mon nom est personne a écrit:Est ce que les notions d'âges d'or, d'argent et de bronze sont liées aux super-héros seulement ou à toute la bande dessinée américaine ? Je comptais l'utiliser comme trame chronologique mais du coup intégrer des oeuvres comme Maus si cela est spécifique aux SH…
Oui et non. C'est compliqué...
- Le comic strip est de très loin antérieur à la chronologie des "Âges" (le genre remonte à la fin du XIXe et produit déjà plusieurs œuvres majeures dès le premier tiers du XXe, de
Little Nemo à
Terry et les pirates...), son évolution se fait de façon très indépendante des super-héros (Hal Foster poursuit imperturbablement
Prince Valiant à travers les Âges d'Or et d'Argent, Watterson triomphe avec
Calvin & Hobbes en plein cœur de "l'Âge des ténèbres"...).
- L'Âge d'Or est défini à la fois, du point de vue de la chronologie, par les super-héros (puisqu'il s'ouvre par la première apparition de Superman), mais aussi, du point de vue du contenu, par le foisonnement des publications, des éditeurs et des genres (guerre, western, crime, horreur, SF, romance...).
- L'Âge d'Argent est presque entièrement défini par les super-héros, mais ce n'est sans doute pas un hasard si c'est aussi l'époque de l'essor du comix underground (Crumb...), une contre-culture qui réclame des choses moins "inoffensives" que ce que produit le mainstream à l'époque. Et puis il y a la maison Warren qui perpétue la tradition des comics d'horreur à la E.C., avec
Creepy et
Eerie qui sortent comme "magazines" et donc déjouent le Comics Code. Tout ça déclinera par la suite, quand le mainstream se modernisera.
- L'Âge de Bronze marque aussi, à côté des SH, un renouvellement des différents autres genres, avec notamment la vogue des comics de kung fu et surtout l'arrivée de l'heroic fantasy, avec les adaptations de
Conan par Thomas et Buscema en particulier.
Disons que la vision des "Âges" s'applique aux comic books mainstream, et au sein de cette case-là essentiellement les super-héros mais pas que.
mon nom est personne a écrit: - Tu parles des prémices de Marvel ? je comprends ça comme les prémices de sa création qui pourtant à l'âge de bronze était déjà développée.
Je voulais dire que l'Âge de Bronze voit se développer chez Marvel des choses qui étaient à l'état de prémices dans les années 60.
Pour s'en tenir à un seul exemple, Stan Lee avait conçu les X-Men comme une métaphore des minorités raciales opprimées aux U.S.A., mais au-delà de cette déclaration d'intention, sa version de l'équipe ça restait tout de même une bande de jeunes ados blancs, propres sur eux et assez naïfs ; ce sont Len Wein et Chris Claremont qui vont ajouter une foule de nouveaux personnages issus, eux, des quatre coins de la planète (Wolverine, Tornade, Diablo, Colossus, Mystique, Emma Frost, Kitty Pride, Malicia, Gambit, etc...) et en faire des adultes tourmentés avec une psychologie plus fouillée.
mon nom est personne a écrit: - J'ai lu Watchmen et TDKR mais je ne vois pas quoi dire dessus par manque d'expérience et d'analyse. Watchmen est une parodie du genre super-héros mais qu'est ce qui est parodié ? TDKR est une histoire sombre mais en quoi est-elle importante ?
Oulalah, laaaaaarge question, là.
D'abord je précise tout de suite que tu trouveras sur le forum des topics dédiés à ces deux-là, au détour des pages desquels tu trouveras des analyses beaucoup plus poussées et intéressantes que tout ce que je pourrais résumer ici.
Ensuite,
Watchmen est loin de se résumer à une "parodie" du genre (même si c'en est un ingrédient). Son point de départ, c'est : comment notre "vrai" monde aurait évolué si des super-héros étaient réellement apparus. Les conséquences politiques (les USA ont gagné la guerre du Vietnam grâce à Dr. Manhattan, Nixon en est à son quatrième mandat...), sociales (les justiciers masqués sont devenus des icônes puis ont été rejetés au profit d'un retour aux institutions légales), culturelles (les comics de pirates ont remplacé les comics de SH), etc. Par ailleurs dans sa description "réaliste" de l'univers des super-héros il va quand même beaucoup plus loin que ce qui avait été fait avant dans le genre, que ce soit dans la psychologie des personnages (dépressifs ou à moitié cinglés...) que dans ce qui est montré ou évoqué en terme de violence et de sexualité.
Et même si ce n'est pas, lui, au nom du "réalisme", c'est un point qu'il partage avec TDKR, paru la même année : même si le tandem O'Neil et Adams avait déjà commencé à tourner le page du Batman "pop" des années 60 et ramené le chevalier noir vers des choses plus... noires... Miller va beaucoup plus loin avec un Batman qui va jusqu'à tuer, et une dimension ouvertement politique de son propos (versant "anar' de droite" là où Moore est plutôt orienté "à gauche toute").
Tout ça ouvre la voie à ce qu'on trouvera dans les années 90 avec la vogue du
grim and gritty ("sinistre et malsain"), où les super-héros traditionnels vont s'en prendre plein la tronche : redéfinition plus terre-à-terre et en moins puissant de Superman par John Byrne, et plus tard sa mort contre Doomsday, la mort de Robin battu à mort par le Joker à coups de barre de fer, la mort de la petite amie de Green Lantern qu'il retrouve découpée en morceaux dans le frigo, etc., etc., pendant que triomphent les machines à tuer comme Wolverine ou le Punisher... Bref on est très loin de l'électrochoc qu'a pu représenter pour le lectorat la mort de Gwen Stacy en 73.
Par ailleurs,
Watchmen a aussi une dimension philosophique dont c'est un euphémisme de dire qu'elle était - et reste - rare dans le médium. Et il joue énormément sur la forme même du médium qu'il pousse dans ses retranchements (construction hyper-travaillée, narration éclatée, jeux de cadrage et de mise en page, chapitre en palindrome, mise en abyme par le biais du journal de Rorschach ou de la "BD dans la BD", annexes de fin de chapitre...). Cette dimension est moins évidente mais également présente dans TDKR avec son utilisation du "gaufrier".
mon nom est personne a écrit:- le genre a intégré tous les acquis de la modernité ? Peux-tu développer ?
De "sa" modernité, aurais-je peut-être dû plutôt préciser, mais oui : on voit maintenant de façon relativement courante dans les comics de super-héros (et, bien que dans une moindre mesure, ses dérivés à l'écran, avec le succès des Batman "sombres" et "réalistes" de Nolan, et ses imitateurs plus ou moins inspirés) des choses qui auraient été inimaginables il y a quelques décennies. Pour le meilleur et pour le pire. Des héros et héroïnes issus des "minorités" (noirs, homos, musulmans...), une capacité à évoquer des thèmes de société et d'actualité, mais aussi un niveau relativement élevé de violence et de "noirceur". Etc.
Mais comme je le disais également, en réaction à ce versant "dur", le courant "nostalgique" d'une époque plus légère et fantaisiste, plus portée aussi sur le
sense of wonder, courant qui était très minoritaire à la fin des années 80 et durant les années 90, a commencé à prendre une ampleur assez notable depuis le tournant de l'an 2000. Et personnellement j'avoue apprécier beaucoup les comics qui parviennent à conjoindre les deux traditions.