de Bolt » 09/07/2023 22:11
Publié en Espagne sous le nom de "Maganta" (mot spécifique de la région d'origine de l'autrice, la traduction proposée dans l'édition française est "feignante, pâle et pensive"), Mary-Pain est d'abord la fin d'une fuite en avant, le retour contraint à la maison, le sentiment d'échec qui l'accompagne. Même si l'histoire semble hors du temps, elle fait echo aux crises (immobilière puis économique en 2008) qui touchent de plein fouet l'Espagne, comme Lola Lorente l'explique dans une de ses interviews. Puis ce sont les attentions des gens qui ne sont jamais partis qui se portent sur la personnage principale, leurs attentes, leurs regards culpabilisants, en plus d'être vaguement grossophobes. Elle a déjà trente-quatre ans, de quoi déjà être mère comme ses amies d'enfance. Elle semble plutôt être une adolescente un peu rêveuse, pas autonome, une artiste dans l'âme qui ne trouve pas sa place dans le village. Dans la même interview, l'autrice réfute que Mary-Pain soit autobiographique, mais reconnait y avoir retranscrit une partie de ses sentiments quand elle a dû retourner chez elle lors de la crise. Enfin, c'est le poids des souvenirs, d'un deuil qui ne s'est jamais fait, qui va paralyser Mary-Pain.
Loin de représenter les rêvasseries de sa personnage sous une quelconque forme onirique, Lola Lorente préfère mettre en image, souvent dans un gaufrier 2 x 3, ses errances à travers la maison, la piscine, ou dans le village. La patte graphique est très organique, personnelle, une maturation des styles de Ludovic Debeurme (surtout), d'un peu de Charles Burns et peu Robert Crumb, et plus globalement tout un pan de l'alternatif des années 90.
Le bouquin n'est pas aussi noir que ce qu'il laisserait paraître. Lola Lorente insuffle un peu de bizarrerie et de positivité dans des rencontres et des moments-clés, éléments nécessaires pour que Mary-Pain, "enfant" espagnole de la fin des années 2000, puisse enfin tourner la page.