Damnation – Béla TARR – 1988
"Et puis seulement quand c'est fini
Alors on danse
Alors on danse
Alors on danse
Alors on danse
Alors on danse
Alors on danse
Alors on danse
Alors on danse
Et ben y en a encore
Et ben y en a encore
Et ben y en a encore"
Stromae, Bela Tarr, même combat.
Bon, plus sérieusement, film très très clivant.
Je vais partir d'une réflexion de jolan sur la longueur excessive des plans. Je me souviens de la lecture d'une critique dans les années 90 à propos d'un film asiatique que j'avais beaucoup aimé et qui disait que systématiquement les plans étaient coupés quelques secondes plus tard que cela n'aurait été le cas dans un film occidental. Et je m''étais rendu compte que ça mettait le doigt sur une des raisons principales pour lesquelles j'avais apprécié le film.
Ce Damnation, je l'ai trouvé d'une beauté formelle époustouflante. La longueur des plans, la composition des plans-séquences, avec une caméra presque toujours mobile même si le mouvement est souvent presque imperceptible. Tout cela ne cesse de convoquer mon attention. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde. Je n'ai pas vu les deux heures passer. Dans chaque plan, à chaque moment, il se passe quelque chose. Ce qui me semble définir l'approche de Bela Tarr, c'est son attention à la matière.
C'est pourquoi je pense qu'il s'agit d'une fausse piste que de le comparer à Tarkovski, au-delà de certains rapprochements formels de façade. En fait, tout oppose Tarr et Tarkovski. Bela Tarr est un cinéaste profondément matérialiste, là où Tarkovski s'est toujours viscéralement opposé au matérialisme. Si l'on cherche à retrouver dans le cinéma de Bela Tarr ce qui a pu plaire chez Tarkovski, on ne peut que s'avancer vers une déconvenue totale.
Chez Tarr, rien ne nous sort de la matière du monde, la boue, la pluie, les murs, les objets dans une pièce, les reliquats d'une ville minière où les matières extraites transitent sur une espèce de téléphérique qui semble encercler le regard. La mélancolie y est dérisoire et les bribes de récits, dont on se contrefout, s'y abiment. C'est plutôt à Kaurismaki que ce film m'a fait penser. Mais un Kaurismaki qui se serait complètement débarrassé de toute sentimentalité.
Toute histoire est une histoire de désintégration, est-il dit dans le film. Mais le grand art, et c'est là une de ses plus enthousiasmantes beauté, c'est qu'on peut y trouver une joie profonde même quand son propos est désespérant. Dans ce sens, au-delà de ce qu'il peut raconter, Damnation m'apporte de la joie. Et, paradoxalement, c'est précisément là qu'il échappe à la désintégration.
Ma note : 19 /20
PS : "et la post-synchro est totalement aux fraises, surtout pendant la scène du bal"
On ne peut pas vraiment parler de post-synchro aux fraises vu qu'il n'y a à mon sens aucune volonté de synchroniser la musique que l'on entend avec le groupe qui joue à l'image.
"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
Denis Johnson - "Arbre de fumée"