Les peintres égyptiens, lointains prédécesseurs des dessinateurs de BD
Dès avant l’unification de l’Egypte ( vers 3100 av. J. C. ), les habitants de la Vallée du Nil avaient commencé à codifier l’univers qui les entouraient, esquissant ainsi les prémices de l’écriture hiéroglyphique. Seuls les vases peints nous permettent aujourd’hui d’observer les méthodes d’analyse et de restitution du monde visible employées par les artistes d’alors. La peinture en aplat sur ces vases s’organise en traits nerveux et puissants, silhouettes en ombres chinoises, épurées presque jusqu’à l’abstraction.
Certaines des conventions picturales qui rythmeront le travail des artistes pendant près de trois millénaires voient le jour : le dessin au trait devient une spécialité égyptienne, que les peintres adaptent à tout ce qui les entoure : monde végétal, animal, humain...La richesse de ce répertoire iconographique est impressionnante. Les peintres dissèquent l’univers visible, en extraient l’essence puis le recomposent en s’ingéniant à le rendre le plus signifiant possible. L’on pourrait penser, avec des règles de représentation si strictes ( tendues vers un seul but : montrer l’essence de toute chose, de toute action, de tout être ) que nulle place n’est accordée à l’artiste en tant qu’individu. Bien au contraire…Au-delà du répertoire traditionnel, le dessinateur égyptien est maître de sa ligne, qu’il exécute à main levée avec une assurance étonnante. Ainsi, ce n’est pas dans les grandes scènes funéraires qu’il faut chercher l’originalité de l’artiste mais dans les petits tableaux annexes et les détails où apparaît pleinement tout son talent.
Les Egyptiens savent représenter le corps humain sous tous les angles, comme le montrent d’étonnantes expérimentations ( corps de trois-quart dos, visages de face, mouvements complexes…). Ils sont les premiers à intégrer l’être humain dans un décor et savent figurer les mouvements rapides ( course, envol, bond ). Leur art de la ligne se combine à une technique d’aplats et l’absence d’ombres portées fait irrémédiablement penser à la ligne claire.
Mais ils ne dédaignent pas les dégradés ou les effets de matière et savent jouer de la couleur pour donner une impression d’éloignement des figures. Le déroulement linéaire des scènes en registres préfigure la BD, de même que le découpage de l’action qui permet sur un même ensemble de scènes de voir plusieurs fois le même personnage. Des textes courts, fragments de dialogues, explications, appuient l’action figurée, préfigurant les phylactères. Enfin, les peintres égyptiens maîtrisent avec aisance l’art du portrait, voire de l’autoportrait, et pratiquent la caricature. Leurs brouillons sur éclats de calcaire ou de poterie, ainsi que certains papyri, nous ouvrent les portes d’un monde inattendu où la satyre sociale et politique côtoie les scènes érotiques et nous révèlent un peu plus l’extraordinaire capacité de ces dessinateurs à jouer de leur don, bien au-delà des rigides conventions qui rythment leur monde. Dans l’histoire des civilisations humaines, les Egyptiens sont les premiers à porter si loin l’art du trait afin de raconter une histoire, préfigurant ainsi les développements de cette technique en Occident.