Tout d’abord, merci à vous de venir ici défendre votre propos, merci à vous d’avoir écrit ce livre. Désolé de répondre un peu tardivement, je vous avais expliqué par MP que je risquais de ne pas trouver le temps de vous répondre immédiatement.
Il convient peut-être de commencer par le pourquoi de ma lecture d’
Obsidion. Elle s’est imposée à moi comme une évidence ; parce que son sujet m’intéressait, parce que comme vous j’ai vécu directement ces événements de l’intérieur (pour préciser l’idée, ce sera mieux, je suis pompier et ai exercé entre 2001 et 2009 dans le 94 dans des quartiers sensibles). Après, je n’y suis pas né, mais ceci pour expliquer le pourquoi de mon intérêt pour votre livre, et ceci explique aussi pourquoi je pense avoir un bagage disons pertinent pour parler de la justesse de votre première partie. Parce que dans cette première partie, vous êtes dans le témoignage, et que votre témoignage est profondément ancré dans la réalité de ce qui s’est passé, de ce qui s’est ressenti de l’intérieur lors de ces événements. J’aurais aimé que cette partie soit davantage développée, tant il y avait à dire. Réalisée dans l’urgence, j’entends parfaitement l’impossibilité de la chose. La seconde partie, c’est autre chose, vous êtes à mon sens passé à quelque chose de beaucoup plus personnel sur ce qui s’est bousculé dans votre tête quand ces événements se sont tassés, voire même déjà sur leur fin, où déjà, vous aviez commencé à opérer comme une bascule. Effectivement, là, votre propos m’a moins séduit. Pourquoi ?
Effectivement, je n’avais pas pleinement saisi que la seconde partie avait été réalisée dans la foulée des événements. Ou plutôt si, ça, je l’avais saisi, mais disons que je pensais qu’elle avait été potentiellement peaufinée entretemps. Certes, cela aurait dénaturé l’urgence nécessaire à figer le moment au risque de le dépouiller de la pureté de sa matière première, j’en suis tout à fait conscient. En tout état de cause, ma chronique portait sur le rendu à l’état fini d’
Obsidion, avec une conscience du contexte et aussi, je le concède, une méconnaissance de vos travaux passés. Bon, je reviens à nos moutons !
Oui, j’ai employé les termes « sans queue ni tête », « caricatural » et « manque de recul », et si je comprends que vous revendiquiez d’assumer ce manque de recul par la rage du moment, qu’il s’agissait d’honnêteté intellectuelle de ne pas retoucher cela, j’ai aussi tendance à penser que c’est ça qui vous a fait mettre le pied dans ce que je qualifie de « caricatural », de « sans queue ni tête ». Votre volonté de ne pas trahir votre ressenti du moment - très louable au demeurant -, a posé, tout du moins pour moi, les limites du rendu final de votre livre. Et cela, je le dis d’autant plus que j’ai tendance à penser que dans les grandes lignes nous envisageons les choses sous un angle relativement proche. Cette seconde partie aurait profondément gagnée à être abordée de manière plus posée, avec davantage de distance, en apportant des réponses à « quel était le contexte général des banlieues avant les émeutes », « quel est-il aujourd’hui ? », voire en abordant le « et après les déclarations de bonne intention, où en sommes- nous aujourd’hui ? ». Mais ce n’était pas votre volonté, ce que je respecte parfaitement. Une autre option aurait été de conclure les émeutes en ne conservant que les 2 dernières planches, là remarquables, de votre livre. Là, normalement, vous allez me dire que je n’ai qu’à l’écrire mon livre sur le sujet, et vous avez raison !
C’est toutefois tout ça qui m’a donné l’impression d’un truc un peu fourre-tout, qui manquait de consistance, de profondeur, où les arguments étaient souvent trop faciles, trop à la surface des choses, trop manichéens.
Avant de poursuivre, je souhaite juste vous préciser que mon propos n’a jamais eu l’intention d’être méprisant, ô combien non. Ce qui suit pourra peut-être le paraître, ce n’est en aucun cas mon intention. Mon intention est de répondre à vos interrogations, donc, là, je suis obligé d’aller davantage dans le détail sinon je vais juste tourner autour du pot et vous ne serez guère plus avancé (bon, ça sera peut-être le cas, mais j’aurai au moins essayé d’expliciter mon point de vue). Enfin, là, si je cache mon texte, c’est justement parce que je vais trop dans le détail, et que lecteur potentiel de votre livre, je détesterais que l’on me livre ces éléments.
Vous dénoncez la formation de la police, leur répartition sur le territoire en fonction de l’ancienneté. Bien, et après ? J’attendais le parallèle/la mise en perspective avec l’éducation nationale ! Les profs sont-ils bien formés ? Est-ce une bonne chose que l’on ait des lycées, des collèges, où la moyenne d’âge des profs est dessous de la trentaine, qui, pour majeure partie d’entre eux sortent de leur formation et pour certains d’entre eux n’ont qu’une idée en tête, la fuite ? Alors que ces lycées, ces collèges sont sans aucun doute ceux qui ont le plus besoin de gens motivés (ça, il y en a clairement chez les jeunes, il n’y a pas à revenir là-dessus, mais pas seulement) et expérimentés ?
Il y a cette planche consacrée à des propos tirés d’extrémistes de tout poil, grimés version Porcherie. Certes, ça ne mange pas de pain, mais ça reste facile et ça n’apporte pas grand-chose en fin de compte. Là où ça se gâte, c’est quand dans la planche qui suit on tombe sur cet arrêt sur image avec une bande d’émeutiers, dont l’un a le visage tourné vers vous, et que vous constatez que c’est un « bon blanc ». Evidemment qu’il y avait des blancs dans les émeutiers, mais le montrer comme ça, c’est tellement avec des gros sabots que ça n’a aucune puissance de frappe, c’est vide. En plus, ajouter l’adjectif qualificatif « bon » était sans doute dispensable. Il y a là une erreur que je retrouve dans certains textes, films, bandes dessinées : en optant pour une charge à sens unique, le propos à tendance à virer à la caricature et n’est tout simplement plus crédible. Encore une fois, je suis plutôt en accord avec partie du fond de votre propos, mais ce que je décrie, c’est la méthode. Je reste convaincu que pour être crédible, pour avoir réel un impact, il faut éviter de forcer le trait.
Puis j’ai eu le sentiment que vous avez dérapé, toujours en cherchant les propos les plus stupides qui soient chez des personnes relativement déconnectées de certaines réalités qui s’autorisent tous les bons mots et tous les raccourcis pour briller à l’occasion. Or, il ressort de ma lecture de votre livre, à ce moment-là, comme une confusion, comme si la France de Vichy était sur le retour. Alors oui, il y a des discours puants, oui, le FN est bel et bien installé dans le paysage politique français depuis au moins 2 décennies, mais sombrer dans la généralisation, c’est utiliser des méthodes que vous dénoncez, ça dessert littéralement le reste de votre propos, et c’en est d’autant plus dommage qu’à côté de ça, vous effleurez du doigt des choses très justes, par exemple, quand vous évoquez « des mères divorcées, des familles recomposées, … des parents tellement accablés par leur travail qu’ils en deviennent presque des étrangers pour leurs enfants ». J’aurais tellement aimé vous voir développer là-dessus, ou tout du moins que ça ne soit pas noyé dans des eaux troubles. La planche qui m’a le plus déroutée est celle qui fait face à l’extrait de propos d’A. Finkielkrault. Pourquoi de telles illustrations alors que le texte était à lui seul tellement édifiant qu’il se suffisait à lui-même ? Enfin, même si ça m’a moins perturbé, pourquoi écrire « nos musiques, nos arts, nos écrits, nos … », là, dans le contexte, vous abondez dans le sens d’une théorie du choc des civilisations trop simpliste. Et tout cela alors que votre livre est conçu pour être lu par des personnes qui, sur le fond, auront tendance à penser comme vous. Si, si, avec la couverture, ce sera le cas pour près de 99% de vos lecteurs ! Alors pourquoi enfoncer des portes ouvertes au moyen d’un bélier alors que vous auriez pu apporter d’autres choses ô combien plus pertinentes, ô combien de manière plus nuancée ? C’est à mon sens la limite de la dose pamphlétaire de votre journal, comme si vous aviez eu du mal à combler le retour au calme qui a suivi les événements.
Voilà pourquoi j’ai trouvé à plusieurs reprises le propos de cette seconde partie « caricatural » et « sans queue ni tête ». Mais quelque part, mais peut-être que je me trompe, j’ai senti là plus de maladresse qu’autre chose.
J’aurais mille fois préféré échanger avec vous autour d’un café, nous aurions pu avoir la même discussion sans la froideur de l’écran en interface. Maintenant, vous parliez aussi de votre souhait que votre livre permette de discuter. J’espère que c’est ici le cas, et c’est aussi dans cet espoir que j’ai écrit la chronique, cela sans parler que dans cette chronique, j’évoque aussi des choses que j’ai trouvées sincèrement juste, ce qui dans le cadre d’un témoignage n’est pas la moindre des choses, mais aussi, par honnêteté, je ne pouvais pas éluder une partie de mon sentiment.
Encore une fois, merci pour votre livre, et donc pour votre retour sur ma chronique.