Dunyre a écrit:A la deuxième lecture, ce tome 1 est toujours aussi qualitatif : une grande aventure maritime, inspirée de faits réels donc avec un poids renforcé, une galerie de trognes et de personnages très charismatiques, des décors majestueux et des ambiances dingues.
Cependant, je vais être beaucoup moins dithyrambique que ce que j’ai pu lire jusque-là sur le tome 2. Le principal souci pour moi est inhérent à l’histoire et à l’Histoire : un huis-clos sur une île, avec une faible variété de lieux et de paysages.
Au final c’est graphiquement très beau [...], le reste du temps c’est surtout beaucoup de tronches de personnages, de dialogues sur des cailloux ou du sable. Un peu répétitif…
Scénaristiquement, si l’histoire est encore une fois remarquable du fait de la base réelle derrière, je me suis un peu ennuyé, perdu dans le bla-bla et les lourdeurs des échanges. J’ai trouvé cela un peu redondant, toujours les mêmes rengaines, encore et encore : des dizaines de pages tournant autour
du méchant Jeronimus qui a vrillé, de sa bande de bourrins prêts à tout massacrer et de Lucretia qui ne sait pas comment évoluer dans ce milieu, prise entre plusieurs feux. Le tout en attendant bien sûr le beau chevalier Hayes, perdu avec ses alliés sur un îlot dont on ne sait pas grand chose avant le dernier tiers du récit.
Autant je n’avais ressenti aucune longueur dans le premier tome, ni à la première ni à la deuxième lecture, autant j’en ai trouvé plusieurs dans ce tome 2.
Et je ressors de cette lecture avec un sentiment mitigé car si j’ai adoré relire le 1 et que je serais prêt à le relire de nouveau, je ne suis pas certain que je prendrai du plaisir à relire le tome 2 à l’avenir. A 35 euros le bouquin, cela fait cher de la lecture « one shot ». [...]
Cher Dunyre, je dois dire que je partage complètement ton ressenti...
Ce tome 2, c'est un peu la version Canada dry du tome 1.
Si dans le tome 1, les sensations liées à la navigation en haute mer perduraient après la lecture, ce tome 2 pour ma part est totalement inodore, dans ce tome 2 on ne sent rien du tout... Bien sûr, c'est très bien fait, mais on reste trop à distance. C'est peut-être lié à la construction du récit : il y a je trouve une succession de passages imposés et qui ne sont jamais véritablement amenés : à la fin par exemple, on a une vision des
marins rescapés décharnés, mais à aucun moment sur l'île, on n'aura ressenti la privation, la soif. Je comprends l'intention - faire une image coup de poing -, mais pour moi, cela ne fonctionne pas vraiment
. De la même façon, on a les naufragés, on a l'île, mais pas de liens, pas d'interactions entre ces 2 éléments. L'île semble un décor de théâtre lointain sur lequel on aurait surimposé les personnages. Et je ne mets pas en cause ici la partie graphique (toujours aussi belle), mais plutôt la construction de l'histoire. Je me souviens seulement des efforts de Hayes pour aller sur une île (c'est lié sans doute à la composition de l'image). Je me demande d'ailleurs si ton commentaire, Dunyre, sur les tronches en gros plan, n'est pas une clé pour comprendre ce manque de lien entre les personnages et leur environnement. L'île n'est jamais installée.
J'ai trouvé également qu'il y avait des longueurs et, à deux reprises, j'ai regardé combien il restait de pages, certainement lassé moi aussi par la redondance des actions et la répétition des scènes. Au bout d'un moment, je m'attendais même à voir les sbires de J. Cornélius traverser l'île tels des Beatles arpentant Abbey road
(la matraque clouée de Negan à la main)
ou les nains de Blanche-Neige
avec leur piolet ensanglanté sur l'épaule
sifflotant et chantonnant : " Heigh ho Heigh ho, on rentre du boulot ! " (et là, on voit que j'étais déjà parti...).
Je laisse de côté la romance
qui ne convainc pas. Comme dans certains films, on ne sent pas vraiment le lien non plus entre les deux, mais ce qui m'a également fait sortir de ma lecture, c'est le portrait trop hétéroclite de Jeronimus
à la fois machaviel insensible et victime traumatisée par la perte de sa fille et par sa ruine brutale, esprit supérieur et cynique, mais affecté par le mépris de ses anciens clients - de bourreau, on passe à Caliméro-, homme transi devant Lucrétia dont il veut obtenir les faveurs, mais qui se résoudrait finalement à violer son cadavre, histoire de bien nous montrer que personne ne lui résistera...
, le vrai Cornélius devait sans aucun doute être bien torturé, mais je trouve que la plupart du temps, ça ne fonctionne pas. Tout est trop appuyé, explicité dans ce portrait : on tente de saisir l'insaisissable là où le second de Pelsaert était (du moins dans mon souvenir) dans l'excellente adaptation de Dabitch et Pendanx
un personnage énigmatique, un bloc monolithique effrayant de détermination et d'ambition, incarnant parfaitement cette figure du dictateur tyrannique et sans pitié, convaincu d'être l'élu à qui tout le monde doit se soumettre.
Trop appuyée également (je commence à me demander si ce n'est pas une marque de fabrique) la scène où l'homme de main sourit lorsque Jeronimus lui demande
de vêtir Lucrétia d'une robe rouge pour qu'il puisse à son tour enfiler tranquillement le cadavre de la belle
, trop évidents les portraits des marins brutaux et grossiers qui se réjouissent des
massacres à venir - mention spéciale au placide homme de Neandertal à tresses et tricorne (bicorne peut-être) dont le regard rappelle celui du veau dans la luserne - alors qu'il aurait été intéressant d'imaginer, quitte à prendre des libertés avec la véritable histoire, que Cornélius ne retournât pas que des marins bercés trop près du mur : on a vraiment l'impression que tous les idiots des villages bataves s'étaient réunis dans la cale du Djakarta
.
Un point que j'ai aimé, c'est la réapparition de la
lanterne à la fin du récit
dont j'ai trouvé le traitement réussi ou
comment un objet peut avoir deux significations bien distinctes pour les rescapés et les comptables de la VOC...
Pour finir, j'en reviens au parallèle inévitable avec la première adaptation BD de cette sordide affaire. Si " 1629 " est un ouvrage bien réalisé à la qualité éditioriale somptueuse, je trouve que " Jeronimus " était bien plus abouti et intéressant. Je l'ai lu il y a bien longtemps, mais je n'ai pas oublié l'atmosphère irrespirable de cette île, et si le dessin de Montaigne est beau, immédiatement accessible, celui de Pendanx, certes plus figé sans doute, moins séducteur à première vue, est incroyablement adapté à cette terrible histoire. Donc pour moi, il n'y a pas vraiment match, mais si on devait regarder les chiffres de ventes, la victoire serait, j'imagine, écrasante pour " 1629 ".