(...) Que pèse la fraude fiscale en France : 10 milliards d’euros, 17 milliards, comme l’avance le gouvernement, voire 100 milliards ou plus, comme l’évoquent certains syndicats ? Dans une note du 16 octobre, le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, citait une fourchette extra-large, « entre 14 et 52 milliards d’euros » par an. La Cour des comptes l’agrandit encore. « Nul ne peut aujourd’hui se hasarder à affirmer que ce montant est proche de 30 [milliards] ou de 130 milliards d’euros », écrit-elle.
(...) « [La France] demeure l’un des pays développés les moins avancés en la matière », et a seulement commencé à identifier cet écart pour la TVA. Malgré les encouragements répétés de la Cour, « la connaissance de l’ampleur de la fraude commise n’a pas progressé » en dix ans, regrettent les magistrats.
(...) En dix ans, de nombreux facteurs auraient pu entraîner une hausse notable des montants récupérés par les contrôleurs du fisc. D’une part, les sommes en jeu ont crû, puisque les impôts recouvrés par la direction des finances publiques ont augmenté de 44 % entre 2015 et 2024. D’autre part, de nouvelles fraudes sont apparues, notamment autour des cryptomonnaies.
(...) Le bilan, pourtant, n’est pas à la hauteur. Depuis dix ans, « les résultats du contrôle fiscal sont en baisse relative », consigne la Cour. (...) Plus parlant encore : de 2015 à 2024, le rendement du contrôle fiscal est passé de 4,3 % à seulement 2,8 % du montant des recettes fiscales.
(...) « On croise les fichiers, on utilise l’intelligence artificielle, mais les moyens humains pour que tout cela fonctionne, eux, ont baissé », peste Olivier Villois, secrétaire national de la CGT Finances publiques. De fait, les effectifs affectés au contrôle fiscal ont diminué de 19 % entre 2015 et 2024. « Contrairement aux discours, la lutte contre la fraude n’est pas une priorité, poursuit le syndicaliste. Avec les nouvelles restructurations qui se profilent, on craint que certaines zones, comme la Seine-Saint-Denis, n’échappent un peu aux contrôles. »
La question se pose aussi pour la justice. En 2018, une loi visant à renforcer la répression a atténué le « verrou de Bercy » afin que les cas de fraude les plus graves soient automatiquement transmis aux juges. Le nombre de dossiers concernés a plus que doublé. Les moyens n’ont pas suivi. « L’Allemagne affecte par exemple 20 procureurs à la fraude relative à l’imposition de dividendes à des actionnaires étrangers, dite “CumCum”, quand le parquet français ne peut y affecter qu’une magistrate, chargée par ailleurs de 40 autres dossiers », souligne la Cour. Débordés, les juges classent de nombreux dossiers sans suite. Jusqu’à 75 % au parquet de Bobigny en 2024. (...)