Ben, le voici
Première Partie : un extrait
La province de Dairen n’était pas la plus prospère de Lorraine, loin de là. Les combats de la guerre civile n’avaient pas été très intenses dans la région, pour la simple raison qu’il n’y avait que peu à piller, et que cette zone ne pouvait guère être convertie en base de pouvoir.
Écartée des grands axes, la province de Dairen vivotait avec une économie de subsistance, les marchands ne faisant guère que passer. Comme l’administration royale ne s’était que très mal implantée dans la région, les émissaires de la capitale étaient encore plus rares. Une conséquence logique de cet état de fait est que les rares visiteurs extérieurs à la province étaient fréquemment vus avec un mélange de suspicion et d’hostilité.
Fait très compréhensible : lorsque quelqu’un s’intéressait à la province, cela signifiait généralement des problèmes supplémentaires. Les habitants de Dairen en avait bien assez avec les luttes de pouvoir que se livraient les différentes familles nobles, qui profitaient de la confusion….
Et justement, des problèmes majeurs arrivaient, en la personne d’une femme seule, sur une monture de guerre. Elle devait être dans la jeune trentaine, et son expression neutre ne semblait pas particulièrement conviviale. Cela dit, ce n’était son visage qui attirait particulièrement l’attention (ni d’ailleurs son physique), mais plutôt son habillement…
Sans armes apparentes, et sans armure non plus, elle était enveloppée dans le grand manteau blanc typique des différents Ordres chargés de….s’occuper…des cas manifestes d’hérésie, démonologie, et autres activités socialement peu acceptables.
Et surtout, elle avait, aux épaules, le discret sigle marquant le rang des Censeurs.
L’arrivée de l’Inquisiteur ordinaire, surtout en ces temps troublés, suscitait une certaine nervosité dans l’ensemble de la population : en dépit des instructions plus qu’explicites des autorités temporelles à cet endroit, c’était un euphémisme de dire que «la sérénité et la majesté de la justice et ses procédures» n’étaient pas respectées, et que l’Inquisiteur, en particulier s’il était mal formé, pouvait se retrouver embarqué dans d’obscures querelles….
Nombre de Grands Inquisiteurs, devant des rapports de leurs subordonnés décrivant dans des termes empathiques des villages entiers au service des Arts Noirs, avaient commenté sarcastiquement à quel point la Providence faisait en sorte que les dénonciateurs de ces vils Hérétiques étaient en opposition avec les hérétiques supposés, pour des raisons profondément liées à la foi, comme des querelles de pâturages, des disputes au sujet de droits fonciers
…
En fait, le procès en hérésie en milieu rural type ressemblait souvent plus à un lynchage vaguement organisé qu’à autre chose. Le fait que l’Inquisition n’envoyait pas nécessairement ses meilleurs éléments dans les zones à l’écart de tout n’aidait pas, bien sûr.
Autant l’arrivée d’un Inquisiteur était vue comme une occasion de se débarrasser de rivaux multiples, autant l’arrivée d’un Censeur causait en général une peur panique….
Les Censeurs étaient, comment dire, l’arme absolue de l’Inquisition. Un Inquisiteur ordinaire pouvait s’arrêter face à des considérations de rang, de prestige…Un Censeur riait de telles choses, et, au contraire, était généralement fort motivé à traquer des suspects de haut-rang : après tout, ce genre de cibles constituait un péril bien plus important que l’idiot du village que des gamins faisait malicieusement blasphémer durant le service divin…
De par sa formation, l’ensemble de l’Inquisition avait un esprit assez procédurier. Chez les Censeurs, sélectionnés parmi les éléments les plus compétents, ce côté se manifestait par un esprit particulièrement systématique, impitoyable, même. Laissant entièrement les questions d’arrestation, d’incarcération et d’exécutions à d’autres, les Censeurs n’avaient pour tâche que l’investigation, ce qui permettait évidemment de se concentrer sur cet aspect critique.
Le fait que les Censeurs venaient sans escorte ne devait pas être pris comme un signe de faiblesse, mais bien de force. Un Inquisiteur débutant avait besoin du «glaive séculier», pour reprendre l’expression consacrée, afin d’affirmer son autorité. Un Censeur n’avait nul besoin de tels artifices : même les nobles les plus attachés à leurs privilèges n’osaient pas tellement soulever de protestations lorsqu’une Censeur leur intimait de lui confier leurs soldats….
En tout cas, la réputation des Censeurs faisait en sorte qu’on s’écartait sensiblement de la route que suivait celle qui avait été envoyée à Darien. D’accord, la vieille route menant à la cité de troisième ordre qui était sa cible n’était pas un haut lieu de civilisation, mais il était passablement évident que les quelques fermes qu’elle voyait sur son passage manifestait encore moins d’activité qu’à l’habitude. Mais est ce que les habitants la craignait, ou est ce qu’ils craignaient les…heurts…qui pouvaient se produire entre elle et sa cible ?
La Censeure trouvait la situation…amusante. Elle imaginait la réaction du Comte lorsqu’un de ses gardes lui annoncerait la situation. En fait, il avait le choix entre la fuite, envoyer des assassins contre elle, essayer de faire bonne figure, essayer de détruire des preuves…
Aucune de ces approches ne pouvait fonctionner à long terme…et il était probable que le Comte, un esprit assez brouillon paraît-il, allait plus ou moins toutes les essayer en même temps, ce qui mènerait sans doute à des combinaisons aussi hilarantes que peu efficaces.
Par exemple, le comité de réception que le Comte avait envoyé pour la recevoir aux portes de la cité (un grand mot pour l’installation passablement miteuse qui commandait les remparts d’une solidité douteuse) visait visiblement à lui faire sentir qu’elle était la bienvenue, tout en s’assurant qu’elle ne parle pas trop aux habitants, qui auraient pu lui dire des choses fort intéressantes sur les activités du Comte. Cette tentative pathétique d’isolation ne faisait que confirmer ce que la Censeure savait déjà, d’ailleurs. Elle ne se donna même pas la peine de saluer les soldats, et n’écouta guère ce que le chevalier commandant ce détachement lui disait.
Au bout de deux-trois minutes de discours laborieusement préparé, pas très convaincant, sur la joie de voir une Censeure enfin sur place pour s’occuper des cas d’hérésies avérés (avérés, mais la ville voisine…), la Censeure leva la main, ce qui coupa court à la tirade..
«Cessons ces plaisanteries, je vous prie Je voudrais voir, dans les plus brefs délais, le Comte, pour avoir un entretien avec lui, au sujet de quelques unes de ses activités récentes…»
La politesse, même glaciale, de la Censeure fut prise par les soldats du détachement comme un assez bon signe. En tout cas, elle ne semblait pas folle de rage, ou quelque chose comme ça…Ils ne réalisèrent pas que la Censeure estimait simplement que la situation était tellement sous son contrôle que des choses comme des insultes étaient totalement inutiles.
«Le Comte», essaya le chevalier, «s’apprêtait à vous recevoir dans les plus brefs délais, mais-
«Mais, je suppose, il est dans l’obligation de préparer une petite réception impromptue ?»
Le chevalier, assez mal à l’aise, hocha la tête. Il ne devait pas trouver cette excuse particulièrement convaincante. La Censeure, par contre, ne manifesta aucun désir d’accélérer les choses. Complètement inutile, après tout. Le Comte devait être, frénétiquement, en train de détruire tout ce qui pouvait être jugé comme compromettant. Il était assez logique de penser que quelque chose pouvant être détruit complètement dans un délai assez bref (le
Comte devait avoir appris sa venue il y avait de cela quelques heures, tout au plus) le serait de toute façon lorsqu’elle arriverait, qu’elle réussisse ou non à gagner quelques petites minutes.
Le chevalier essaya de trouver quelque chose à répondre à la Censeure, qui n’essayait même pas de dissimuler son profond scepticisme. Sa réponse mourut avant même d’être formulée lorsque cette dernière le dévisagea. Une telle froideur…une expression tellement amusée…
Les deux semblaient passablement contradictoires, mais le fait était que cette femme ne semblait pas particulièrement…concernée…par la situation. Le chevalier avait avec lui une bonne dizaines de soldats, correctement armés et entraînés, qui avaient reçu des instructions fort simples : encadrer d’aussi prêt que possible la Censeure, pour lui faire comprendre, fort peu subtilement, que le Compte disposait d’hommes fiables (ce point était particulièrement douteux. Dans le cas précis de ces hommes, il aurait été plus exact de dire que le Comte disposait d’hommes dans la même situation désastreuse que lui), prêts à tout.
La réaction probable aurait été une prodigieuse irritation, un mouvement de colère, ou une démonstration de force de la Censeure. Le Comte ne savait trop qu’espérer d’une telle approche, si ce n’est que de mettre son adversaire sur la défensive…..
Cet objectif ne fut pas atteint. La Censeure ne manifesta aucune émotion lorsque deux soldats
particulièrement zélés firent mine de suivre ses mouvements avec leurs hallebardes.
En fait, non, c’était inexact. Un sourire très clair flotta sur ses lèvres. Elle semblait considérer ridicule au delà de toute expression la possibilité qu’on l’attaque.
Une telle assurance ne manquait pas d’être….inquiétante. D’autant plus que la Censeure était, au niveau physique, certainement très…attirante, pour ne pas dire plus. La combinaison de ce fait, de sa fonction et de son attitude ne manquait pas d’avoir une influence sur ces soldats…
Quand un des soldats, vraiment trop zélé, ou sous l’influence de l’alcool, finit par lui diriger la pointe de son arme de façon à presque toucher sa joue gauche, elle réagit à peine, mais toujours sans détourner ses yeux de ceux du chevalier. D’un geste fort gracieux, elle repoussa de la main gauche la lame, tout en continuant à converser avec le chevalier, feignant d’écouter ses explications embarrassées. S’ennuyant ferme, elle décida de faire quelque chose pour épicer un peu les événements. Qui sait, quelque chose d’amusant arriverait peut-être…
«Dites moi, Chevalier…Nous sommes en plein été, et il est deux heures de l’après midi….»
Le commentaire énonçait une telle évidence que, logiquement, le chevalier se demanda ce que la Censeure pouvait bien vouloir dire par là. Il eut un doute affreux lorsqu’il vit que la Censeure fixait un point précis, au delà des portes, au delà de la grande rue. Elle regardait dans la direction de la vielle Citadelle ! Le chevalier pâlit d’une façon très visible.
«Je veux dire», poursuivit sur le ton de la conversation la Censeure, «je me demande pourquoi le Comte, à ce moment de l’année et à une telle heure, procède à une telle activité.»
Le chevalier s’apprêtait à donner une explication très peu convaincante au sujet d’un banquet qu’on préparait en son honneur, avant de, par pur réflexe, tourner la tête vers la Citadelle…
…et réaliser qu’en lieu et place du panache noir auquel il pensait que la Censeure faisait référence, indicateur de la destruction d’éléments fort compromettants, chose à laquelle le Comte se livrait frénétiquement depuis ce matin, il n’y avait….strictement rien.
Et il réalisa que cette femme n’avait fait ça que pour….s’amuser. Dans l’esprit de la Censeure, il n’y avait aucun doute : le Comte était coupable, et elle devait avoir une idée assez précise de ce qu’il avait fait….En voyant le mince sourire de cette femme, une image très précise se manifesta dans l’esprit du chevalier : un chat s’amusant avec une souris.
Comme pour appuyer cette image, il vit que l’extrémité, à peine visible, de la langue de la Censeure passait rapidement sur ses lèvres. Ce geste aurait été, euh…des plus intéressants…de la part d’une femme dans une autre situation. Dans le cas actuel, c’était en tant soit peu…prédateur. Se ressaisissant un peu, le chevalier décida de faire comme si de rien état, se rassurant lui même en disant qu’il n’avait rien dit de bien compromettant (comme si son attitude ne l’était pas assez !) et que, somme toute, il avait échappé au piège de cette femme. S’efforçant de prendre une voix enjouée, il lui fit signe de le suivre.
La Citadelle n’était distante que de quelques centaines de mètres, et la Censeure profita de ce trajet pour regarder, distraitement, les lieux, sans manifester une curiosité bien poussée.
Ses observations personnelles confirmaient ce qu’on lui avait communiqué. Ce bourg n’était pas bien riche, et les gros besoins financiers du Comte n’aidaient pas. Cycle vicieux classique : pour lever de plus lourdes contributions, le Comte recrutait davantage de soudards, qui en fin de compte lui coûtaient plus cher que ce que les taxes ainsi levées lui rapportaient.
Les taxes (pour ne pas dire le racket. La taxation, c’était déjà dur, mais la taxation avec l’incendie des locaux, les assauts physiques sur le personnel, les déprédations sur les stocks….) du Comte avait sérieusement affecté l’économie chancelante de la ville : le peu de commerce, essentiellement local, existant avait subi de sévères pertes, et les quelques guildes d’artisans existantes avaient réduit leurs activités sensiblement. Bref, pour tout dire, le cadre n’avait rien de bien charmant. C’était donc tout en fait en phase avec la conduite et le comportement du maître des lieux. Et d’ailleurs, sa situation proprement désespérée n’était nullement étrangère aux différentes actions qui avaient menée la Censeure en ces lieux…
Les habitants de la ville avaient vraisemblablement entendu des rumeurs sur les activités…contestables…du Comte, à en juger par les réactions de la population lorsque la Censeure passait sous leurs fenêtres. Soit, généralement, de regarder aussi discrètement que possible la colonne, tout en feignant de ne rien voir. (Qui sait, peut être que ça serait pratique de n’avoir rien vu, si la Censeure avait un malheureux accident lors de sa visite…).
Elle avait entrevu quelques habitants dans les rues proprement dites, qui eux aussi semblaient avoir adopté l’approche que la discrétion était souhaitable dans les circonstances…
Une seule personne restait visible, marchant en avant de la petite colonne, mais en jetant de temps à autres un regard en arrière….Une très jeune fille, sept-huit ans tout au plus, qui regardait l’inconnue avec une grande curiosité…ou en tout cas, avec nettement moins d’hostilité. Visiblement, l’un ou l’autre commerce l’employait comme commis, ce genre de chose, à en juger par le paquet qu’elle transportait. Elle se dirigeait vers la Citadelle également…
La Censeure se mordilla les lèvres. Elle hésita, un bon moment. Puis dirigea sa monture vers l’enfant, faisant accélérer le pas à son raja. Ce mouvement ne fut pas sans inquiéter le chevalier, qui se rappelait des instructions draconiennes que son parent le Comte lui avait données. Oubliant l’aspect «escorte d’honneur», il fit faire mouvement à sa propre monture, pour bloquer le trajet de la Censeure, d’une façon franchement assez rude…
«Milady, je croyais que vous vouliez voir le Comte dans les plus brefs délais-» fit il en essayant de rétablir un peu la situation, de reprendre plus ou moins son rôle de guide.
Sa seule réponse fut le fait que la Censeure le foudroya, une nouvelle fois du regard.
«Comme vous me l’avez exposé, votre maître termine ses préparatifs pour sa petite réception. Je ne voudrais pas être une invitée qui s’impose…Laissez moi donc, je vous prie»
L’enfant, pendant ce temps, avait réalisé ce qui se passait, et, pour des raisons évidentes cherchait à s’écarter de cet esclandre. Euphémisme pour dire qu’elle courait….
«Petite !» fit d’une voie avec un peu plus d’émotion la Censeure. Le chevalier, en entendant ces mots, se dit que c’était le moment de rentrer dans les bonnes grâces de cette femme. Il s’apprêta à donner des ordres pour qu’on ramène dans les plus brefs délais cette fille, vraisemblablement un témoin que la Censeure désirait interroger. Et puis…il connaissait cette gamine. Elle ne savait strictement rien, et….ne valait strictement rien non plus. En conséquence, s’il lui arrivait un accident brutal au cours de son arrestation….
Le chevalier n’eut aucune chance de formuler son ordre. Alors qu’il se tournait vers ses hommes, la Censeure se rapprocha de lui. Elle fit plus que se rapprocher. Son visage touchait presque le sien, et elle était tout sourire….un sourire, par contre, qui n’était guère en phase avec son comportement. Alors qu’elle semblait presque sur le point d’embrasser le chevalier, elle lui chuchota des mots qui étaient encore moins en phase avec ses actions…
«N’y songez même pas chevalier» fit-elle d’une voie suave. «Vous avez compris ?»
Le chevalier manifesta le fait qu’il avait compris l’objection de la Censeure ,mais pas d’une façon qui semblait satisfaisante à son interlocutrice, qui décida d’appuyer sa déclaration….
Elle fit passer une ou deux fois son l’index sur la gorge du chevalier, seule partie de son corps qui n’était pas couverture par une armure. Ce geste, plutôt joueur, était cependant inquiétant, si on faisait une association plutôt évidente avec une action qu’on aurait pu faire avec un objet plus aiguisé…Cela restait cependant plutôt, badin, en quelque sorte…En revanche, la dague qu’elle avait dégainé et qu’elle pointait au défaut de son armure, sous son coude droit…
Avec l’angle que le corps de la Censeure avait par rapport au sien, cela voulait également dire que ses hommes, perplexes quand à la situation, ne voyaient pas ce qui se passait. D’ailleurs, en admettant qu’ils aient vues la susdite situation, les chances qu’ils volent au secours du chevalier étaient plutôt maigres, l’effet du désespoir et de l’alcool pris en compte…
«Si je presse un peu, chevalier, vous savez ce qui va arriver ? » (il hocha lentement la tête. De la façon dont la dague était orientée, la Censeure pouvait atteindre son cœur) «Je vais m’occuper de cette affaire. Ne faites rien qui pourrait s’avérer irréparable. Pour vous.»
Cette fois, le message sembla avoir passer d’une façon très claire. Le chevalier, qui avait pâli passablement, s’écarta, et fit signe à ses hommes de ne pas intervenir….
La Censeure laissa là son raja, et se dirigea vers où l’enfant avait filé. Évidemment, si la gamine avait pris peur, elle connaissait mieux le terrain qu’elle, et il était peu probable qu’elle la retrouve…Elle espérait, par contre, que si elle n’était pas montée, elle aurait un air un peu moins intimidante pour l’enfant. Alors que la Censeure s’avançait dans la ruelle où la fille avait disparu, elle entendit clairement qu’on bougeait quelque chose : avec les piles de débris qui obstruaient en de nombreux points le passage, cela lui donnait une assez bonne indication sur ce que l’enfant avait bien voulu vouloir faire. Alors qu’elle se dirigeait vers les caisses, la Censeure entendit un chat miauler. Soupirant devant ce contre-temps, elle tourna les talons…
Soudain, elle entendit une série de cris frénétiques, autant animaux qu’Humains. Une pile de débris bougea sensiblement, avant de s’effondrer…et l’enfant apparut, son visage et ses bras portant quelques traces de griffes. Un chat à proximité expliquait sensiblement pourquoi. L’animal fit le gros dos, puis s’éloigna, d’une allure aussi digne que possible.
Mmh. Il semblait que cette petite fille, à l’esprit remarquablement rapide, avait songé au fait qu’on l’entendrait remuer les débris. En conséquence, elle avait pris, comment dire, un «bruiteur» avec elle….Bruiteur qui, en apparence, n’avait guère aimé son rôle…
La Censeure trouvait que ce plan, un peu simpliste, n’était pas mal du tout, pour avoir été élaboré en quelques secondes. Et elle se sentit mal à l’aise lorsqu’elle réalisa que l’enfant avait peur d’elle au point de prendre de telles mesures pour essayer de lui échapper.
En faisant un effort pour sourire d’une façon un tout petit peu plus convaincante que d’habitude, la Censeure s’approcha de l’enfant, qui n’en menait vraiment pas large…
«Je suis vraiment désolée de t’avoir fait peur ! Comment tu t’appelles ?»
«Je…Romanova, madame….» finit par dire son interlocutrice, qui se remettait debout.
La Censeure se sentit un peu mieux en entendant la voix de Romanova. La situation aurait été encore pire si elle avait eu une voix similaire à….à une certaine personne quoi.
Le fait était que Romanova, avec ses yeux verts et ses cheveux dorés ressemblait déjà à cette même personne, ce qui expliquait l’action de la Censeure. Pas une ressemblance anormale, simplement quelques similarités. La voir avait réveillé de très pénibles souvenirs pour la Censeure…qui, maintenant, se sentait fort coupable d’avoir terrorisé cette malheureuse….
Et encore, elle n’avait peur d’elle qu’en raison de l’uniforme qu’elle portait. Si cette enfant avait sut ce que la Censeure était venue faire en ces lieux….mieux ne valait pas trop y penser.
«Je voulais juste te parler un peu…Tu es la seule qui ne s’est pas sauvée en me voyant….»
Évidemment, se faire dire par une Censure qu’elle voulait parler un peu avec vous, c’était quelque peu inquiétant, pour ne pas dire plus, et comme introduction, franchement…
«Non…pas te parler dans ce sens là ! Je veux dire…je veux dire normalement…» bredouilla, plus ou moins prise de court, la Censeure. (Attitude évidemment assez en contraste avec ses actions précédentes…point qui ne la dérangeait guère. Elle ne jouait pas un rôle, ici,…)
La peur fit place à une perplexité dans les yeux de Romanova….Avant que celle ci ne s’excuse très rapidement, et détale, laissant sur place une Censeure impuissante.
Elle finit par hausser les épaules, et…soupira. Décidément, elle n’avait guère de talents pour la sociabilité…du moins dans ce cas très précis. Mais…l’affaire n’était pas finie.
Il faudrait vraiment qu’elle parle un peu plus à cette damoiselle, dans les plus brefs délais. Franchement, ce serait nettement plus constructif que de régler une fois pour toute cette petite affaire avec le Comte. Qui, après tout, finirait nécessairement, amusement avec ces idiots ou non, de la même façon : en bain de sang plus ou moins généralisé….
En effet, une idée commençait à se faire jour dans l’esprit de la Censeure : cette enfant n’était pas Iris, d’accord, mais….mais….ce n’était pas une raison pour ne pas….
Alors qu’elle rejoignait le chevalier et sa supposée escorte, la Censeure avait essentiellement l’esprit concentré sur des questions n’ayant pas grand à chose à voir avec sa tâche….
Ce ne fut qu’une fois devant la Citadelle qu’elle sortit de son silence, et de ses idées noires…
Mettant pied à terre, elle se dirigea tout de go à l’intérieur, écartant d’un geste de la main les serviteurs formant une haie d’honneur. Elle marcha droit vers le Comte, qui l’attendait sous la grande voûte de la principale entrée de sa (passablement minable) place forte…
La Censeure n’était pas très grande : le Comte la dépassait de deux bonnes têtes. Elle n’avait même pas une armure légère, et il était en armure de grande bataille (bizarre pour une réception amicale). Et pourtant, ce fut lui qui fut intimidé lorsqu’elle le fixa….
Le petit discours qu’il avait préparé fut promptement oublié. Le maître des lieux se retrouva rapidement en train de suivre sa supposée «invitée»….La disposition des couloirs étant passablement classique, elle n’eut guère de difficultés à trouver l’endroit où elle devait aller.
La salle de réceptions, où le Comte allait essayer de l’endormir avec de bonnes paroles….
Cette salle, d’ailleurs, tranchait un peu avec la médiocrité des lieux. Le Comte s’était efforcé de trouver quelques tapisseries présentables (mais d’une qualité douteuse) et surtout, soigneusement exposée à la vue de tous, la vaisselle d’argent du Comte, une véritable pièce de collection. Les armoiries gravées sur chaque assiette expliquaient en grande partie cet effort de conservation-il s’agissait de l’ultime reliquat de la fortune d’une famille qui avait été particulièrement influente, puissante même dans la capitale…et qui était réduite à une quasi mendicité dans une province oubliée…Et plus pratiquement, ce trésor de famille était une des dernières choses que le Comte pouvait utiliser pour garantir de nouveaux prêts….
La Censeure s’assit posément à une des extrémités de la table, le Comte lui faisant face, à plus de quinze mètres. Il fit signe à suite de quitter les lieux. Ce point importait peu à la Censeure. Avec ou sans témoins, elle n’avait aucune intention de modérer le moindrement ses paroles…
Le fait que la Censeure mange un peu de la collation qu’on lui avait préparée encouragea un peu le Comte, qui espérait bien que ce soit un signe de disposition relativement civiles à son endroit. Les règles de l’hospitalité, et tout ça…Il en fut pour ses frais…
En croquant dans la première pâtisserie, la Censeure, mit sur la table une grande sacoche, du genre que les courriers royaux employaient. Elle était remplie de divers documents…
«Seigneur Comte, je suis ici pour vous demander une explication au sujet de ces choses….»
«Milady, je ne doute nullement de votre bonne foi. Je n’ai rien à redouter de votre-»
Le Comte réalisa que son interlocutrice semblait être plus intéressée par sa brioche à la crème que par son explication. À vrai dire, elle feignait de l’ignorer complètement. Un tel manque de politesse élémentaire était clairement une provocation. Le Comte en était conscient. Il essaya, sans grand succès, de rester calme. S’il s’énervait, tout était perdu…
En fin de compte, la Censeure finit par le regarder, avec un air faussement perplexe…
«Bien sûr, il doit s’agir d’un malheureux problème de communication, une simple erreur…»
N’en croyant pas ses oreilles, le Comte s’empressa de l’assurer de son plein support.
«Je vous remercie, Comte, mais je n’aurais guère besoin que de rédiger un rapport….c’est tout ce qu’il faut. Car il se trouve que les enquêteurs envoyés sur vos terres avant moi n’ont pu faire leur rapport. Une attaque de brigands, paraît-il. Vous en avez entendu parler ?»
L’espoir que le Comte avait de voir l’affaire se terminer en queue de poisson se volatilisa.
«Une très, très regrettable affaire» finit par dire le Comte, d’une voix assez assurée. «Ma garde fit son possible pour retrouver les coupables, mais…sans grand succès. Nous ne sommes mêmes pas sûrs que l’attaque ait réellement eut lieu sur mes terres…..»
«Oh, ce point ne fait aucun doute, Seigneur Comte. Je le sais, parce que j’ai personnellement récupéré les sceaux des quatre Inquisiteurs en question après une attaque des susdits brigands sur ma personne….cet événement étant survenu tout à fait sur vos terres, d’ailleurs….»
Le Comte essaya de se rassurer, de se calmer, en se servant un peu de vin, se disant que c’était encore une fois du bluff, qu’il était impossible que la Censeure, sans la moindre escorte, ait pu éliminer à elle toute seule la troupe de brigands responsable de l’attaque…
Ça, c’était avant que la Censeure fouille dans sa bourse et produise des bagues portant les sceau de l’Inquisition. Portant aussi les marques de la mort violente de leur possesseurs.
Les anneaux en question roulèrent jusqu’à l’autre extrémité de la table dans un silence parfait, le Comte n’arrivant pas à trouver une réponse adéquate. Il était en bien mauvaise posture : avouer être incapable contrôler, même de façon minimale des brigands (surtout des brigands attaquant des officiels de la Couronne ou de l’Église) était assez mal vu….
«En passant, Seigneur Comte» poursuivit son interlocutrice, vous avez une idée sur pourquoi des brigands conservaient des preuves les condamnant aux pires supplices en cas de capture ? (Un silence, un autre. Décidément, cette discussion ne progressait guère). Une hypothèse, serait, par exemple, qu’ils comptaient les utiliser pour faire chanter un commanditaire éventuel-car il me semble douteux que des brigands aient spontanément décidé d’attaquer à deux reprises des personnes portant les armoiries de l’Inquisition. Des cibles dangereuses, dont la mort allaient sûrement attirer l’attention, et ne transportant guère de richesses matérielles-sans évoquer le fait que nombre de brigands sont des croyants, aussi…»
«Vous devez avoir raison sur ce point Milady-en effet, pour conserver sur eux ces preuves-»
«En fait, ils ne les portaient pas sur eux-ils n’étaient pas stupides à ce point….»
Elle ne termina pas sa phrase, la conclusion étant assez évidente. À savoir qu’il était probable qu’elle avait du faire preuve de…persuasion….pour obtenir la cache de ces anneaux.
Elle laissa aussi de côté un autre aspect fort clair: le fait qu’il était probable que les brigands en question risquaient de lui avoir des confidences sur d’autres points….
Ces aveux avaient été très intéressants. Ces hommes venaient de déserter de la garde du Comte, avaient des armes provenant de la Citadelle, et des ordres venant du Comte aussi.
«Mais», continua la Censeure, «passons sur cette petite affaire pour l’instant. Il se trouve que je suis fort impatiente d’entendre votre explication sur les faits suivants….»
En disant ces mots, elle tira de sa sacoche de cuir la liasse de papier qu’elle organisa rapidement en trois piles distinctes de documents, les disposant devant elle….
«Premièrement, il y a deux mois, votre chapelain, sous de fallacieux prétextes, est allé quérir certains ouvrages à la bibliothèque de l’évêché, profitant d’un moment de coupable faiblesse de l’évêque….un homme qui, quelle surprise, est un de vos parents….un des rares qui vous considère encore comme un parent, je veux dire. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de vous préciser la nature des ouvrages en question, en dépit des efforts qui furent fait pour dissimuler leurs titres…et aussi, la mort fort nébuleuse de votre chapelain peu après son retour….»
«Le saint homme» fit avec un air de contrition le Comte. «Sa mort fut un coup pour moi….»
«Il est dommage, cependant, que sa mort ne fut…pas tellement édifiante…»
D’après l’évêché, le chapelain du Comte s’était trouvé «dans un lieu de mauvaise vie», où il s’était pris «de violente querelle avec une troupe de coquins». Le fait qu’on ne soit même pas donné la peine de déguiser un peu la chose, en disant par exemple que le chapelain était là pour des fonctions ecclésiales, en disait long sur l’estime dans laquelle le chapelain était tenu par ses supérieurs (pas surprenant, d’ailleurs, qu’il ait fini avec le Comte…)
«Je…ne vous cacherais pas, Censeure, que c’était un homme avec…des faiblesses…»
«Des faiblesses, par exemple, comme le fait de parler un peu trop, hmm ? (Elle ne donna pas la possibilité au Comte de répondre sur ce point….) En passant, Seigneur Comte, je crois que vous manquez d’imagination…oh, pardonnez moi, je crois que la Providence manque d’imagination dans les moyens qu’elle prend pour vous épargner des difficultés» fit la Censeure en tapotant la table. «Il est venu à ma connaissance que votre oncle paternel est mort noyé après une soirée de libations, alors qu’il s’efforçait d’obtenir une lettre de cachet vous étant destinée Votre épouse, qui exigeait une séparation de corps et de biens suite à ce scandale dans la capitale, est malheureusement tombée du haut des remparts de votre forteresse sous l’influence de la dive bouteille. Un de vos cousins, pour qui vous étiez en querelle au sujet d’une parcelle, est tombé dans l’escalier alors qu’il sortait de table. »
«Toutes ces affaires-très regrettables-ne sont aucunement du ressort d’une Censeure…»
Cet argument, pas très moral ou éthique, était cependant logique. Mais il ne fonctionna pas.
«En effet...si seulement, comment dire, toutes ces affaires ne formaient pas une…chaîne (Elle ignora les protestations et interrogations du Comte). Mais passons au second point, voulez vous ? Il y a un mois, vous avez fait venir de la cité de Hannen un maître serrurier, pour lui faire exécuter une série de travaux en ces lieux. Officiellement, il s’agissait de rénover votre chambre forte. Encore une fois, il s’agit d’une excuse qui m’apparaît un peu ridicule…À moins que vous espériez une soudaine entrée de fonds» (la Censeure termina sa phrase par un éclat de rire, trouvant l’idée hilarante. Qui plus est, le fait pour elle de…ridiculiser, tourmenter le Comte, qui était obsédé par sa déchéance, était pour elle…délicieux, quoi…)
D’ailleurs, l’attitude du Comte, de plus en plus mal à l’aise, la mettait vraiment en appétit….
Quoique…peut-être qu’elle devrait peut être attendre un peu avant de passer aux menaces ouvertes. Après tout, elle avait l’intention de demander d’avoir une autre brioche (le Comte, en dépit de ses douteuses activités, semblait avoir un très bon pâtissier….) et….
Non, franchement, mieux valait se concentrer sur une affaire à la fois. Elle repris ses papiers.
«Bon, donc, vous faites venir un maître serrurier, pour protéger vos richesses. À en juger par la somme en jeu, j’en viens à me demander si votre oncle n’avait pas raison de chercher à vous faire déclarer inapte pour gérer votre propre patrimoine : ce chiffre est largement à vos liquidités. Heureusement, vous n’en avez pas payé le premier écu….»
«Ce vulgaire boutiquier a essayé de m’escroquer» fit avec un mépris complet le Comte.
La seule réponse de la Censeure fut de le dévisager avec une hostilité encore plus marquée….
Le Comte réalisa à ce moment que son interlocutrice n’était probablement pas noble… cela l’indigna. l’Inquisition avait commis la faute de ne pas limiter son recrutement aux classes supérieures. Le fait qu’une paysanne ait une autorité sur lui était…monstrueux….
La Censeure aurait pu dire que cette phrase venait de sceller le sort du Comte, si cette question n’avait pas été réglée depuis longtemps. Le fait qu’on ait fait une remarque similaire à Iris, par contre, lui fit prendre une note mentale. Il faudrait que ce soit long et pénible…
«Passons sur votre doctrine sociale, voulez vous, Comte ? » finit-elle par dire au bout d’un moment. «Par une autre de ces mystérieuses concordances qui semblent vous favoriser, il fut victime, au moment où il rentrait à Hannen d’un vol avec violence de la part de spadassins, qui le laissèrent mort. Avec, notamment, le détail des travaux qu’il avait effectué….»
«En effet», fit, cette fois avec un peu plus de calme le Comte. «J’ai communiqué à son maître de guilde ses réclamations, et un accord tout à fait acceptable fut trouvé….»
«Le bourgmestre de Hannen n’est pas de cette opinion, comme en fait état la liste des déprédations commises par vos «émissaires» pour convaincre le maître de guilde d’accepter votre version des faits (elle produisit un document, qui rappela au Comte de bien mauvais souvenirs. Ces bourgeois….ces bourgeois insolents, qui osaient protester contre lui ! Il essaya de se convaincre que bientôt, cette humiliation serait terminée….)
«Oui. Mais, heureusement, les devis expédiés à ses fournisseurs existent toujours…»
De façon peu surprenante, un silence de mort suivit cette déclaration. Ce fut à partir de ce moment que le Comte laisse tomber toute prétention à un minimum de civilité…
«Ces devis me font croire que vous avez de bien curieuses exigences pour la restaurations d’une chambre forte…Certains articles, par exemple, sont fort intrigants. En particulier, l’insistance marquée pour la solidité des verrous et barreaux de la cage…»
«Assez joué avec moi, Censeure» fut l’unique réplique du Comte….qui, une fois de plus fut soigneusement ignoré par son interlocutrice, qui continuait à piocher dans ses documents. Elle s’apprêtait à porter, comment dire, le coup de grâce. Son troisième fait…Mais attendant, mieux valait faire…mariner…un peu plus son adversaire. Il était à deux doigts de craquer.
«J’ose préciser, soit-dit en passant, que je serais très curieuse de voir l’efficacité de ce genre de mesures pour maintenir en captivité d’une façon prolongée votre…invitée…probable….»
Le Comte fit semblant de croire qu’elle faisait référence à elle-même. Ce qui n’était évidemment pas le cas. La Censeure faisait référence à quelque chose de très précis.
«Je ne comprends pas ce que voulez dire, Censeure…je vous assure que je n’ai nulle intention de vous maintenir en détention, même pour un temps des plus brefs….»
«Non…vous comptez me tuer, tout simplement-un classique chez vous, et une façon beaucoup plus efficace de vous assurer mon silence de façon définitive. (Courte pause. Le Comte ne se donna pas la peine de protester)Ce que je veux dire, c’est que si vous pensez que des cages, des verrous et l’une ou l’autre idiotie glanée dans un livre douteux vont vous protéger…Car vous vous leurrez si vous pensez que vous pouvez contrôler, dominer ce à quoi vous avez fait appel. Cela va se retourner contre vous, plus tôt que tard….
Ça aurait très bien de voir le Comte se lever, et crier qu’il était sûr de contrôler ce à quoi il avait fait appel, puis de réaliser «Oups, je viens de cracher le morceau», mais, quand même, il n’était pas stupide à ce point. Il n’y eut pas non plus d’éclair dans les yeux, de pâleur soudaine…Mais il doutait, la Censeure en était sûre. Et elle continua sur cette voie…
«Voyons, seigneur Comte, pour parler bien franchement, vous n’êtes pas capable d’assurer un contrôle sur vos propres soudards. Pensez vous pouvoir dominer une Succube ?»
Le Comte ne s’attendait pas à ce que le coup soit aussi précis-il s’était préparé à une accusation d’avoir fait l’un ou l’autre rituel lié aux Arts Noirs, tout au plus….
«Elle doit bien se moquer de vous en ce moment…Vous croyez avoir une arme contre vos adversaires-vous avez plutôt quelqu’un qui, comme ses semblables, n’a aucune difficulté à vous manipuler. (D’une façon moqueuse, la Censeure leva la main, agitant uniquement son petit doigt. L’idée sous-adjacente était claire :le Comte n’était pas bien difficile à manipuler. La conversation entre la Censeure et ce triste sire en était d’ailleurs un signe très clair. Le Comte savait que son interlocutrice voulait le provoquer, lui faire perdre son calme pour qu’il commette une imprudence. Et…elle avait réussi, d’une façon presque parfaite…)
«Je ne redoute nullement la corruption démoniaque, Censeure….Surtout d’une Succube-»
«Oh, sur ce point, je ne m’inquiète guère-je suis positivement sûre que vous êtes immunisé sur ce point : les charmes de votre invitée doivent vous laisser de glace….» (le Comte pensa, un moment, que, pour une fois, la Censeure ne l’accusait pas…avant de réaliser, avec horreur, que son commentaire voulait dire qu’elle savait. Au sujet du scandale. Pas seulement les vagues rumeurs. Elle devait connaître les détails. Le fait qu’elle jouait avec sa troisième pile de documents indiquait clairement le contenu de sa prochaine intervention….
Il n’y eut cependant pas d’esclandre. La Censeure venait de réaliser quelque chose, complètement extérieur à toutes ces questions. En fait, pas tellement. Elle venait de penser à nouveau à Romanova. Au fait qu’on l’avait envoyée porter un paquet à la Citadelle. Avec le passé du Comte, le scandale dans la capitale, il était assez probable que la livraison réelle ne concernait probablement pas que le paquet…Il en fallait beaucoup pour choquer la Censeure, qui n’avait pas la conscience en repos, loin de là-mais ce point, c’était trop…
Cette réalisation fit monter son…agressivité…de plusieurs crans. Agressivité qui demeura verbale, mais il était probable que le Comte, finalement, aurait peut être préféré se faire attaquer physiquement….La Censeure, en tout cas, laissa tomber toute prétention à la courtoisie, l’association qu’elle faisait entre Iris et Romanova l’empêchant de feindre, même de façon moqueuse ou sarcastique, d’avoir le moindre respect pour le Comte….
«Mon troisième fait concerne votre départ de la Capitale. Je crois qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer là dessus…et il me serait oiseux d’entendre vos explications habituelles….»
«Je ne redoute rien sur ce point….ce…problème….fut réglé il y a dix longues années»
«La justice royale a identifié la bagatelle de cinquante disparitions. Ce n’est d’ailleurs qu’un ordre de grandeur-vous ne devez même pas avoir une idée du nombre exact,,» dit posément le Censeure, «Cette affaire n’est pas terminée parce que vous jugez que vos victimes n’avaient aucune valeur…Et elle est loin de ne pas être liée à vos actions présentes…»
Deuxième partie : explication
Dans une ville frappée par la guerre civile, une femme portant les insignes de l’Inquisition, en particulier des très redoutés Censeurs, arrive. Dès le début, c’est clair : elle cherche quelque chose de très spécifique (elle fait aussi sarcastiquement le commentaire que non, elle n’est pas venue par hasard passer ses vacances dans ce magnifique trou)
Dès le début, un autre fait est évident : l’inconnue est complètement charmée, séduite même, par une enfant Humaine tout à fait normale, Romanova (sept-huit ans). Le fait est que l’attitude, le comportement de Romanova lui rappelle quelqu’un (il est passablement évident que c’est sa propre fille). Tout en s’occupant du dossier du Comte local, qu’on soupçonne de faire pacte avec des créatures pas très orthodoxes, l’affolant avec une dextérité incroyable, elle essaie, très maladroitement, de se rendre sympathique (notamment en la couvrant de cadeaux, ce qui ne manque pas d’être un peu particulier) auprès d’une Romanova passablement perplexe (note : Romanova, contrairement à bien des personnages similaires, EST intelligente, très même, et réalise rapidement que quelque chose n’est vraiment pas normal. Il n’en demeure pas moins qu’elle trouve que l’inconnue, qui semble vraiment l’apprécier, est quelqu’un qui, en fait, mérite à être mieux connu)
En fait, Romanova n’a pas une vie bien joyeuse : sa mère fait, euh, commerce de ses charmes, et il lourdement sous entendu que son «protecteur» n’a pas des idées très morales en ce qui concerne l’avenir de Romanova. Après un léger incident, impliquant la mort très brutale du susdit individu, qui avait sous-entendu que l’inconnue voulait peut être Romanova pour une raison pas très avouable (note : c’est maternel, dans les faits), elle décide de prendre les choses en mains, et va voir la mère de Romanova. Ça tourne vraiment mal.
En quittant les lieux, avec interdiction de jamais revoir Romanova (ce qui l’amuse…), elle dit à Romanova de faire attention, que sa mère est un peu bizarre. Romanova ne la croit pas. Un ou deux jours après, Romanova, en pleine nuit, est réveillée par l’inconnue, qui lui expose que le Comte est devenu fou. Romanova est fort disposée à la croire : la ville est en feu, et la milice urbaine, dont les qualifications professionnelles étaient déjà un brin discutables, est en train de se faire massacrer par des créatures assez mystérieuses, mais dont l’allégeance ne fait nul doute.
Il apparaît que le Comte avait bel et bien joué dans les Arts Noirs, et avait décidé d’utiliser son jouet contre l’Inquisition avant que l’Inquisition arrive (la Censeure fait réellement le commentaire que ce plan est d’une stupidité incroyable, mais que d’un autre côté, il était difficile d’éliminer le démon en question) Il s’agit d’une Succube, mais d’une version un brin différente que d’habitude. À vrai dire, la Succcube, Avarielle, ressemble à une Humaine (très bien proportionnée) en tout point, et elle est habillée d’une façon relativement normale. En passant, Avarielle, s’exprime d’une façon parfaitement Humaine, et semble surtout prodigieusement écoeurée d’avoir été tenue en captivité par le Comte.
Non, le seul détail pas trop normal, c’est qu’elle a massacré à elle toute seule l’ensemble de la garnison, et s’amusait avec le Comte à l’arrivée de la Censeure. Le comte, pas encore mort, supplie la Censeure de faire quelque chose, alors qu’Avarielle semble très amusée par la situation. Elle dit en substance que, non, elle le croit parfaitement, qu’il n’y a certainement pas de trucs bizarres dans sa demeure, et qu’après tout, les fantasmes du Comte sont tout à fait de son ressort, et qu’elle va le laisser finir tranquillement sa soirée. Elle sort, prend Romanova, et quitte la ville.
Quelques heures après, elle et Romanova (en état de choc) s’arrêtent. Elle parvient à calmer un peu Romanova, à l’assoupir. Juste avant qu’Avarielle, avec quelques un de ses amis, arrive….
On réalise à ce moment qu’Avarielle et l’inconnue sont dans d’excellents termes, et que les créatures obéissent au doigt et à l’œil à la susdite inconnue….
Et que cette damoiselle était venue pour une raison très différente : éliminer le «maître» d’Avarielle. Pour libérer cette dernière. Par la suite, elle a un peu changé ses plans : de terroriser le Comte pour qu’il essaie d’utiliser Avarielle en arme de dernier recours, c’est devenu de faire ça et de faire en sorte qu’elle puisse «sauver» Romanova. Autrement dit, elle a fait appel à ses…légions….pour faire un carnage uniquement pour avoir, comment dire, Romanova à elle toute seule, et faire en sorte que Romanova l’aime. (ça s’annonce pour être une relation pas très saine)
Ça se termine alors que Romanova se réveille, et que l’inconnue lui explique une version de la situation. Et, tout en lui disant qu’elle va s’occuper de Romanova, elle dit son nom : Lilith.