Le chef de l’Etat a officiellement écarté la candidate du NFP, au nom de la « stabilité institutionnelle » et il a exclu La France insoumise d’une nouvelle journée de consultations à l’Elysée. Solidaires, les autres composantes de l’alliance de gauche refusent d’y participer.
Par Sandrine Cassini et Rachel Garrat-Valcarcel
Emmanuel Macron voulait fracturer le Nouveau Front populaire (NFP), en isolant La France insoumise (LFI). Mais c’est peut-être l’inverse qui est en train de se produire, les membres de l’alliance de gauche faisant bloc contre lui. Lundi 26 août, le président de la République a officiellement écarté la candidature de Lucie Castets à Matignon, au nom de la « stabilité institutionnelle ». En échange, il a demandé au Parti socialiste (PS), au Parti communiste français (PCF) et aux Ecologistes de trouver des « chemins » pour coopérer avec les trois partis du camp présidentiel (Ensemble, le MoDem et Horizons), le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), les radicaux et l’UDI. Excluant de facto les « insoumis », qui ne sont pas conviés à l’Elysée pour les nouvelles consultations qui débutent mardi afin de nommer un premier ministre, au même titre que le Rassemblement national et Eric Ciotti.
Le communiqué de l’Elysée a fait l’effet d’une bombe au sein du NFP, où les superlatifs ont déferlé toute la soirée pour dénoncer un « déni » de démocratie. Premier visé, Jean-Luc Mélenchon a immédiatement réagi : « Le président de la République vient de créer une situation d’une exceptionnelle gravité. La réplique populaire et politique doit être rapide et ferme », a écrit sur X le fondateur de LFI. « Dans aucune démocratie au monde, il n’y a un droit de veto du président de la République sur le résultat des élections », a embrayé le coordinateur du mouvement, Manuel Bompard.
Les trois autres formations de gauche se sont également révoltées contre le chef de l’Etat. « La République est née du refus du pouvoir personnel », a fulminé le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, sur X. Le président du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner, se dit « scandalisé » et dénonce le « cynisme assumé » du locataire de l’Elysée, rappelant que les macronistes n’ont obtenu qu’un tiers des suffrages aux législatives anticipées. « Emmanuel Macron parle de stabilité, mais c’est lui le dégoupilleur », ajoute le socialiste. Le chef de file du PCF, Fabien Roussel, considère qu’« il ouvre une crise très grave pour le pays, alors que les Français ont exprimé une envie de changement lors de deux élections importantes ».
« Le chaos, l’instabilité, c’est lui »
La secrétaire nationale des écologistes, Marine Tondelier, juge, de son côté, « honteux d’invoquer la stabilité après une dissolution surprise et un été d’obstruction ». L’exclusion pure et simple de LFI des consultations choque les partenaires de gauche. Emmanuel Macron « déporte le périmètre de l’arc républicain », fait remarquer l’eurodéputé écologiste David Cormand, qui rappelle que le camp présidentiel a participé au front républicain. « Le chaos, l’instabilité, c’est lui », accuse le député (écologiste et social) de la Somme François Ruffin. « On est face à un président de la République qui veut être à la fois président, premier ministre et chef de parti. Les institutions ne peuvent pas fonctionner comme cela », a dénoncé pour sa part Lucie Castets, mardi matin, sur France Inter.
Dans la journée de lundi, le chef de l’Etat avait tenté de diviser la coalition de gauche en conviant individuellement Olivier Faure, Marine Tondelier et Fabien Roussel, à une réunion à l’Elysée, sans LFI, pour le lendemain. A ce moment-là, la stratégie était déjà actée. Le matin même, le NFP s’était réuni avec Lucie Castets, et, pressentant que leur candidate ne serait pas désignée, avait élaboré son plan d’action : les quatre partenaires avaient décidé de ne pas participer à une nouvelle consultation à l’Elysée, autrement que pour discuter des modalités d’une cohabitation avec leur première ministre. « On a dit qu’on ne participerait pas à un piège », relate Fabien Roussel.
Lors de ce rendez-vous, les partenaires de gauche ont également évoqué un plan d’attaque pour la suite. Fabien Roussel avait prévu d’appeler « les Français à se mobiliser, dans la rue, au Parlement, dans les lieux de travail, devant les préfectures et les permanences des députés ». Dès lundi soir, après le communiqué de M. Macron, il a donc appelé à « une grande mobilisation populaire ». L’ancien député du Nord avait levé le voile sur ces intentions lors de son discours d’ouverture des universités d’été du PCF à Montpellier, vendredi 23 août. Olivier Faure a d’ailleurs précisé, mardi sur France 2, que s’il y avait des manifestations, il y participerait. « Il y a des Françaises et des Français qui vont commencer à s’agacer pour ne pas dire davantage. Et c’est en réalité le risque que prend le chef de l’Etat. Parce que la colère, elle, ne va pas s’interrompre. »
LFI souhaite aussi organiser la riposte. Tout d’abord, une motion de censure sera déposée contre le futur locataire de Matignon. Le mouvement s’attelle aussi à organiser des « marches pour le respect de la démocratie ». « Cela peut prendre la forme d’une journée nationale pour la démocratie par exemple », détaille Manuel Bompard. Enfin, les députés « insoumis » déposeront une motion de destitution à l’Assemblée nationale. A ce stade, la démarche ne fait toujours pas consensus au PS, qui préfère la censure.
« Ces consultations n’étaient que de la communication »
Le NFP accuse aussi Emmanuel Macron de les avoir dupés en faisant mine de les écouter lors de leur rendez-vous à l’Elysée. « Ces consultations n’étaient que de la communication », s’emporte Marine Tondelier. « Nous lui avons dit qu’on n’était pas majoritaire, et qu’on irait chercher des compromis », rappelle Patrick Kanner. Selon un participant, Lucie Castets a notamment fait référence aux courriers adressés au mois d’août par Gabriel Attal et le ministre des affaires étrangères démissionnaire et chef de file du parti Renaissance, Stéphane Séjourné, en évoquant les convergences possibles, y compris en matière de budget.
D’où la colère de certains parlementaires de gauche, qui ne digèrent pas non plus la lettre du jour de Gabriel Attal. Ce dernier reproche le « simulacre d’ouverture » de Jean-Luc Mélenchon, qui a ouvert la voie à un « soutien sans participation », en demandant si un gouvernement Castets sans ministre LFI serait censuré. Le premier ministre estime que le fondateur de LFI souhaite « l’application pure et simple de son programme, sans ouverture ni compromis », faisant semblant d’ignorer la lettre que lui avait adressée Lucie Castets le 12 août. Dans cette missive, la haut fonctionnaire tend la main aux autres formations politiques, leur proposant notamment une méthode de travail plus collaborative.
Bâti dans la précipitation pour les législatives, l’édifice du NFP a jusque-là tenu bon. Mais mardi 27 août, il sera soumis aux secousses des dissensions socialistes. Les deux courants minoritaires du parti, conduits par la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, proche de François Hollande, et par le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, demandent, depuis le projet de destitution lancé par LFI, la tenue d’un bureau national. Sous la pression, Olivier Faure en a fixé un mardi à midi. Il y sera question de la réponse politique à apporter à Emmanuel Macron. Une partie des socialistes est en désaccord avec le refus d’aller au rendez-vous de l’Elysée, plaide pour construire un projet de coalition et souhaite prendre ses distances avec LFI. « Il va nous falloir choisir entre l’intérêt des Français et l’obsession présidentielle de Mélenchon », avance l’ancien député des Bouches-du-Rhône Patrick Mennucci. Un nouveau test pour l’alliance à gauche.