de superboy » 18/07/2020 14:15
Voilà un manga auquel je suis de plus en plus accro. Découverte de l'été 2019, ma lecture des deux premiers volumes judicieusement sortis d'un coup par kana m'avait immédiatement emballé, mais j'avais préféré réserver mon jugement, tant la structure scénaristique me paraissait compliquée à tenir dans un récit au long cours. Pourtant, rendu au tome 6, le constat est sans appel : Yasuki Tanaka est à la hauteur de ses ambitions.
Comme le révèle le synopsis posté plus haut, l'intrigue suit pas à pas le jeune Shinpei, de retour sur sa petite île natale à l'occasion de l'enterrement d'une de ses amis d'enfance. Mais ce triste retour prend une tournure étrange quand, dès la fin du premier chapitre, il est assassiné par un double qui n'est pas sensé exister, puis renvoyé dans le temps sur le bateau qui l'emmène sur l'île. Dès lors, le thriller fantastique prend ses droits sur l'histoire, déploie sa règle du jeu tarabiscotée et répand son poison foudroyant au cœur de cette petite communauté insulaire sur le point de basculer dans l'horreur. Plongé dans une boucle temporelle de quelques jours, notre héros, aidé de quelques amis et alliés, va se démener pour empêcher le pire.
En organisant son scénario autour d'un hub temporel auquel il revient inéluctablement, le mangaka ne s’est pas franchement facilité la tâche, prenant le risque de lasser rapidement ses lecteurs. Si elles manquent de rebondissements, les boucles vont trop se ressembler. Mais même s'il y a suffisamment de retournements, encore faut-il réussir à les distiller intelligemment pour fournir à chaque boucle ses propres enjeux, ainsi qu'un développement et une conclusion cohérente et satisfaisante.
Après avoir bouclé son quatrième tour de piste avec le volume 6, il ne fait plus de doute que Tanaka a résolu sa quadrature du cercle. Il est désormais évident que son histoire est pensée dans sa globalité, chaque élément dévoilé prenant sa place naturellement au sein de l'intrigue, expliquant des événements déroulés précédemment et soulevant régulièrement de nouveaux mystères, comme tout bon feuilleton se doit de le faire. Il en résulte que chaque boucle est le produit de sa devancière, les personnages réagissant toujours logiquement et crédiblement aux informations qu’ils reçoivent. Quand l’un d’eux agit bizarrement, c’est qu’il a un coup d’avance sur le lecteur.
Malgré les situations extrêmes dans lesquelles ils se retrouvent, Shinpei et sa bande deviennent très attachants. L’auteur prend soin de peindre leurs caractères dans l’intensité de l’action comme dans les moments de creux car il comprend notamment que la psychologie de son protagoniste est un des moteurs principaux de son intrigue. Etant le seul à se souvenir des événements à chaque retour temporel, ses choix orientent directement le récit, il fixe les objectifs de chaque nouvelle boucle. C’est d’autant plus agréable que les antagonistes, ces ombres qui peuplent Hitogashima, sont bien organisées et terriblement intelligentes. Dans ces conditions, l’avantage dont dispose le héros de pouvoir retenter sa chance n’est pas de trop et l’autorise à rester actif face à une menace toute-puissante. Ce dispositif exacerbe grandement les enjeux sans sacrifier la crédibilité de l’équilibre des forces ni le sentiment d’urgence nécessaire à maintenir l’intérêt du thriller. Cela permet même de justifier organiquement les plus petits points de détail comme le fait que des adolescents ne réclament jamais l’appui des autorités face à un tel danger, question souvent agaçante et maladroitement gérée, voire piteusement ignorée dans ce genre d’histoires. L’assurance que Tanaka affiche sur tous ces aspects laisse à penser que ce qu’il donne à voir dans son manga a été longuement réfléchi en amont de sa réalisation et patiemment agencé en un scénario à l’efficacité redoutable.
L’alchimie à l’œuvre sur la série est véritablement impressionnante. Tant est si bien qu’au bout d’un moment, on ne peut que cesser de chercher la petite bête pour se prendre au jeu d’une intrigue rythmée, fun et tout en maîtrise de la part d’un auteur dont c’est le galop d’essai.
Pourquoi certains titres, tels L’Attaque des Titans ou Fullmetal Alchemist, rencontrent un succès colossal alors que celui-ci semble voué à rester anonyme parmi la palanqué de nouveautés qui inondent les librairies chaque semaine ? Probablement quelque chose de l’air du temps, et peut-être des univers débordant de leurs intrigues mettant immédiatement en branle l’imagination à placer au crédit de ces deux mastodontes - Isayama va lui en plus titiller l’inconscient de ses lecteurs avec ses titans mangeurs d’hommes. Mais en termes de qualité intrinsèque, rien ne différencie fondamentalement Time Shadows de ses glorieux ainés, même s’il faut bien admettre qu’avec six tomes sortis seulement, Tanaka doit encore prouver sa capacité à se maintenir aux mêmes altitudes sur la durée. Quoi qu’il en soit, pas de déraillement du grand huit en vue pour l’instant, juste des sensations fortes.