D'autres au contraire, soutiennent que cette période n'est pas aussi sombre que ce que la majorité croit...
Suite à un débat lancé sur le topic de prométhée, j'ouvre ce nouveau sujet, sur proposition de zemartinus.
l'idée est de continuer le débat ici, histoire de dépolluer un énorme hors sujet (mais passionant malgré tout) sur le topic initial.
Pour ce faire, j'entame avec une grosse introduction / explication de zemartinus:
Bon voilà j'étais motivé alors j'vous ai pondu un p'tit résumé de la période charnière où on passe de l'Antiquité au Moyen-Age, bon y'a sûrement des erreurs et des inexactitudes dans le tas mais j'ai essayé d'être le plus juste possible. Bon okay c'est pas directement lié à ce que je comptais développer au départ, mais disons que ça sert d'introduction à ce que je développerai plus tard (même si j'ai bien peur que cette introduction sera finalement plus longue que tout le reste).
Bon alors, commençons donc par le commencement, un petit mot sur les Grandes Invasions.
Première remarque : il s'agit en fait tout autant de migrations que d'invasions, c'est un phénomène qui a été très progressif, très long (environ deux siècles, de 350 à 550 environ), qui n'est pas arrivé subitement, il n'y a pas eu de rupture marquée, les peuples Germains ont migré pour diverses raisons, notamment pour fuir les armées Huns qui arrivaient sur l'Europe et pour trouver des conditions climatiques plus favorables (série de péjorations climatiques en Europe à l'époque). Les Barbares avaient déjà de nombreux contacts avec Rome : beaucoup de commerce le long des frontières, et surtout énormément de germains dans les armées romaines. Rome a d'ailleurs parfois favorisé l'installation des peuples germaniques sur ses terres, quelques exemples :
-les Wisigoths, l'empereur Honorius ayant conclu avec eux un traité les autorisant à s'installer dans le sud-ouest de la Gaule pour remettre de l'ordre sur ce territoire romain en proie à la rébellion et à l'insécurité - les Wisigoths y furent d'ailleurs accueillit en héros pacificateurs
- les Francs, qui s'installent en Gaule avec l'autorisation de l'empire romain en échange de la protection des frontières du nord-est
-les Ostrogoths, qui ont conquis l'Italie (alors aux mains du chef barbare Odoacre) à la demande de l'empereur byzantin Zénon.
Bref, tout ça pour dire que l'image d'Epinal des peuples barbares qui déferlent subitement en masse sur l'empire romain en ravageant tout sur leur passage est à largement relativiser.
Par la suite sont constitués sur les vestiges de l'Empire romain des Royaumes Barbares plus ou moins puissants et plus ou moins durables, souvent reconnus par l'Empire romain d'Orient qui considérait (au début du moins) que ces terres appartenaient toujours à l'Empire mais que leur gouvernance avait été déléguée à des chefs barbares ; et ici aussi on n'a pas de rupture nette avec la période précédente.
En effet un certain nombre d'éléments de la société romaine sont toujours maintenus : les institutions, le système administratif, le système fiscal, la mise par écrit des lois au tournant des Ve et VIe siècle (le code d'Euric des Wisigoths, la Loi Salique des Francs, la Loi Gombette des Burgondes, etc.), l'utilisation de titres romains, l'emploi systématique de l'écrit, etc.
La culture antique se maintient également, grâce notamment aux écoles urbaines dont l'activité reste vive tout au long du VIe siècle, mais aussi à l'organisation de jeux par les aristocraties barbares : le roi Chilpéric donne des jeux dans les cirques de Soissons et de Paris, de nombreux spectacle romains sont également organisés par les rois francs à Arles, dans l'Italie du roi ostrogoth Théodoric le Grand des jeux sont donnés régulièrement, à Rome et ailleurs, le théâtre continue de vivre dans la vie public, même chose en Afrique du Nord où les Vandales financent des spectacles romains (mime, pantomime, courses de char, chasse...).
En effet, petit à petit au cours du VIe siècle les aristocraties barbares s'ouvrent à la culture latine, adoptent en partie le mode de vie romain, se font mécènes en protégeant les écrivains et en leur commandant des oeuvres (en Espagne notamment), font venir à leurs cours des lettrés (questeurs, juristes, notaires...), écrivent parfois eux-mêmes (le franc Gogon, maire du palais d'Austrasie, est poète et rétheur, le roi Chilpéric écrit des vers, compose un traité de théologie, tente une réforme de l'alphabet latin, etc.). En Italie, en Espagne, en Afrique du Nord, les monuments romains sont protégés et rénovés.
-En Italie, l'action du roi ostrogoth Théodoric le Grand, le plus puissant souverain de cette période dont le règne dura presque 40 ans, est exceptionnelle, à la tête d'un territoire gigantesque (l'Italie bien sûr, mais aussi la quasi-totalité de l'Espagne et du sud-ouest de la Gaule quand il devient régent du royaume wisigoth, ainsi qu'une partie de la Provence et un large territoire au nord-ouest de l'empire byzantin). Otage à Constantinople tout au long de son enfance, il bénéficie d'une éducation romaine raffinée et sera un souverain éclairé, qualifié de "nouveau Trajan" par les intellectuels latins, mécène, favorisant l'activité des écoles antiques de Rome, sauvant les monuments de la ville, passionné d'astronomie, fin stratège, puissant chef militaire, se plaçant en "protecteur" des royaumes germaniques de l'époque (celui des Francs excepté), développant une politique de tolérance à l'égard des populations conquises et de leurs religions, il offre à l'Italie 30 ans de paix, situation que la péninsule ne retrouvera pas avant plusieurs siècles. Mais la reconquête byzantine de Justinien au milieu du VIe siècle aura des conséquences désastreuses pour la péninsule, le médiéviste Pierre Riché en parle ainsi : "cette reconquête qui devait durer 20 ans ruina l'Italie, disloqua les structures économico-sociales, vida Rome, prise et reprise maintes fois, sonna le glas du Sénat". Ainsi ce ne sont au final pas les invasions barbares qui ont durablement ruinées l'Italie mais bien les conquêtes byzantines.
-En Afrique du Nord, après une période de lourde intolérance religieuse à l'égard des populations vaincus, les Vandales adoptent un certain "art de vivre" romain et perpétuent les traditions latines, Procope de Césarée, historien byzantin, parle d'eux ainsi (en forçant le trait quand même) : "les Vandales prenaient tous quotidiennement des bains, et leurs tables regorgeaient des meilleurs et des plus agréables produits terrestres ou maritimes. Quand ils jouissaient de loisirs, ils passaient dans les théâtres et les hippodromes, et s'ils se livraient à toutes sortes de plaisir, ils aimaient spécialement ceux de la chasse. Ils avaient aussi des danseurs et des mimes, et il leur était fréquent d'assister à des auditions et des spectacles. La majorité d'entre eux vivaient dans des parcs, où ils trouvaient en abondance eaux et ombrages".
-en Gaule, si dans le nord la romanité est gravement touchée le sud reste lui largement romanisé, que ce soit dans les mode de vie, le dynamisme urbain, le commerce, l'emploi de l'écrit... petit à petit l'aristocratie franque s'ouvre à la culture de l'écrit et aux coutumes juridiques romaines, apprend le latin et parfois l'écrit, etc.
-du côté de l'Espagne wisigothique la fusion des cultures romaine et germanique donne naissance à une civilisation romano-wisigothique très riche, développant notamment une science juridique très pointue (qui s'élève au-dessus de la pratique pour méditer sur l'essence même du droit, ce qui est unique en Occident à ce moment-là). Les conquêtes musulmanes mettront un coup d'arrêt brutal à cette ascension, donnant naissance à leur tour à une civilisation brillante dans la péninsule ibérique.
MAIS...
... de nombreux éléments qui viennent noircir le tableau :
-politiquement, c'est le bordel un peu partout. Si épisodiquement de grands souverains arrivent à s'imposer à tous et à fédérer les populations autour d'eux, la règle générale est un marasme violent fait d'assassinats, de trahisons, de complots et de guerres. L'Espagne wisigothique connaît des conflits incessants entre clans aristocratiques (la royauté n'y est pas héréditaire mais élective), en Gaule la faide royale (vengeances sans fin entre les descendants de Clovis) fait des ravages, l'Italie est morcelée au possible après les reconquêtes byzantines (auxquelles succèdent les conquêtes lombardes et musulmanes).
-la "peste de Justinien" apparaît au VIe siècle et va être terrible, principalement entre 540 et 590, surtout dans le sud de l'Europe.
-L'économie connaît un fort ralentissement du fait des guerres, du morcellement politique, de l'absence d'administrations centrales puissantes, et d'une crise agricole et démographique qui avait commencé au IIIe siècle et qui connaît ici son apogée.
-la société se ruralise petit à petit, pour des raisons multiples, et les villes voient leurs populations se réduire très fortement.
-La culture antique se met à décliner, les écoles urbaines disparaissant les unes après les autres.
Ainsi...
...si au VIe siècle l'héritage antique légué par l'Empire romain a réussit à se perpétuer un temps il commence à décliner très rapidement, le VIIe siècle représentant réellement le creux de la vague en la matière, avant une nouvelle embellie qui commence à la fin du VIIe et qui connaîtra son apogée avec la Renaissance carolingienne (entre 770 et 850 environ). En parallèle une nouvelle civilisation est en train de naître, la civilisation médiévale. Les VIe et VII siècles représentent ainsi la période charnière durant laquelle la culture antique est "digérée" par cette nouvelle société, au sein de laquelle s'opère la fusion entre deux cultures que tout oppose, la germanique et la latine, fusion matérialisée notamment par la fonte des élites romaines et germaniques qui dans le courant du VIIe siècle commencent à se confondre totalement, donnant naissance à une culture à la fois guerrière, religieuse et intellectuelle. Les élites germaniques se convertissent les unes après les autres au christianisme, qui se diffuse alors petit à petit dans l'ensemble des populations d'Europe, créant en Occident une véritable unité religieuse autour de la religion chrétienne, laquelle donne elle-même naissance à une culture chrétienne propre née dans les monastères, qui aura ses chefs-d'oeuvre (par exemple les Hisperica Famina, ensemble de poèmes en latin issue de monastères irlandais, donnant à lire des vers aux compositions très complexes et à la forme soignée ayant des significations assez obscures).
On a par ailleurs un basculement du centre de gravité de l'Occident, qui passe progressivement de la Méditerranée vers le Rhin, la mer du Nord et la Manche, que ce soit d'un point de vue économique, politique ou culturel.
Au niveau des populations rurales il n'y a pas de changement majeur, les Historiens, notamment Fernand Braudel, considérant que la condition paysanne ne change quasiment pas entre le IIIe et le Xe siècle en Europe, et ne connaîtra de réels chamboulements qu'avec l'installation du système féodal au Xe siècle et la révolution agricole des XIe-XIIe siècles.
Bon au final ça a pas grand chose à voir avec le sujet de départ (montrer en quoi le Moyen-Age n'est pas une période de creux et de stagnation dans l'Histoire de l'Occident) mais j'espère que ça en a quand même intéressé certains.
Et ma réponse:
Passionnant, je te rassure, mais de fait, je ne vois pas en quoi tu redore le blason de cette période. Au contraire, tu as l'air aussi de parler d'un déclin. Les raisons sont nombreuses et pas de la même époque, certes, mais néanmoins il y'a déclin.
Voila à vous