La BD choie ses lecteurs avec des albums gratuits en ligneRestez chez vous! On vous offre de la lecture gratuite! Coronavirus oblige, les principaux éditeurs de bande dessinée francophones revoient leurs stratégies. Objectif: garder le lien avec des lecteurs – enfants ou adultes – confinés chez eux, et pourquoi pas séduire un nouveau public. De Dargaud à Soleil, en passant par Delcourt, Glénat, Dupuis ou Le Lombard, ils sont nombreux à proposer des albums accessibles en lecture numérique, sans bourse délier. Parmi les livres en ligne, des titres extraits de séries prestigieuses (voir encadré), à l’image de «Boule et Bill», «Blake et Mortimer», «XIII», «Le Scorpion», «Spirou», «L’élève Ducobu» ou «Les Légendaires». Le manga n’est pas oublié.
Parallèlement, plusieurs éditeurs BD multiplient les initiatives pour mettre à disposition toutes sortes d’activités ludiques autour de personnages célèbres (Yakari, les Schtroumpfs, Lucky Luke). Au programme: coloriages, bricolages, puzzles et autres animations à réaliser en famille.
Enfin, tous ceux qui publient de la bande dessinée se retrouvent confrontés à un problème inédit, qui touche leur programme de parution. Que faire des albums parus juste avant la crise du Covid-19? Et comment étaler dans le temps les sorties prévues au printemps, sans qu’elles empiètent sur le programme de parutions du 2e semestre, traditionnellement très chargé? Un casse-tête dont se font l’écho tous nos interlocuteurs.
Benoît Pollet, directeur général des Éditions Dargaud«Sélectionnés au sein d’un catalogue généraliste riche de plusieurs milliers de références, douze titres sont disponibles gratuitement sur notre site (
http://www.dargaud.com). Il a fallu opérer un choix drastique. Ces albums permettent généralement de rentrer dans une série récente en cours. Mais il n’y a pas que des tomes I. Pour une BD patrimoniale comme Blake et Mortimer, la réflexion a été différente. Nous avons opté pour un album emblématique, «La marque jaune», qui reflète bien l’univers de la série. Avec Boule et Bill, nous avons choisi de mettre en avant un titre récent, qui parlera sans doute davantage à la jeune génération que les premiers albums.»
Certaines publications récentes, comme le formidable «De l’autre côté de la frontière», de Berthet et Fromental sorti le 6 mars, n’ont clairement pas pu trouver leur public. Des BD sacrifiées? «Non! Ces livres se sont retrouvés au mauvais moment. Mais la messe n’est pas dite. On n’a pas fait une croix sur ces sorties. L’enjeu va consister à leur redonner une visibilité au moment où les librairies rouvriront.» Au risque de concurrencer d’autres titres prévus durant le deuxième trimestre? «On étudie actuellement comment réinjecter dans le circuit les albums qui n’auront pas pu paraître en mars et avril. La certitude, c’est qu’à un moment donné, on aura du mal à maintenir tout ce que l’on pensait éditer en 2020. Il va falloir effectuer un important travail, de replanification du programme.»Marion Glénat, directrice de la communication des Éditions Glénat«Le manga est un de nos points forts. En bonne intelligence avec les auteurs et les éditeurs japonais concernés, nous mettons à disposition des titres en lecture gratuite sur notre site, durant quarante-huit heures. Cela fonctionne très bien: 6000 d’entre eux sont lus par jour, en moyenne. Le lectorat du manga est friand de lecture sur le digital. Sur la bande dessinée, nous n’offrons pas de gratuité. En revanche, nous faisons une offre à –50% sur une sélection d’environ 200 titres, dans de nombreux registres.»
Parmi les sorties récentes, un album en particulier a-t-il été impacté par le coronavirus? «Je citerais «La bombe», un roman graphique de plus de 400 pages sur la bombe atomique, cosigné par les scénaristes Didier Alcante et Laurent-Frédéric Bollée, et dessiné par Denis Rodier. Il s’agissait d’une de nos grosses priorités. On avait organisé une tournée de lancement avec les auteurs, venus du Canada, de Belgique et de France. À la moitié de l’opération, ils ont dû rentrer chez eux et demeurer confinés. C’est un coup dur pour eux qui ont travaillé quatre ans sur ce livre. De notre côté, cela faisait plus de six mois que l’on collaborait avec les librairies et les grandes enseignes commerciales pour mettre leur album en évidence. C’est rageant de se dire qu’on avait tous les ingrédients pour faire un succès. Ce titre-là, mais d’autres aussi, va être remis en avant une fois que la vie normale aura repris. Toutefois, on est en train de décaler la sortie de certains albums. Il faut penser aux libraires, à leurs capacités d’accueillir de nouveaux titres, et pas seulement les nôtres.»Laetitia El Ouaride, directrice marketing des Éditions Dupuis«Tous les lundis et jusqu’à la fin du confinement, on offre trois albums gratuits chaque semaine, disponibles sur notre site dupuis.com. Les relais de communication sont les réseaux sociaux et nos newsletters. Parmi les titres proposés, «L’horloger de la comète», un Spirou et Fantasio signé Tome et Janry. On trouve aussi, entre autres, Kid Paddle, JKJ Bloche, Télémaque et Théodore Poussin. Le principe, c’est à la fois de faire découvrir des tomes I, mais aussi des titres de fonds du catalogue. Le site izneo.com offre également une sélection de premiers volumes édités par Dupuis, ainsi que la lecture gratuite du journal «Spirou». Par ailleurs, le site webtoonfactory.com propose un mois d’abonnement gratuit pour des ouvrages à lire sur son smartphone.»
Pénalisés par leur sortie en mars, juste avant que les librairies ne ferment, des titres tels «Le chanteur perdu» de Didier Tronchet, ou «L’instant d’après» signé Zidrou et Maltaite seront remis en avant dès la fin de la crise. «On ne va pas tout sortir en même temps. Pour des questions logistiques, les albums qui auraient dû paraître le 20 mars seront les premiers à arriver en librairie. Tout notre programme éditorial va être retravaillé, de façon à ne pénaliser aucun album. Il y aura beaucoup de reports, notamment pour des tomes I ou des jeunes séries qui auraient dû sortir en avril et que l’on sait qu’on n’arrivera pas à mettre en avant à la fin de l’année. Aucune décision ferme et définitive n’a été prise pour l’instant, sinon celle de ne pas provoquer une avalanche de livres au début de 2021.»