Peut-être qu'un début de scénario aiderait à vous convaincre ?
Les loups efflanqués rodaient autour de la ville par cette nuit d’hiver glacée et blanche de l’an mille trois cent vingt quatre.
On pouvait voir leurs silhouettes faméliques se découper à contre-jour dans la lueur blafarde du halo de la lune.
Malgré leur extrême maigreur, ils chassaient en meutes et mieux valait ne pas se trouver sur leur route, ils étaient si affamés qu’ils ne montraient plus la moindre prudence vis-à-vis de l’homme.
Un cri de bête déchira la nuit gelée. Quelque biche ou daim allait emplir les panses de loups qui s’entredéchireraient ensuite pour la carcasse en lambeaux.
A l’abri des remparts, maladroitement restaurés, de la ville close, abandonnée par la plupart des habitants après l’attaque des soudards du marquis de Landeven, seigneur des terres voisines de celles de Kergalaven, les quelques survivants s’étaient réfugiés dans le manoir éventré et avaient calfeutré tant bien que mal le salon, pièce centrale de la bâtisse où flambait un feu anémié de planches trop humides pour brûler ardemment.
Ils étaient assis, les uns contre les autres pour éviter de perdre leur chaleur, enveloppés de houppelandes lacérées.
Ils n’avaient rien mangé depuis deux jours et n’avaient presque plus d’eau.
Un chaudron de fer avait été pendu à la crémaillère de l’âtre, un peu d’eau y bouillonnait.
C’est qu’on attendait un évènement proche, une naissance, cette naissance qui avait empêché la famille et ses serviteurs de partir avec les autres.
Marie-Mathilde de Kergalaven souffrait en silence les contractions qui lui labouraient le ventre.
Il avait du retard, ce bébé.
Fille ou garçon, cela ne l’intéressait plus vraiment, tout ce qu’elle espérait c’est qu’il sorte et que cessent ses douleurs. Le comte Erwan de Kergalaven serrait les mains de son épouse dans les siennes pour les réchauffer.
Une bourrasque fit un retour de fumée qui envahit la pièce et fit tousser les personnes recroquevillées sur elles-mêmes.
Une seule bougie, en sus du faible feu, éclairait sombrement la pièce.
Soudain, une agitation se fit et une main blanche de froid alluma une seconde, puis une troisième bougie. Le chaudron fut vidé de son eau dans une écuelle en bois, et juste à ce moment là, un petit cri suivi d’un pleur emplit le salon délabré.
Colin-Matignon de Kergalaven venait de naître.
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Il n’avait pas onze ans et était déjà un marin hardi et vaillant.
Avec l’aide de son père et de quelques charpentiers, il avait construit de ses mains sa petite chaloupe qui dérivait dans les eaux tourmentées de la pointe du raz.
C’est que c’est à cet endroit dangereux que se trouvaient les plus gros poissons.
La moindre seconde d’inattention pouvait jeter la barque contre les nombreux écueils qui émergeaient à peine au ras de l’eau.
Il fallait une adresse infernale pour maintenir la barre et la voile tout en laissant filer les lignes et éviter la dérive.
Colin-Matignon semblait tout à fait à l’aise, seul dans son embarcation chahutée, il avait déjà plusieurs kilos de poissons se trémoussant sur son pont.
Il fit une dernière remontée de ligne poissonneuse et mit cap sur le petit port bien à l’abri des vents derrière sa falaise de granit.
Les femmes du port et des villages périphériques attendaient sur le quai que Colin-Matignon débarque ses prises.
Il se garda un beau bar pour lui et sa famille.
Le fruit de la vente lui servait à aider ses parents et il mettait de côté une part pour s’acheter les matériaux nécessaires à la construction d’un bateau qui puisse l’emmener ailleurs, plus loin que les courants du raz, à perte de vue des côtes …. Il avait ce projet depuis qu’il était tout petit et que son père lui avait dit qu’au-delà du visible, par dessus l’horizon océanique existent d’autres terres, d’autres peuples, d’autres plantes, d’autres paysages et de merveilleuses richesses.
Mais avant de partir à son compte, il lui faudrait apprendre, apprendre la navigation aux étoiles et au soleil qui permet de ne pas se perdre et d’atteindre le cap souhaité.
Colin-Matignon avait le sens inné de la navigation, mais son père l’avait toujours encouragé à la prudence.
Il se souvenait de ce conseil paternel : « il faut rester en vie pour entreprendre les nouvelles conquêtes. L’homme mort n’a plus de désirs, plus d’avenir ! »
Et des désirs, il n’en manquait pas !
Et c’est ainsi qu’à dix huit ans, Colin-Matignon embarqua, dans le port de Roscoff, sur une galion du nom d’origine Hélène : « Héphæsteus (1) », comme matelot.
Cordialement
Y.