Alexandre Allegret-Pilot, nouveau député de l’union entre le Rassemblement national (RN) et le président contesté du parti Les Républicains (LR), Eric Ciotti, dans la 5e circonscription du Gard, a le don d’ubiquité. Le 5 juillet, deux jours avant le second tour des élections législatives, il menait campagne sur fond de garrigue, en Occitanie, en même temps qu’il signait un arrêté pour le moins surprenant au nom du ministre de l’économie. Haut fonctionnaire à Bercy, chargé des restructurations des entreprises, il était en effet en congé pour sa campagne électorale. Mais il lui a suffi d’un « clic », à distance, pour autoriser une aide financière de 1,3 million d’euros à une société dénommée Vitis Gallica.
Le 9 juillet, deux jours après son élection, ses collègues de Bercy se sont étranglés en découvrant l’information dans le Journal officiel. Et pour cause : la société en question n’existe pas, ou du moins pas encore. Nulle trace de ses statuts au registre du commerce. Seul un compte très confidentiel sur le réseau social X (10 abonnés) porte ce nom, avec une description sans équivoque : « Patriote, vigneron, boxeur, contre l’islam et le multiculturalisme en France. Tu t’intègre ou tu te barre » (sic).
A l’origine, Alexandre Allegret-Pilot avait autorisé cette aide en décembre 2023 à une autre société : l’entreprise d’hélicoptères MBH Samu, domiciliée à Annemasse, en Haute-Savoie, à 30 kilomètres de son village. Sollicitée par Le Monde, cette société, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 27 millions d’euros en 2022, n’a pas répondu.
Le prêt de 1,3 million d’euros dont elle devait alors bénéficier, par l’entremise de la Banque publique d’investissement Bpifrance, entrait dans le cadre d’un dispositif d’aide aux entreprises fragilisées par la guerre en Ukraine. Le 5 juillet, pour une raison encore non éclaircie, Alexandre Allegret-Pilot a changé le nom du bénéficiaire pour une autre entité, la mystérieuse Vitis Gallica, en modifiant quelques mots de l’arrêté initial. Sa précipitation à autoriser le prêt d’une telle somme à deux jours de son élection questionne.
Cet arrêté « va être supprimé »
Interrogé par Le Monde, l’intéressé dit avoir agi sur note écrite du ministre. « Tout est carré, j’ai appliqué la décision de Bruno Le Maire, se défend-il. C’est un dossier qui est remonté sur le bureau d’Emmanuel Macron. J’étais en fonction jusqu’à dimanche 20 heures, donc j’ai fait mon boulot. » « Totalement faux, conteste le cabinet de Bruno Le Maire. Ni le ministre ni l’Elysée n’ont demandé qu’un financement soit octroyé à cette entreprise Vitis Gallica. Nous avons découvert cet arrêté non conforme, qui va être supprimé. » Il ajoute que « des vérifications internes sont en cours » et qu’« aucun argent n’a été versé » à ce jour.
Le fonctionnaire, épinglé durant la campagne pour des propos xénophobes, transphobes et misogynes, avait bien la délégation du ministre pour signer des arrêtés, mais les procédures en vigueur, même dématérialisées, doivent suivre certaines règles. Les subventions aux entreprises doivent normalement passer en comité départemental des finances, qui étudie le dossier et vérifie l’ensemble des documents fournis par la société. Il semble que, dans ce cas, la procédure n’a pas été respectée. Surtout, Alexandre Allegret-Pilot n’était pas censé signer quoi que ce soit alors qu’il était en campagne électorale.
A 35 ans, le Savoyard a déjà eu plusieurs vies. Sur son compte Facebook, il se présente comme « entrepreneur, haut fonctionnaire, montagnard ». Il affiche un master de business à l’Essec, un master 2 en mathématiques mais aussi un diplôme en sciences de l’environnement et en biologie et un diplôme d’avocat, comme il se présente parfois. Il s’est assez vite tourné vers le monde de l’entreprise, en tant que conseiller pour une marque de vêtements techniques de montagne.
En 2018, il intègre l’ENA par le « troisième concours ». Il est ensuite affecté au ministère de l’économie et des finances où il s’occupe des Jeux olympiques, avant d’être nommé en octobre 2022 chef de la mission des restructurations d’entreprises et délégué interministériel adjoint aux restructurations. En parallèle à ses fonctions à Bercy, ce haut fonctionnaire habilité à distribuer des aides aux entreprises s’affiche comme investisseur chez 21yield, une société de crédit privé qui promet des taux de rendement à 12 %, et chez RunMotion Coach, une application de running – des mentions qu’il efface discrètement de son profil LinkedIn depuis son élection.
« Je n’allais pas bosser gratuitement »
Alexandre Allegret-Pilot n’en était pas à son coup d’essai électoral. En 2020, il avait été élu conseiller municipal de la commune de Fillière (Haute-Savoie). Il avait tenté sa chance aux sénatoriales puis, l’année d’après, aux départementales à Annecy sous des étiquettes divers droite. La dissolution décidée par Emmanuel Macron, le 9 juin, va lui offrir l’occasion inespérée de devenir député.
C’est son ami Antoine Valentin, maire de Saint-Jeoire, une autre commune de Haute-Savoie, qui se dit « de la même génération et des mêmes idées », qui le recommande à Eric Ciotti, tout juste rallié au parti d’extrême droite. Le maire de 31 ans, lui-même candidat LR-RN lors des législatives en Haute-Savoie, où il a été battu, est aussi cofondateur de Politicae, le projet politique du milliardaire catholique réactionnaire Pierre-Edouard Stérin, dont l’objectif est de promouvoir une nouvelle classe politique locale. Alexandre Allegret-Pilot apprécie cet homme d’affaires proche des sphères d’extrême droite et le félicite pour ses investissements sur les réseaux sociaux.
Voilà donc Alexandre Allegret-Pilot investi et parachuté dans les Cévennes. A la presse locale, il raconte avoir reçu un appel d’Eric Ciotti et du président du RN, Jordan Bardella, pour lui demander de « défendre l’union de la droite » dans le Gard, mais précise n’avoir rencontré ni l’un ni l’autre : « Je ne suis pas militant. Je suis un mec lambda. J’ai une vie ! Je ne tourne pas autour des politiques H24 », dit-il ainsi à Midi libre.
A Bercy, ses collègues de bureau ont découvert sa candidature dans la presse, alors qu’il n’avait prévenu personne. Sa hiérarchie l’a alors informé qu’il devait se mettre en congé pour mener campagne, ce qu’il a fait entre le 21 et le 5 juillet inclus, fait savoir son administration. « Je n’étais pas en congé ce jour-là, je n’allais pas bosser gratuitement », conteste l’intéressé, qui était pourtant en campagne électorale au même moment.
Messages racistes et misogynes
Avec sa barbe de trois jours, ses cheveux légèrement en bataille et ses lunettes rondes, ce jeune énarque que personne ne connaît arrive en tête du premier tour, avec 41 % des voix face au député sortant du Nouveau Front populaire, Michel Sala, 70 ans. Une campagne très virulente contre celui qu’il surnomme méchamment « le Tartarin de Tarascon ».
Vendredi 5 juillet, jour où il signe le prêt en faveur de Vitis Gallica, M. Allegret-Pilot se trouve dans le Gard où il se filme en chemise blanche sur fond d’un mur de pierre. Dans cette vidéo diffusée sur son compte Facebook, il s’en prend à son rival : « Moi je viens de la direction du budget, donc la rigueur, je connais un petit peu. » Il dénonce plusieurs « bourrages d’urnes », des pratiques issues, selon lui, des « pires périodes du stalinisme ».
Le 7 juillet, le voici élu à l’Assemblée avec 51,58 % des voix, en dépit de la résurgence, trois jours plus tôt, de messages à caractère raciste, antiavortement et misogyne postés en 2023 et en 2024, dans lesquels il qualifie la parité homme-femme de « régression » et l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution de « grande mascarade ». Sur son compte X, supprimé depuis, il exprime sa haine des transsexuels. « Les nazis n’avaient pas leurs médecins ? », écrit-il sous un article de Mediapart consacré à des médecins qui suivent des enfants transgenres.
Alexandre Allegret-Pilot laisse également libre court à sa xénophobie : « Aller simple », réagit-il à l’égard de la députée européenne La France insoumise Rima Hassan, sous-entendant que la militante franco-palestinienne doit quitter la France. « Que faites-vous en France ? », lance-t-il aussi à la journaliste algérienne de RMC Hana Ghezzar Bouakkaz. Sous un tweet de l’écologiste Sandrine Rousseau, il se lâche : « La peine de mort, allez ! »