée qu'il puisse ainsi disparaître ne m'avait traversé l'esprit. Je le percevais inconsciemment à travers ses oeuvres comme un artiste intemporel, d'autres mourraient bien sûr, mais lui ?
Voilà, il est parti à son tour, et nous restons là comme abasourdis, les bras ballants et le coeur gros...
ps: merci Gillouf pour tes précisions sur cette plaque du Père-Lachaise. C'est bien émouvant.