de unrefractaire » 18/05/2019 11:46
Oppressant, glaçant, poignant, le récit évite tout voyeurisme pour ne garder que l’aspect documentaire et analytique. C'est cet aspect qui nous permet d’entrer en empathie avec le protagoniste, car ce que Backderf nous montre, c'est un adolescent en état de souffrance psychique inouï. Sans jugement, Backderf interroge les responsabilités des adultes face à cette descente aux enfers d'un mineur : lorsque Dahmer mineur a commencé à plonger dans l'alcool par exemple, que faisaient les parents, les profs, l’entourage adulte ?
La narration est sobre. Elle étire certaines séquences. À intervalles, des dessins pleine page prennent une signification métaphorique : la route qui fuit vers l'horizon lointain, le chemin dans la forêt qui se sépare en deux.
Comme l'illustration de couverture, ces dessins pleine page ont une composition équilibrée, statique, et l'élément central (souvent Dahmer) génère une impression de menace très forte, sans forcer le trait.
Le trait de Backderf est un subtil dosage de crudité et de naïveté… Ainsi la voiture du tueur, dessinée de manière très simple, prend des allures menaçantes avec ses reflets et sa portière ouverte.
C'est aussi, bien sûr, le portrait de l'adolescence, ses enthousiasmes et ses anxiétés, ses jeux puérils et ses rêves d'avenir, ses rituels et tout le jeu social. La conscience du passage à l'âge adulte, la conscience confuse aussi de la faillite des adultes. La cruauté et la violence subie ou générée/activée.
La partie rédactionnelle est intégrée au récit : les notes en fin de volume éclairent le contexte.
Un seul bémol : il est dommage et étonnant que quelques commentaires personnels de l'auteur (vers la fin des notes) portent des jugements qui contredisent son discours qu'il porte dans le récit lui-même.
C'est le premier Backderf que je lis; j'y retrouve la qualité des meilleures oeuvres de l'underground US: la capacité d'analyse des personnages qui deviennent de véritables personnes. Les plus grands auteurs US ont cette capacité aiguë : Robert Crumb, Art Spiegelman, Harvey Pekar, Kim Deitch pour ne citer que les historiques de l'underground US.
Je suis un peu dubitatif sur l'adaptation cinématographique...