de NicoBax » 04/02/2008 03:02
Tiens, un Blougou ! Si j'm'attendais... Vraiment pas d'accord pour le volume 2. Je suis en train de taffer sur un article dessus, en attendant, ce que j'avais écrit sur le premier tome :
Quand on est jeune et qu'on est un garçon, on s'imagine les filles comme d'indécrottables romantiques, toujours d'une hygiène irréprochable (sauf la grosse moche du premier rang qui court pour arriver la première au cours de math), à rêver de faire l'amour dans une chambre éclairée à la bougie sur un lit parsemé de pétales de roses sur un fond de musique suave au rythme chaloupé de soupirs de plaisir discrets.
Et il y a, en parallèle, le fantasme. Celui nourri par les missions commando du premier samedi du mois ou les ruses consistant à laisser tourner le magnétoscope bien après la fin de "L'équipe du dimanche" sur Canal+. Et là, ce charmant petit être plein de douceur qu'on ose à peine approcher autrement que pour lui tirer maladroitement l'élastique de son soutien-gorge se transforme en un objet sexuel dénué de toute émotion, simplement là pour assouvir les plaisirs acrobatiques et égoïstes d'un mâle en rut aux plaquettes de chocolat et à l'engin complexifiant (qu'on aimerait bien évidemment être).
Et puis on grandit. C'est comme au tennis, au bout d'un moment, on est assez grand pour arrêter de jouer "au mur" tout seul avec sa raquette et sa balle pour aller la taper (la balle) avec quelqu'un sur le terrain. En allant enfin jouer sur gazon (puis sur terre battue par temps de pluie pour les plus aventureux), on découvre que la femme, finalement, c'est un peu un mélange de nos visions d'adolescents.
Aurélia Aurita (le nom d'une méduse, allez comprendre), de son vrai nom Chenda Khun signe avec "Fraise Et Chocolat" son deuxième album personnel après "Angora" publié en 2003. Remarquée en 2001 au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême où elle remporte le prix du meilleur scénario au concours Alph'Art, cette jeune auteur d'origine sino-khmère n'a pas sa langue dans sa poche (c'est le cas de le dire). Dans cette bande-dessinée, elle décide ni plus ni moins de partager sous l'angle sexuel, la passion du début de sa relation avec Frédéric Boilet, autre auteur de bande dessinée, expatrié au Japon.
C'est là la force de ce premier tome de "Fraise Et Chocolat". En bande-dessinée, les ouvrages narrant les fantasmes mâles sont légion, du plus platonique au plus graveleux. En revanche, le plaisir féminin, comme longtemps en littérature classique, est resté tabou ou intellectualisé à outrance. Aurélia Aurita ose livrer sans pudeur l'intimité de son couple, sans pour autant tomber dans l'exhibitionnisme. Car c'est avant tout d'amour dont il s'agit, et en amour, rien n'est sale (même si le livre tient son titre d'une maxime célèbre : "Quand la rivière est rouge, emprunte le chemin boueux").
Se mêlent alors réflexions sur la recherche du plaisir (et l'auteur est dotée d'un solide appétit, presque insatiable), l'amour, anecdotes sexuelles (Mikado, la petite faiblesse qui vous perdra), doutes et certitudes, le tout avec naturel et tendresse. C'est toujours une jeune femme amoureuse qui nous livre ses pensées les plus intimes, désamorçant ainsi l'aspect voyeuriste de la lecture de ce quasi journal intime. Porté par un dessin simple et très féminin, plein de rondeurs et de dynamisme malgré son coté épuré, le propos évite la vulgarité quelle que soit la situation, de la plus anodine à la plus acrobatiquement intime.
Et Aurélia Aurita a de jolies sorties, réalistes et romantiques à la fois comme ce "J'aimerais t'aimer toujours", tellement plus vrai que les mièvreries habituelles sur l'amour éternel ou cette simple ambivalence face à ce premier amour passionné : "Je suis heureuse. J'ai peur". Ou encore cette réflexion lucide et rafraîchissante dans la bouche d'une femme (pas de jeux de mots cette fois) alors que les "Sex ‘n The City" pullulent : "Il y a ceux qui lèchent pour rentrer et ceux qui lèchent pour donner du plaisir. De même, il y a les filles qui se contentent d'écarter bêtement en attendant les cloches de Pâques et les autres, attentives au moindre soupir de leur partenaire, amantes dévouées faisant passer le plaisir de l'autre avant le leur. Ça m'a pris neuf ans pour réaliser que pendant tout ce temps, j'avais appartenu à la première catégorie. […] je me suis rendue compte que je n'avais jamais regardé les visages de mes partenaires en train de jouir. Et c'est cette amante de seconde zone qui classait les hommes en trois catégories : éjaculateur précoce, bande-mou et peine à jouir ! La dernière étant évidemment la plus recherchée".
Le ton est cru donc, Aurélia parle de sodomie, d'orgasme, de cunnilingus ou de fellation sans prendre de pincettes, comme on devrait toujours en parler finalement. Son dynamisme, sa joie de vivre et son humour sont décapants. Elle s'autorise même des jeux de mots pourris du genre "Pas de sapin cette année, juste sa pine". Humour jusqu'au bout puisqu'elle conclut son album avec un pied de nez à ceux qui pourraient lui reprocher sa franchise et son absence de pudeur : "L'histoire que vous venez de lire est une fiction, car je n'ai jamais, bien évidemment, de toute ma vie, repassé une seule des chemises de Frédéric".
Le 1er novembre, "Fraise et chocolat" a eu un petit frère, un tome 2 qu'on accueillera avec une certaine réserve. C'est le ton inédit du premier tome qui a fait sa force : est-ce que cette sincérité et cette fraîcheur auront la même force cette fois-ci, maintenant que le couple est entré dans la routine du quotidien (qu'on aurait bien tort de trop dénigrer) ? Mais il ne faudrait pas enterrer Aurélia Aurita trop vite, la vie de couple peut donner lieu à de bons moments entre ses doigts (non, non toujours pas) : il en est des verges comme de la passion, quand elles retombent, le doute s'installe.
Qu'importe la qualité du tome 2, comme elle le glisse à l'oreille de son amant, "si notre histoire est intéressante, [il restera] un très beau livre" : Fraise et chocolat.