Sebi a écrit:Et une planche
Je n'ai pas encore eu l'occasion de feuilleter cette BD, si certains ont un avis, je suis preneur !
« Robny clochard » - Robny el Vagabundo - est une mini série unique en son genre. Le choix de concentrer la série et ses intrigues autour d’un vagabond accablé par le fatalisme est déjà un pari audacieux. Mais parvenir à élaborer des tensions aussi riches tout en alimentant le mystère qui auréole les origines d’un anti-héro aussi dissonant relève de la gageure. Plusieurs épisodes de « Robny clochard » – compilés dans l’album des éditions Mosquito – développent une atmosphère oppressante, presque lugubre, et sont émaillés par des constats sans appels sur l’humanité. Joan Boix profite dans chacun d’eux pour donner davantage de corps à son clochard et lui construire un passé accablant.
Le dessinateur alterne les compositions statiques avec des plongées et contre-plongées étonnantes qui rappellent certaines audaces d’auteurs américains comme Gene Colan. Les poses très dynamiques à base de raccourcis qui sont employées pendant les scènes d’action tranchent avec l'abattement de Robny. Son visage est toujours buriné ou marqué par l’épuisement et le désespoir. Malgré cette pesanteur, Robny ne se contente pas de subir les évènements auxquels il est mêlé.
Le jeu d’ombre et de matière, l’encrage et la virtuosité du dessin posent une ambiance crépusculaire, à la limite de l’expressionnisme. La lourdeur de l’atmosphère surprend puis interpelle. Le récit est en effet hanté par une mélancolie inhabituelle surtout, si l’on prend en considération le contexte dans lequel la série à vue le jour (dans les pages d'un magazine à suspens). « Robny clochard » n’est pas à proprement parlé, une suite de péripéties ou de réflexions à propos des sans abris. Robny ne fait état de sa condition que de façon parcellaire. C’est à travers l’affirmation de son incapacité à se compromettre dans un monde en totale opposition avec ses valeurs, que l’on devine le drame qui l’a conduit en marge de la société. La duplicité de ses contemporains, leur faiblesse et leur mesquinerie sont bien à l’origine de sa fuite.
Robny est l’avatar d’un auteur accablé par le décès de son fils et l’abandon consécutif de sa femme. Joan Boix se confit dans les dernières pages, se représente pudiquement avant de clore les pages d’un épisode douloureux de sa vie. Il avoue enfin que Robny est l’expression d’une volonté de perdition qu’il n’a pu concrétiser et que le personnage l’a finalement sauvé du suicide social. « Robny clochard » est donc une auto-fiction. Une authentique catharsis.
La beauté et la tristesse de cette démarche est aussi bouleversante qu’ambitieuse.