Le nouveau Luz chez Futuro sort bientôt, un long récit retraçant les débuts de l'auteur à Charlie Hebdo au début des années 90, et par là nous faisant revivre l'aventure éditoriale du journal, ses figures de l'époque, au travers de tas d'anecdotes souvent drôles, sur un ton juste, la nostalgie affleurant parfois entre les pitreries. j'ai adoré, à part la toute dernière scène qui à mon sens est un peu bancale. Mais rien que le portrait de Cabu qui se dégage de l'album vaut le coup. Et puis l'évocation des années 90 est réussie également.
Quel a été le point de départ d’Indélébiles ?
Luz - Les premières planches, ce sont celles où je montre ma visite de Paris, ma rencontre avec Cabu. Il a fallu que je le dessine enlevant ses lunettes, pas facile. Une fois ce dessin fini – il m’a pris tout un après-midi - je me suis dit : "c’est vraiment lui". Il était devant moi. Alors j’ai eu envie de tous les mettre devant moi, ceux qui ont disparu. Ce n’était pas un truc morbide, je ne voulais pas convoquer leurs fantômes, j’avais envie de revoir leurs têtes, mieux dessinées que sur les pochoirs qui ont été faits en leur honneur. Pour les rendre réels, il fallait passer par la case personnage, peut-être. Toute cette symbolique autour du 7 janvier 2015, c’est comme si ça avait cryogénisé le journal et les copains. Et ça, ça me terrifie.
Indélébiles, c’est l’ouvrage cathartique après Catharsis ?
Dans Catharsis, je parlais de comment le dessin a disparu. Là, je raconte comment il est apparu, comment ça marche. C’est un livre lumineux, le plus positif que j’ai fait ces trois dernières années. Il y a de la mélancolie, mais pas de nostalgie. Il a fallu aller chercher ces souvenirs, les arracher au passé pour les faire revivre. Maintenant, le deuil est fini, on va parler de la réalité, de ce que c’était Charlie à l’époque. Ça a été compliqué, il a fallu faire un travail d’archives, retrouver les photos… rien de pire que de regarder un copain mort en train de sourire dans une beuverie. Mais, en les dessinant, c’est devenu autre chose. J’ai aussi essayé de raconter combien c’est super rigolo de faire un canard.
Le livre commence sur un rêve de bouclage à Charlie. Tu l’as déjà vécu ?
Ce rêve, il revient de temps en temps. J’arrive à Charlie en conférence de rédaction au moment du bouclage. Plus personne ne m’attend mais en même temps je suis à la bourre, je retrouve tous les autres, Gébé, Charb. Ce rêve de normalité devient un cauchemar quand je me réveille. La confusion entre fiction et réalité est pratiquement tout le temps dans mon travail depuis Catharsis, j’essaye de l’appréhender dans chaque bouquin. Riss que j’ai vu récemment m’a dit : "tu as fait un document". Un document pour nous, pour les lecteurs de Charlie, pour ceux qui arrivent après. A part dans Bête et méchant de Cavanna, on visualise peu ce que c’est de s’occuper d’un journal.
Denis Robert a raconté dans Mohicans, connaissez-vous Charlie l’arrière-cuisine, notamment la manière avec laquelle Cavanna a été dépossédé du journal. Ces parts d’ombre, tu as envisagé de les traiter ?
Non, il y a des gens qui ont écrit des livres pour en parler. Pour moi, il n’était pas forcément question de mettre de côté les engueulades – on voit d’ailleurs en filigrane les frictions – mais j’avais précisément envie de parler du dessin. C’est la trame du bouquin. Aucune des personnes qui a publié un bouquin sur Charlie Hebdo, qu’elle a été ou pas dans l’équipe, n’a parlé du dessin. Peut-être que des gens trouveront le livre trop lumineux. Après, si j’ai le sentiment que c’est nécessaire pour moi de témoigner de d’autres fragments de l’histoire de Charlie, je le ferai.
Tu parlais d’archives, comment as-tu procédé ?
J’ai des super archivistes, ça s’appelle des parents ! Du coup, j’ai tout dans le grenier. Ce qui a été difficile ça a été de voir mon trait au début, je dessinais comme une merde. Il a fallu se plonger dans des kilomètres d’archives pour être le plus précis possible. Je n’ai pas l’hypermnésie de Riad Sattouf, c’était du taf de revenir là-dessus. Le truc le plus étrange a été de redessiner les dessins des autres, je suis devenu un super copiste. C’était des moments bizarres mais parmi les plus beaux de ce travail. Déjà à Charlie, je dessinais des faux Cabu, des faux Faizant. Dès qu’il fallait faire une parodie du Figaro, c’était "hé, Luz, tu ne veux pas nous dessiner un faux Faizant ?" J’ai même dédicacé des livres de Wolinski à sa place, un jour où il n’était pas là. J’imitais déjà la signature de mon père à l’école.
La rencontre avec Cabu que tu accostes un jour a changé ta vie ?
Oui, à quelques secondes près je le ratais et aussi ma vie. Ou je l’aurais réussie autre part, j’aurais peut-être été un très bon saucier ou maquettiste dans une boite à Tours. Quelque chose que je n’ai jamais compris, qui, à la fois, me flatte et me fait dire que Cabu avait du flair, c’est que le dessin que je lui ai proposé ce jour-là, moi, je ne l’aurais jamais publié. Mais lui était du genre à encourager. Je n’ai pas eu beaucoup de courage dans ma vie. Mais deux fois ça été lié au dessin, cette fois-ci pour aller le pécho…sauf que le courage il n’en fallait pas beaucoup, n’importe qui pouvait l’alpaguer dans la rue, il était quand même très accessible. L’autre fois, c’est d’avoir refusé d’entrer dans une école d’art graphique à Tours. Quand j’ai vu les travaux de fin d’étude, j’ai paniqué, je me suis dit que c’était de la merde, ils faisaient de la pub... J’ai eu le courage de dire non et de partir dans des études "normales". Un bon dessinateur de presse, c’est aussi quelqu’un qui a une bonne culture générale.
La meilleure école, pour toi, ça a été Charlie ?
Ha oui. J’étais dans une équipe où les gens étaient beaucoup des passeurs. Cabu n’était pas seulement un mentor, il ne cachait pas ses recettes dans son coin. Il m’a appris à construire une double page, un reportage, à dessiner le "où quand comment". Quelque part, être dessinateur à Charlie ressemblait à un truc d’écoliers. On parle de gens qui ont des cartables, des cartons à dessin, qui sortent des trousses, gomment, collent. Il y a quelque chose de très étrange liée à une espèce d’enfance dont on ne veut pas complètement s’extraire. Mais ça ne veut pas dire que l’on ne peut pas raconter des choses adultes.
Le dessin de presse te manque-t-il ?
Non, ce n’est pas demain la veille que j’aurai l’envie de me relancer dans une aventure presse papier. Pour plein de raisons, d’abord parce que l’actualité ça n’est plus mon truc. Je n’ai pas raconté combien le dessin de presse bouffe. On a du mal à imaginer qu’est-ce que ça fait de travailler tout le temps sur des cons… parce que tu es obligé d’écouter leur discours ! Maintenant, je dessine les gens que j’aime, c’est peut-être là la clé de ce livre. Je suis un autre dessinateur mais celui que j’ai été reste en moi. Avant, chaque semaine dans Charlie Hebdo, il fallait que je progresse. Maintenant, j’essaye de progresser sans Charlie Hebdo, sans l’avis de mes pairs, plus difficile à gérer.
Quels sont les dessinateurs que tu suis actuellement ?
Je t’avouerai que je ne lis pas Charlie, peut-être moins par désintérêt pour le dessin de presse que parce que je vois les espaces manquants, on va dire. Peut-être que je lirai le bouquin de Lançon un jour. Et puis lire Charlie sans y être, ça coince toujours un peu dans la tête. Quand j’étais en vacances et que je regardais Charlie, je me disais : "j’aurais dû être là pour traiter de cette actu-là". Sinon, je me nourris de romans qui sont des suites de monologues, La Chute de Camus, les Carnets du sous-sol de Dostoïevski. Et puis il y a les séries télé. Je suis jaloux, dans Big Mouth sur Netflix, le personnage se tape son oreiller qui lui dit qu’il est enceinte. J’aurais voulu trouver cette idée-là