Né en 1939, la même année que son personnage fétiche, Dennis O’Neil a été l’un des plus prolifiques et innovants scénaristes et responsables éditoriaux de sa génération.
Recruté par Roy Thomas chez Marvel - où il officie sur des titres aussi divers que Millie the Model ou Doctor Strange ! - , il fait également partie de l’écurie Charlton avec Dick Giordano, Steve Skeates ou Jim Aparo, un petit groupe d’auteurs qui va ensuite rejoindre DC Comics et rajeunir la ligne du vénérable éditeur. Remarqué par le responsable éditorial Julius Schwartz, O’Neil devient vite l’un de ses chouchous. Pour Schwartz, O’Neil écrit Justice League of America, Superman, Green Lantern/Green Arrow, et bien entendu Batman et Detective Comics : sur ces derniers titres, il est associé au dessinateur Neal Adams, au trait plus réaliste et dynamique que le tout-venant de la production, et le duo devient bien vite la coqueluche des lecteurs.
De plus, O’Neil innove en accentuant l’humanité des super-héros qu’il anime : ainsi, Green Lantern doute de sa mission lorsqu’il est confronté par un vieillard noir des bas quartiers pour avoir protégé un promoteur véreux, tandis que Batman est tenté par Talia, la fille de son pire ennemi, Ra’s al Ghul, deux personnages que O’Neil et Adams introduisent dans leurs épisodes. À une époque où le Comics Code, l’organe d’autocensure des comics, pesait encore de tout son poids et interdisait qu’on y parle de sexe ou de drogue, O’Neil et Adams parviennent à réaliser un épisode dans lequel le partenaire de Green Arrow, Speedy, se révèle être héroïnomane. Cet exploit achevé, confronter le super-héros au réel deviendra rapidement la marque de fabrique de Dennis O’Neil.
De plus, bien avant l’ère des relaunchs et reboots, O’Neil intervient sur le rajeunissement des trois icônes de DC Comics : avec Mike Sekowsky, il fait perdre à Wonder Woman son héritage amazone et la transforme en une aventurière globe-trotteuse et pour l’excellent tandem de Curt Swan et Murphy Anderson, il élimine la kryptonite et réduit les pouvoirs de Superman. Et, étrangement, alors qu’il aime remettre les héros les pieds sur Terre, c’est lui qui envoie la Ligue de Justice dans un satellite en orbite, sans doute pour échapper à leur membre honoraire, Snapper Carr, qu’il éloigne de la série.
Mais c’est bien évidemment sur Batman que la touche O’Neil est la plus pérenne et éclatante : après les années « Camp » de la série tv des années 1960, Dennis O’Neil fait revenir le Chevalier Noir à ses origines, un détective sombre et mystérieux. Fin connaisseur des premières années de ces héros, ainsi que des romans pulps qui les ont inspirés (il écrira de fabuleux épisodes du Shadow pour Mike Kaluta), O’Neil sait puiser à la source de ces personnages tout en les débarrassant du superflu.
Si les épisodes de Batman qu’il a réalisés avec Neal Adams sont célèbres, on peut également remarquer qu’au cours des années 1970, O’Neil a livré nombre de perles pour d’autres dessinateurs : qu’on songe à « I Now Pronounce You Batman and Wife », illustré par Michael Golden et son ambiance james bondesque, et aux deux récits réalisés par Marshall Rogers « Death Strikes at Midnight and Three » (de la prose illustrée) et « Ticket to Tragedy » que n’aurait pas renié Alfred Hitchcock.
Avec le tournant des années 1980, Dennis O’Neil rejoint Marvel pour qui il est Editor et scénariste. Il participe de près au lancement des Transformers (il baptise Optimus Prime) et de G.I. Joe, et supervise quelques titres fameux dont les Alpha Flight de John Byrne et le Moon Knight de Doug Moench et Bill Sienkiewicz. Mais surtout, c’est lui qui va superviser Frank Miller sur son run légendaire de Daredevil qui témoigne de son influence, notamment dans l’utilisation de ninjas et de séquences d’arts martiaux. De plus, en tant que scénariste, O’Neil troque Tony Stark, devenu alcoolique, contre Jim Rhodes dans l’armure d’Iron Man : coup de tonnerre dans le monde de Marvel, pour la première fois, un héros est durablement remplacé (il faudra attendre deux ans pour que Tony revienne dans le formidable Iron Man #200).
En 1986, O’Neil retourne chez DC et retrouve Batman mais cette fois-ci en tant que responsable des titres mettant en scène le détective, un poste qu’il ne quittera qu’au début des années 2000. Son règne compte sans doute le plus grand nombre d’histoires mythiques consacrées au personnage : si le Batman tel qu’on le connaît aujourd’hui lui doit énormément en termes de caractérisation, il en est de même concernant les événements qu’il a instigués. Batman : Année Un, The Killing Joke, la Mort de Jason Todd, Knightfall et la saga d’Azraël, No Man’s Land… des récits qui sont encore aujourd’hui lus, commentés et adaptés, ont tous été publiés sous sa houlette. Avec brio, O’Neil savait associer les auteurs : Alan Grant et Norm Breyfogle, Chuck Dixon et Graham Nolan, Doug Moench et Kelley Jones… des duos qui travaillaient en symbiose totale, au point de continuer parfois l’aventure sur d’autres titres. Mais O’Neil savait également prendre des risques en donnant sa chance à des outsiders comme Peter Milligan ou bien Joe Quesada. Et il continuait également à écrire pour le Chevalier Noir comme en témoigne Shaman ou Venom, deux arcs de Legends of the Dark Knight, dirigé par son collègue et ami, Archie Goodwin (tous deux, ainsi que Mike Carlin, qui supervisait les titres Superman, furent croqués en trio de malfaiteurs dans la série des Batman Adventuresen tant que Professeur, Cerveau et M. Cool).
Pourtant, son grand œuvre, O’Neil la réalisera avec un autre personnage : le mystérieux détective sans visage, la Question, conçu par Steve Ditko dans les années 1960 chez Charlton. Repris par O’Neil, il devint un justicier tiraillé entre ses instincts violents et son intransigeance morale et les enseignements de philosophie zen délivrés par Richard Dragon, une autre création de Dennis O’Neil. Titre éphémère (36 numéros et quelques numéros d’un trimestriel), The Question fait pourtant l’objet d’un culte et a été souvent cité comme influence par des auteurs aussi divers que Greg Rucka (qui a orchestré la mort du personnage dans la série 52), Kevin Smith ou bien encore Jeff Lemire (qui donne sa version du héros dans la collection Black Label).
Après avoir quitté son poste éditorial dans les années 2000, Dennis O’Neil continua à écrire, notamment les novélisations des films Batman Begins et The Dark Knight et quelques épisodes de Batman, dont de courts récits dans les numéros anniversaires pour les 80 ans du justicier et ceux du Joker. Mais son influence était notable dans toute la production de comics : à chaque fois qu’un super-héros se confronte au réel, chute ou sombre dans des tourments intimes ou dans l’addiction, il ne fait qu’emprunter un chemin déjà tracé par ce scénariste qui n’aimait rien tant que creuser la psychologie et les failles de ces idoles aux pieds d’argile. Une manière pour ce journaliste de profession de parler du monde au travers du reflet déformant de ces univers fantaisistes.
Dennis O’Neil a offert une âme aux super-héros : battus, dépassés, parfois humiliés, ils n’en étaient que plus héroïques lorsque derrière leurs masques transparaissaient leur humanité.
Pour ces raisons et bien d’autres encore, c’est toute l’équipe Urban qui s’associe aujourd’hui à sa famille et ses proches et leur adresse de sincères condoléances ainsi qu’un immense merci à cet auteur pour avoir à jamais changé la face du comic book.
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