Rorschach par Terreur Graphique éditions 6 pied sous terre
J'attendais impatiemment de lire « Rorschach » de Terreur Graphique. Ça fait quelques années maintenant, 4 ou 5, je dirais, que je suis son boulot, d'abord sur son blog, puis dans des fanzines comme Soudain! ou Bahniwé (pour ne citer que les moins prestigieux, mais néanmoins les plus fabuleux), ou plus récemment dans Fluide Glacial.
Une de ses qualité est sa formidable inspiration, il semble capable de faire des variations pendant des heures sur un sujet donné, à un rythme effréné, sans jamais s'essouffler. Et j'étais quelque part frustré de ne le lire que sur des formats courts, persuadé que j'étais qu'il serait encore meilleurs sur format long. Une première mise en bouche avec son « Retiens la nuit » de 26 page chez Vide Cocagne avait déjà pas mal confirmé mon hypothèse, mais j'attendais plus long.
Alors, quand il a sorti Rorschach, plus d'une centaine de pages chez 6 pieds sous terre, je me suis mis à trépigner. D'autant plus que je voyais les critiques positives et dithyrambiques éclore un peu partout sur le web. Il faut dire que Terreur Graphique a pas mal d'amis bien placés dans le milieu, alors, ça prouve rien. Moi par contre, vous pouvez me croire, on n'est pas vraiment potes, on n'arrête pas de s 'engueuler.
Mes attentes étaient cependant très haute vis à vis de ce bouquin, mais j'avais une petite crainte. Le sujet choisi, la psychanalyse et la déviance mentale, est un sujet bateau particulièrement traité et retraité, tous médias confondus, avec un paquet de clichés obligatoires qui le rendent un peu casse gueule. Le premier tour de force de ce livre est de commencer sur un ton relativement léger à affronter un à un tous ces clichés, sans essayer de feinter, mais avec une telle intelligence de mise en scène, une telle inventivité graphique, qu'il arrive à leur donner de la profondeur, à leur rendre leur sens original et primitif. L'explosion du nombre de page et le confort d'un grand format a complètement libéré son trait et son ambition. Plus que jamais, avec ce livre, il mérite son ambitieux et prétentieux pseudonyme.
Primitif est son trait. Au niveau du soin apporté à sa mise en scène et à la composition de ses images, je serais pas loin sur cet album de le comparer à un Chris Ware ou à un Will Eisner. Là ou Chris Ware est sophistiqué, industriel, mécanique et minutieux, Terreur Graphique est anarchique, grouillant, organique et ruisselant. Et pour l'histoire qu'il raconte, c'est absolument parfait. Son style si particulier qu'il sait très heureusement adapter et moduler en fonction de chaque nouvelle histoires, il l'a, ici, particulièrement chargé. Un encrage sombre et désespérant qui n'est pas sans rappeler un Charles Burns, mais associé à une certaine approche du trait trash et nerveuse qui m'évoque des auteurs bien français comme Binet, ou Larcenet, voir, même, dans son rapport aux corps et à la chaire, à certains aspects du travail de Gotlib, Boucq ou de Moerell. Et puis surtout, ce qui empêche de faire tomber le livre dans le cliché, c'est la sincérité avec laquelle l'auteur nous livre ses névroses et ses trouilles, sincérité qui rend ce livre fort et profond, et qui me pousserait à faire, de nouveau le rapprochement avec Chris Ware.
Mais n'allez pas croire devant ce pompeux déballage de références écrasantes que Terreur Graphique ne serait qu'un besogneux imitateur. Non, si on peut lui trouver des références, (et on ne peut pas dire qu'il ait mauvais goût), ses références son néanmoins bien digérées et assimilée au sein d'une œuvre très personnelle. On a là un vrai auteur avec son style propre et beaucoup de caractère et de particularités originales, qu'on retrouve avec plaisir tout au long de son œuvre balbutiante: la sueur, les références musicales, une certaine vision geek du monde, une bonne dose d'auto-dérision et des dialogues très travaillés, efficaces, drôles et rythmés qui rendent la lecture de Rorschach beaucoup plus légère et aisée, malgré la lourdeur des thèmes abordés, que celle d'un Jimmy Corrigan. Malgré ce torrent d'éloges que je viens de déverser sans vergogne, j'ai quand même trouvé un défaut à ce livre, 100 pages, c'est quand même encore un peu court. Je commence à suspecter que je ne serais complètement satisfait que lorsque Terreur Graphique nous pondra un pavé de 800 pages.
"Une centrale nucléaire c'est comme une femme, il suffit de bien lire le manuel et d'appuyer sur le bon bouton." Homer J. Simpson